ACTE 4 - SCENE 7
DON CÉSAR (du seuil de la porte)
Ah ! J'en étais bien sûr ! Vous voilà donc, vieux
diable !
Don Salluste (se retournant, pétrifié)
Don César !
DON CÉSAR (croisant les bras avec un grand éclat de rire)
Vous tramez quelque histoire effroyable !
Mais je dérange tout, pas vrai, dans ce moment ?
Je viens au beau milieu m'épater lourdement !
Don Salluste (à part)
Tout est perdu !
DON CÉSAR (riant)
Depuis toute la matinée,
je patauge à travers vos toiles d'araignée.
Aucun de vos projets ne doit être debout.
Je m'y vautre au hasard. Je vous démolis tout.
C'est très réjouissant.
Don Salluste (à part)
Démon ! Qu'a-t-il pu faire ?
DON CÉSAR (riant de plus en plus fort)
Votre homme au sac d'argent, -qui venait pour
l'affaire !
-pour ce que vous savez ! -qui vous savez ! -
(il rit)
Parfait !
Don Salluste
Eh bien ?
DON CÉSAR
Je l'ai soûlé.
Don Salluste
Mais l'argent qu'il avait ?
DON CÉSAR (majestueusement)
J'en ai fait des cadeaux à diverses personnes.
Dame ! On a des amis.
Don Salluste
à tort tu me soupçonnes…
je…
DON CÉSAR (faisant sonner ses grègues)
J'ai d'abord rempli mes poches, vous pensez.
(Il se remet à rire)
Vous savez bien ? La dame ! …
Don Salluste
Oh !
DON CÉSAR (qui remarque son anxiété)
Que vous connaissez, -
(don Salluste écoute avec un redoublement d'angoisse)
(Don César poursuit en riant)
Qui m'envoie une duègne, affreuse compagnonne,
dont la barbe fleurit et dont le nez trognonne…
Don Salluste
Pourquoi ?
DON CÉSAR
Pour demander, par prudence et sans bruit,
si c'est bien don César qui l'attend cette nuit…
Don Salluste (à part)
Ciel !
(Haut)
Qu'as-tu répondu ?
DON CÉSAR
J'ai dit que oui, mon maître !
Que je l'attendais !
Don Salluste (à part)
Tout n'est pas perdu peut-être !
DON CÉSAR
Enfin, votre tueur, votre grand capitan,
qui m'a dit sur le pré s'appeler-Guritan,
mouvement de Don Salluste
Qui ce matin n'a pas voulu voir, l'homme sage,
un laquais de César lui portant un message,
et qui venait céans m'en demander raison…
Don Salluste
Eh bien, qu'en as-tu fait ?
DON CÉSAR
J'ai tué cet oison.
Don Salluste
Vrai ?
DON CÉSAR
Vrai. Là, sous le mur, à cette heure il expire.
Don Salluste
Es-tu sûr qu'il soit mort ?
DON CÉSAR
J'en ai peur.
Don Salluste (à part)
Je respire !
Allons ! Bonté du ciel ! Il n'a rien dérangé !
Au contraire. Pourtant donnons-lui son congé.
Débarrassons-nous-en ! Quel rude auxiliaire !
Pour l'argent, ce n'est rien.
(Haut)
L'histoire est singulière.
Et vous n'avez pas vu d'autres personnes ?
DON CÉSAR
Non.
Mais j'en verrai. Je veux continuer. Mon nom,
je compte en faire éclat tout à travers la ville.
Je vais faire un scandale affreux. Soyez tranquille.
Don Salluste (à part)
Diable !
(Vivement et se rapprochant de don César)
Garde l'argent, mais quitte la maison.
DON CÉSAR
Oui ! Vous me feriez suivre ! On sait votre façon.
Puis je retournerais, aimable destinée,
contempler ton azur, ô Méditerranée !
Point.
Don Salluste
Crois-moi.
DON CÉSAR
Non. D'ailleurs, dans ce palais-prison,
je sens quelqu'un en proie à votre trahison.
Toute intrigue de cour est une échelle double.
D'un côté, bras liés, morne et le regard trouble,
monte le patient ; de l'autre, le bourreau.
-or vous êtes bourreau-nécessairement.
Don Salluste
Oh !
DON CÉSAR
Moi ! Je tire l'échelle, et patatras !
Don Salluste
Je jure…
DON CÉSAR
Je veux, pour tout gâter, rester dans l'aventure.
Je vous sais assez fort, cousin, assez subtil,
pour pendre deux ou trois pantins au même fil.
Tiens, j'en suis un ! Je reste !
Don Salluste
écoute…
DON CÉSAR
Rhétorique !
Ah ! Vous
me faites vendre aux pirates d'Afrique !
Ah ! Vous me fabriquez ici des faux César !
Ah ! Vous compromettez mon nom !
Don Salluste
Hasard !
DON CÉSAR
Hasard ?
Mets que font les fripons pour les sots qui le
mangent.
Point de hasard ! Tant pis si vos plans se
dérangent !
Mais je prétends sauver ceux qu'ici vous perdez.
Je vais crier mon nom sur les toits.
(Il monte sur l'appui de la fenêtre et regarde au dehors)
Attendez !
Juste ! Des alguazils passent sous la fenêtre.
(Il passe son bras à travers les barreaux, et l'agite en criant)
Holà ! Don Salluste', effaré, sur le devant du théâtre.(à part)
Tout est perdu s'il se fait reconnaître ! Entrent les alguazils précédés d'un alcade.
(Don Salluste paraît en proie à une vive perplexité)
(Don César va vers l'alcade d'un air de triomphe)