(FAUSTINE FONTANARÈS.)
FAUSTINE (à part.)
Il est là, debout comme un homme devant un précipice et poursuivi par des tigres. (Haut.)
Pourquoi n'êtes-vous pas aussi grand que votre pensée ? N'y a-t-il donc qu'une femme dans le monde ?
FONTANARÈS
Eh ! croyez-vous, Madame, qu'un homme arrache un pareil amour de son cœur, comme une épée de son fourreau ?
FAUSTINE
Qu'une femme vous aime et vous serve, je le conçois. Mais aimer, pour vous, c'est abdiquer. Tout ce que les plus grands hommes ont tous et toujours souhaité : la gloire, les honneurs, la fortune, et plus que tout cela !… une souveraineté au-dessus des renversements populaires, celle du génie ; voilà le monde des César, des Lucullus et des Luther devant vous !… Et vous avez mis entre vous et cette magnifique existence, un amour digne d'un étudiant d'Alcala. Né géant, vous vous faites nain à plaisir. Mais un homme de génie a, parmi toutes les femmes, une femme spécialement créée pour lui. Cette femme doit être une reine aux yeux du monde, et pour lui une servante, souple comme les hasards de sa vie, gaie dans les souffrances, prévoyante dans le malheur comme dans la prospérité ; surtout indulgente à ses caprices, connaissant le monde et ses tournants périlleux ; capable enfin de ne s'asseoir dans le char triomphal qu'après l'avoir, s'il le faut traîné…
FONTANARÈS
Vous avez fait son portrait.
FAUSTINE
De qui ?
FONTANARÈS
De Marie.
FAUSTINE
Cette enfant t'a-t-elle su défendre ? A-t-elle deviné sa rivale ? Celle qui t'a laissé conquérir est-elle digne de te garder ? Une enfant qui s'est laissée mener pas à pas à l'autel où elle se donne en ce moment… Mais, moi, je serais déjà morte à tes pieds ! Et à qui se donne-t-elle ? à ton ennemi capital qui a reçu l'ordre de faire échouer ton entreprise.
FONTANARÈS
Comment n'être pas fidèle à cet inépuisable amour, qui, par trois fois, est venu me secourir, me sauver, et qui, n'ayant plus qu'à s'offrir lui-même au malheur, s'immole d'une main en me tendant de l'autre, avec ceci (il montre la lettre)
, mon honneur, l'estime du roi, l'admiration de l'univers.
(Entre Paquita qui sort après avoir fait un signe à Faustine.)
FAUSTINE (à part.)
Ah ! la voilà comtesse Sarpi ! (À Fontanarès.)
Ta vie, ta gloire, ta fortune, ton honneur sont enfin dans mes mains, et Marie n'est plus entre nous.
FONTANARÈS
Nous ! nous !
FAUSTINE
Ne me démens point, Alfonse ! j'ai tout conquis de toi, ne me refuse pas ton cœur ! tu n'auras jamais d'amour plus dévoué, plus soumis et plus intelligent ; enfin, tu seras le grand homme que tu dois être.
FONTANARÈS
Votre audace m'épouvante. (Il montre la lettre.)
Avec cette somme je suis encore seul l'arbitre de ma destinée. Quand le roi verra quelle est mon œuvre et ses résultats, il fera casser le mariage obtenu par la violence, et j'aime assez Marie pour attendre.
FAUSTINE
Fontanarès, si je vous aime follement, peut-être est-ce à cause de cette délicieuse simplicité, le cachet du génie…
FONTANARÈS
Elle me glace quand elle sourit.
FAUSTINE
Cet or ! le tenez-vous ?
FONTANARÈS
Le voici.
FAUSTINE
Et vous l'aurais-je laissé donner, si vous l'aviez dû prendre ? Demain, vous trouverez tous vos créanciers entre vous et cette somme que vous leur devez. Sans or, que pourrez-vous ? Votre lutte recommence ! Mais ton œuvre, grand enfant ! n'est pas dispersée, elle est à moi : mon Mathieu Magis en est l'acquéreur, je la tiens sous mes pieds, dans mon palais. Je suis la seule qui ne te volera ni ta gloire, ni ta fortune, ne serait-ce pas me voler moi-même ?
FONTANARÈS
Comment, c'est toi, Vénitienne maudite !…
FAUSTINE
Oui… Depuis que tu m'as insultée, ici, j'ai tout conduit : et Magis et Sarpi, et tes créanciers, et l'hôte du Soleil-d'Or, et les ouvriers ! Mais combien d'amour dans cette fausse haine ! N'as-tu donc pas été réveillé par une larme, la perle de mon repentir, tombée de mes paupières, durant ton sommeil, quand je t'admirais, toi, mon martyr adoré !
FONTANARÈS
Non, tu n'es pas une femme…
FAUSTINE
Ah ! il y a plus qu'une femme, dans une femme qui aime ainsi.
FONTANARÈS
… Et, comme tu n'es pas une femme, je puis te tuer.
FAUSTINE
Pourvu que ce soit de ta main ! (À part.)
Il me hait !
FONTANARÈS
Je cherche…
FAUSTINE
Est-ce quelque chose que je puisse trouver ?
FONTANARÈS
… Un supplice aussi grand que ton crime.
FAUSTINE
Y a-t-il des supplices pour une femme qui aime? Éprouve- moi, va !
FONTANARÈS
Tu m'aimes, Faustine, suis-je bien toute ta vie ? Mes douleurs sont-elles bien les tiennes.
FAUSTINE
Une douleur chez toi devient mille douleurs chez moi.
FONTANARÈS
Si je meurs, tu mourras… Eh bien ! quoique ta vie ne vaille pas l'amour que je viens de perdre, mon sort est fixé.
FAUSTINE
Ah !
FONTANARÈS
J'attendrai, les bras croisés, le jour de mon arrêt. Du même coup, l'âme de Marie et la mienne iront au ciel.
FAUSTINE (se jette aux pieds de Fontanarès.)
Alfonso ! je reste à tes pieds jusqu'à ce que tu m'aies promis…
FONTANARÈS
Eh ! courtisane infâme, laisse-moi. (Il la repousse.)
FAUSTINE
Vous l'avez dit en pleine place publique : les hommes insultent ce qu'ils doivent plus tard adorer.
À MADAME LA COMTESSE NATALIE DE MANERVILLE.« Je cède à ton désir. Le privilége de la femme que nous aimons plus qu’elle ne nous aime est de nous faire oublier...
DÉDICACE.Et nunc et semper dilectae dicatum.Louis Lambert naquit, en 1797, à Montoire, petite ville du Vendômois, où son père exploitait une tannerie de médiocre importance et comptait faire de lui...
(Un salon à l'hôtel de Montsorel.)(LA DUCHESSE DE MONTSOREL, MADEMOISELLE DE VAUDREY.)LA DUCHESSEAh ! vous m'avez attendue, combien vous êtes bonne !MADEMOISELLE DE VAUDREYQu'avez-vous, Louise ? Depuis douze ans que nous pleurons ensemble,...
(Le théâtre représente une mansarde et l'atelier d'une fleuriste. Au lever du rideau Paméla travaille, et Joseph Binet est assis. La mansarde va vers le fond du théâtre ; la porte...
"La Marâtre" est une tragédie en cinq actes écrite par Honoré de Balzac, moins connu pour son travail dramatique que pour ses romans et nouvelles. La pièce, qui date de...