Acte IV - Scène première
(Alidor, Cléandre, troupe d'armes)
(L'acte est dans la nuit, et Alidor dit ce premier vers à Cléandre ; et l'ayant fait retirer avec sa troupe, il continue seul.)
Alidor
Attends, sans faire bruit, que je t'en avertisse.
Enfin la nuit s'avance, et son voile propice
Me va faciliter le succès que j'attends
Pour rendre heureux Cléandre, et mes désirs contents.
Mon cœur, las de porter un joug si tyrannique,
Ne sera plus qu'une heure esclave d'Angélique.
Je vais faire un ami possesseur de mon bien:
Aussi dans son bonheur je rencontre le mien.
C'est moins pour l'obliger que pour me satisfaire,
Moins pour le lui donner qu'afin de m'en défaire.
Ce trait paraîtra lâche et plein de trahison,
Mais cette lâcheté m'ouvrira ma prison.
Je veux bien à ce prix avoir l'âme traîtresse,
Et que ma liberté me coûte une maî tresse.
Que lui fais-je, après tout, qu'elle n'ait mérité,
Pour avoir, malgré moi, fait ma captivité ?
Qu'on ne m'accuse point d'aucune ingratitude ;
Ce n'est que me venger d'un an de servitude,
Que rompre son dessein, comme elle a fait le mien,
Qu'user de mon pouvoir, comme elle a fait du sien,
Et ne lui pas laisser un si grand avantage
De suivre son humeur, et forcer mon courage.
Le forcer ! mais, hélas ! que mon consentement
Par un si doux effort fut surpris aisément !
Quel excès de plaisirs goûta mon imprudence
Avant que réfléchir sur cette violence !
Examinant mon feu, qu'est-ce que je ne perds ?
Et qu'il m'est cher vendu de connaître mes fers !
Je soupçonne déjà mon dessein d'injustice,
Et je doute s'il est ou raison ou caprice.
Je crains un pire mal après ma guérison,
Et d'aller au supplice en rompant ma prison.
Alidor, tu consens qu'un autre la possède !
Tu t'exposes sans crainte à des maux sans remède !
Ne romps point les effets de son intention,
Et laisse un libre cours à ton affection.
Fais ce beau coup pour toi ; suis l'ardeur qui te presse.
Mais trahir ton ami ! mais trahir ta maîtresse !
Je n'en veux obliger pas un à me haïr,
Et ne sais qui des deux, ou servir, ou trahir.
Quoi ! je balance encor, je m'arrête, je doute !
Mes résolutions, qui vous met en déroute ?
Revenez, mes desseins, et ne permettez pas
Qu'on triomphe de vous avec un peu d'appas.
En vain pour Angélique ils prennent la querelle ;
Cléandre, elle est à toi, nous sommes deux contre elle.
Ma liberté conspire avecque tes ardeurs ;
Les miennes désormais vont tourner en froideurs ;
Et lassé de souffrir un si rude servage,
J'ai l'esprit assez fort pour combattre un visage.
Ce coup n'est qu'un effet de générosité,
Et je ne suis honteux que d'en avoir douté.
Amour, que ton pouvoir tâche en vain de paraître.
Fuis, petit insolent, je veux être le maître ;
Il ne sera pas dit qu'un homme tel que moi,
En dépit qu'il en ait, obéisse à ta loi.
Je ne me résoudrai jamais à l'hyménée
Que d'une volonté franche et déterminée,
Et celle à qui ses nœuds m'uniront pour jamais
M'en sera redevable, et non à ses attraits ;
Et ma flamme…