Acte V - Scène III
Alidor
Ainsi tout me succède ;
Ses plus ardents désirs se règlent sur mes vœux:
Il accepte Angélique, et la rend quand je veux ;
Quand je tâche à la perdre, il meurt de m'en défaire ;
Quand je l'aime, elle cesse aussitôt de lui plaire.
Mon cœur prêt à guérir, le sien se trouve atteint ;
Et mon feu rallumé, le sien se trouve éteint:
Il aime quand je quitte, il quitte alors que j'aime ;
Et sans être rivaux, nous aimons en lieu même.
C'en est fait, Angélique, et je ne saurais plus
Rendre contre tes yeux des combats superflus.
De ton affection cette preuve dernière
Reprend sur tous mes sens une puissance entière.
Les ombres de la nuit m'ont redonné le jour:
Que j'eus de perfidie, et que je vis d'amour !
Quand je sus que Cléandre avait manqué sa proie,
Que j'en eus de regret, et que j'en ai de joie !
Plus je t'étais ingrat, plus tu me chérissais ;
Et ton ardeur croissait plus je te trahissais.
Aussi j'en fus honteux, et confus dans mon âme,
La honte et le remords rallumèrent ma flamme.
Que l'amour pour nous vaincre a de chemins divers !
Et que malaisément on rompt de si beaux fers !
C'est en vain qu'on résiste aux traits d'un beau visage ;
En vain, à son pouvoir refusant son courage,
On veut éteindre un feu par ses yeux allumé,
Et ne le point aimer quand on s'en voit aimé:
Sous ce dernier appas l'amour a trop de force ;
Il jette dans nos cœurs une trop douce amorce,
Et ce tyran secret de nos affections
Saisit trop puissamment nos inclinations.
Aussi ma liberté n'a plus rien qui me flatte ;
Le grand soin que j'en eus partait d'une âme ingrate,
Et mes desseins, d'accord avecque mes désirs,
À servir Angélique ont mis tous mes plaisirs.
Mais, hélas ! ma raison est-elle assez hardie
Pour croire qu'on me souffre après ma perfidie ?
Quelque secret instinct, à mon bonheur fatal,
Ne la porte-t-il point à me vouloir du mal ?
Que de mes trahisons elle serait vengée,
Si, comme mon humeur, la sienne était changée !
Mais qui la changerait, puisqu'elle ignore encor
Tous les lâches complots du rebelle Alidor ?
Que dis-je, malheureux ? Ah ! c'est trop me méprendre,
Elle en a trop appris du billet de Cléandre ;
Son nom au lieu du mien en ce papier souscrit
Ne lui montre que trop le fond de mon esprit.
Sur ma foi toutefois elle le prit sans lire ;
Et si le ciel vengeur contre moi ne conspire,
Elle s'y fie assez pour n'en avoir rien lu.
Entrons, quoi qu'il en soit, d'un esprit résolu ;
Dérobons à ses yeux le témoin de mon crime ;
Et si pour l'avoir lu sa colère s'anime,
Et qu'elle veuille user d'une juste rigueur,
Nous savons les moyens de regagner son cœur.