ACTE TROISIÈME - SCÈNE IV



(Les mêmes, MATHIEU MAGIS.)

QUINOLA
Oh ! voilà notre Lombard ; il regarde toutes les pièces comme si elles étaient déjà sa propriété légitime.

MATHIEU MAGIS
Je suis votre très-humble serviteur, mon cher seigneur Fontanarès.

QUINOLA
Toujours comme le marbre, poli, sec et froid.

FONTANARÈS
Je vous salue, monsieur Magis. (Il se coupe du pain.)

MATHIEU MAGIS
Vous êtes un homme sublime, et, pour mon compte, je vous veux toute sorte de bien.

FONTANARÈS
Et c'est pour cela que vous venez me faire toute sorte de mal ?

MATHIEU MAGIS
Vous me brusquez ! ça n'est pas bien. Vous ignorez qu'il y a deux hommes en moi.

FONTANARÈS
Je n'ai jamais vu l'autre.

MATHIEU MAGIS
J'ai du cœur hors les affaires.

QUINOLA
Mais vous êtes toujours en affaires.

MATHIEU MAGIS
Je vous admire luttant tout deux.

FONTANARÈS
L'admiration est le sentiment qui se fatigue le plus promptement chez l'homme. D'ailleurs vous ne prêtez pas sur les sentiments.

MATHIEU MAGIS
Il y a des sentiments qui rapportent et des sentiments qui ruinent. Vous êtes animés par la foi, c'est très-beau, mais c'est ruineux. Nous fîmes, il y a six mois, de petites conventions : vous me demandâtes trois mille sequins pour vos expériences…

QUINOLA
À la condition de vous en rendre cinq mille.

FONTANARÈS
Eh bien ?

MATHIEU MAGIS
Le terme est expiré depuis deux mois.

FONTANARÈS
Vous nous avez fait sommation, il y a deux mois, et raide, le lendemain même de l'échéance.

MATHIEU MAGIS
Oh ! sans fâcherie, uniquement pour être en mesure.

FONTANARÈS
Eh bien ! après ?

MATHIEU MAGIS
Vous êtes aujourd'hui mon débiteur.

FONTANARÈS
Déjà huit mois, passés comme un songe ! Et je viens de me poser seulement cette nuit le problème à résoudre pour faire arriver l'eau froide, afin de dissoudre la vapeur ! Magis, mon ami, soyez mon protecteur, donnez-moi quelques jours de plus ?

MATHIEU MAGIS
Oh ! tout ce que vous voudrez.

QUINOLA
Vrai ? Eh bien ! voilà l'autre homme qui paraît. (À Fontanarès.)
Monsieur, celui-là serait mon ami. (À Magis.)
Voyons, Magis Deux, quelques doublons ?

FONTANARÈS
Ah ! je respire.

MATHIEU MAGIS
C'est tout simple. Aujourd'hui je ne suis plus seulement prêteur, je suis prêteur et copropriétaire, et je veux tirer parti de ma propriété.

QUINOLA
Ah ! triple chien.

FONTANARÈS
Y pensez-vous ?

MATHIEU MAGIS
Les capitaux sont sans foi.

QUINOLA
Sans espérance ni charité ; les écus ne sont pas catholiques.

MATHIEU MAGIS
À qui vient toucher une lettre de change, nous ne pouvons pas dire : "Attendez! un homme de talent est en train de chercher une mine d'or dans un grenier ou dans une écurie !" En six mois, j'aurais doublé mes petits sequins. Écoutez, Monsieur, j'ai une petite famille.

FONTANARÈS (à Quinola.)
Ça a une femme !

QUINOLA
Et si ça fait des petits, ils mangeront la Catalogne.

MATHIEU MAGIS
J'ai de lourdes charges.

FONTANARÈS
Vous voyez comme je vis.

MATHIEU MAGIS
Eh ! Monsieur, si j'étais riche, je vous prêterais… (Quinola tend la main)
de quoi vivre mieux.

FONTANARÈS
Attendez encore quinze jours.

MATHIEU MAGIS (à part.)
Ils me fendent le cœur. Si ça me regardait, je me laisserais peut-être aller ; mais il faut gagner ma commission, la dot de ma fille. (Haut.)
Vraiment, je vous aime beaucoup, vous me plaisez…

QUINOLA (à part.)
Dire qu'on aurait un procès criminel si on l'étranglait !

FONTANARÈS
Vous êtes de fer, je serai comme l'acier.

MATHIEU MAGIS
Qu'est-ce, Monsieur ?

FONTANARÈS
Vous resterez avec moi, malgré vous.

MATHIEU MAGIS
Non, je veux mes capitaux, et je ferai plutôt saisir et vendre toute cette ferraille.

FONTANARÈS
Ah ! vous m'obligez donc à repousser la ruse par la ruse. J'allais loyalement !… Je quitterai, s'il le faut, le droit chemin, à votre exemple. On m'accusera, moi ! car on nous veut parfaits ! Mais j'accepte la calomnie. Encore ce calice à boire ! Vous avez fait un contrat insensé, vous en signerez un autre, ou vous me verrez mettre mon œuvre en mille morceaux, et garder là (il se frappe le cœur)
mon secret.

MATHIEU MAGIS
Ah ! Monsieur, vous ne ferez pas cela. Ce serait un vol, une friponnerie dont est incapable un grand homme.

FONTANARÈS
Ah ! vous vous armez de ma probité pour assurer le succès d'une monstrueuse injustice !

MATHIEU MAGIS
Tenez, je ne veux point être dans tout ceci, vous vous entendrez avec don Ramon, un bien galant homme, à qui je vais céder mes droits.

FONTANARÈS
Don Ramon ?

QUINOLA
Celui que tout Barcelone vous oppose.

FONTANARÈS
Après tout, mon dernier problème est résolu. La gloire, la fortune vont enfin ruisseler avec le cours de ma vie.

QUINOLA
Ces paroles annoncent toujours, hélas ! un rouage à refaire.

FONTANARÈS
Bah ! une affaire de cent sequins.

MATHIEU MAGIS
Tout ce que vous avez ici, vendu par autorité de justice, ne les donnerait pas, les frais prélevés.

QUINOLA
Pâture à corbeaux, veux-tu te sauver !

MATHIEU MAGIS
Ménagez don Ramon, il saura bien hypothéquer sa créance sur votre tête. (Il revient sur Quinola.)
Quant à toi, fruit de potence, si tu me tombes sous la main, je me vengerai ! (À Fontanarès.)
Adieu, homme de génie. (Il sort.)
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