ACTE QUATRIÈME - SCÈNE II
(Les mêmes, Don FRÉGOSE, FAUSTINE, AVALOROS, SARPI.)
SARPI
Nous arrivons trop tard, la vente est finie…
DON FRÉGOSE
Le roi regrettera d'avoir eu confiance en un charlatan.
FONTANARÈS
Un charlatan, Monseigneur ? Dans quelques jours, vous pouvez me faire trancher la tête ; tuez-moi, mais ne ne me calomniez pas : vous êtes placé trop haut pour descendre si bas.
DON FRÉGOSE
Votre audace égale votre malheur. Oubliez-vous que les magistrats de Barcelone vous regardent comme complice du vol fait à Lothundiaz ? La fuite de votre valet prouve le crime, et vous ne devez d'être libre qu'aux prières de Madame. (Il montre Faustine.)
FONTANARÈS
Mon valet, Excellence, a pu, jadis, commettre des fautes, mais depuis qu'il s'est attaché à ma fortune, il a purifié sa vie au feu de mes épreuves. Par mon honneur, il est innocent. Les pierreries saisies au moment où il les vendait à Mathieu Magis, lui furent librement données par Marie Lothundiaz, de qui je les ai refusées.
FAUSTINE
Quelle fierté dans le malheur ! rien ne saurait donc le faire fléchir.
SARPI
Et comment expliquez-vous la résurrection de votre grand-père, ce faux intendant de l'arsenal de Venise ? car, par malheur, Madame et moi nous connaissons le véritable.
FONTANARÈS
J'ai fait prendre ce déguisement à mon valet pour qu'il causât sciences et mathématiques avec don Ramon. Le seigneur Lothundiaz vous dira que le savant de la Catalogne et Quinola se sont parfaitement entendus.
MONIPODIO (à Quinola.)
Il est perdu !
DON RAMON
J'en appelle… à ma plume.
FAUSTINE
Ne vous courroucez pas, don Ramon, il est si naturel que les gens, en se sentant tomber dans un abîme, y entraînent tout avec eux !
LOTHUNDIAZ
Quel détestable caractère !
FONTANARÈS
Avant de mourir, on doit la vérité, Madame, à ceux qui nous ont poussé dans l'abîme ! (À don Frégose.)
Monseigneur, le roi m'avait promis la protection de ses gens à Barcelonne, et je n'y ai trouvé que la haine ! Ô grands de la terre, riches, vous tous qui tenez en vos mains un pouvoir quelconque, pourquoi donc en faites-vous un obstacle à la pensée nouvelle ? Est-ce donc une loi divine qui vous ordonne de bafouer, de honnir ce que vous devez plus tard adorer ? Plat, humble et flatteur, j'eusse réussi ! Vous avez persécuté dans ma personne ce qu'il a de plus noble en l'homme ! la conscience qu'il a de sa force, la majesté du travail, l'inspiration céleste qui lui met la main à l'œuvre, et… l'amour, cette foi humaine, qui rallume le courage quand il va s'éteindre sous la bise de la raillerie. Ah ! si vous faites mal le bien, en revanche, vous faites toujours très-bien le mal ! Je m'arrête… vous ne valez pas ma colère.
FAUSTINE (à part, après avoir fait un pas.)
Oh ! j'allais lui dire que je l'adore.
DON FRÉGOSE
Sarpi, faites avancer des alguasils, et emparez-vous du complice de Quinola.
(On applaudit, et quelques voix crient : Bravo.)