ACTE TROISIÈME - SCÈNE VIII
(FONTANARÈS ESTEBAN, GIRONE ET DEUX OUVRIERS, Personnages muets.)
ESTEBAN
Pourriez-vous nous dire où se cache un nommé Fontanarès ?
FONTANARÈS
Il ne se cache point, le voici : mais il médite dans le silence. (À part.)
Où est donc Qninola ? il sait si bien les renvoyer contents. (Haut.)
Que voulez-vous ?
ESTEBAN
Notre argent ! Depuis trois semaines nous travaillons à votre compte : l'ouvrier vit au jour le jour.
FONTANARÈS
Hélas ! mes amis, moi je ne vis pas.
ESTEBAN
Vous êtes seul, vous, vous pouvez vous serrer le ventre. Mais nous avons femme et enfants. Enfin, nous avons tout mis en gage…
FONTANARÈS
Ayez confiance en moi.
ESTEBAN
Est-ce que nous pouvons payer le boulanger avec votre confiance ?
FONTANARÈS
Je suis un homme d'honneur.
GIRONE
Tiens ! et nous aussi nous avons de l'honneur.
ESTEBAN
Portez donc nos honneurs chez le Lombard, vous verrez ce qu'il prêtera dessus.
GIRONE
Je ne suis pas un homme à talent, moi ! on ne me fait pas crédit.
ESTEBAN
Je ne suis qu'un méchant ouvrier, mais si ma femme a besoin d'une marmite, je la paye, moi !
FONTANARÈS
Qui donc vous ameute ainsi contre moi ?
GIRONE
Ameuter ? Sommes-nous des chiens ?
ESTEBAN
Les magistrats de Barcelone ont rendu une sentence en faveur de maîtres Coppolus et Carpano, qui leur donne privilége sur vos inventions. Où donc est notre privilége, à nous ?
GIRONE
Je ne sors pas d'ici sans mon argent.
FONTANARÈS
Quand vous resterez ici, y trouverez-vous de l'argent ? d'ailleurs, restez, bonsoir.
(Il prend son chapeau et son manteau.)
ESTEBAN
Oh ! vous ne sortirez pas sans nous avoir payés.
(Mouvement chez les ouvrièrs pour barrer la porte.)
GIRONE
Voici une pièce que j'ai forgée, je la garde.
FONTANARÈS
Misérable ! (Il tire son épée.)
LES OUVRIERS
Oh ! nous ne bougerons pas.
FONTANARÈS (fondant sur eux.)
Oh !… (Il s'arrête et jette son épée.)
Peut-être Avaloros et Sarpi les ont-ils envoyés pour me pousser à bout. Je serais accusé de meurtre et pour des années en prison. (Il s'agenouille devant la madone.)
Ô mon Dieu ! le talent et le crime seraient-ils donc une même chose à tes yeux ? Qu'ai-je fait pour souffrir tant d'avanies, tant d'insultes et tant d'outrages ? Faut-il donc d'avance expier le triomphe ? (Aux ouvriers.)
Tout Espagnol est maître dans sa maison.
ESTEBAN
Vous n'avez pas de maison. Nous sommes ici au Soleil-d'Or ; l'hôte nous l'a bien dit.
GIRONE
Vous n'avez pas payé votre loyer, vous ne payez rien !
FONTANARÈS
Restez, mes maîtres ! j'ai tort : je dois.