Acte III - Scène IV



('''Alidor, Cléandre)

Alidor
Eh bien, Cléandre, ai-je su t'obliger ?

Cléandre
Pour m'avoir obligé, que je vais t'affliger !
Doraste a pris le temps des dépits d'Angélique.

Alidor
Après ?

Cléandre
Après cela tu veux que je m'explique ?

Alidor
Qu'en a-t-il obtenu ?

Cléandre
Par-delà son espoir ;
Il l'épouse demain, lui donne bal ce soir,
Juge, juge par là si mon mal est extrême.

Alidor
En es-tu bien certain ?

Cléandre
J'ai tout su de lui-même.

Alidor
Que je serais heureux si je ne t'aimais point !
Ton malheur aurait mis mon bonheur à son point ;
La prison d'Angélique aurait rompu la mienne.
Quelque empire sur moi que son visage obtienne,
Ma passion fût morte avec sa liberté ;
Et trop vain pour souffrir qu'en sa captivité
Les restes d'un rival m'eussent enchaîné l'âme,
Les feux de son hymen auraient éteint ma flamme.
Pour forcer sa colère à de si doux effets,
Quels efforts, cher ami, ne me suis-je point faits !
Malgré tout mon amour, prendre un orgueil farouche,
L'adorer dans le cœur, et l'outrager de bouche ;
J'ai souffert ce supplice, et me suis feint léger,
De honte et de dépit de ne pouvoir changer.
Et je vois, près du but où je voulais prétendre,
Les fruits de mon travail n'être pas pour Cléandre !
À ces conditions mon bonheur me déplaît.
Je ne puis être heureux, si Cléandre ne l'est.
Ce que je t'ai promis ne peut être à personne ;
Il faut que je périsse, ou que je te le donne.
J'aurais trop de moyens de te garder ma foi ;
Et malgré les destins Angélique est à toi.

Cléandre
Ne trouble point pour moi le repos de ton âme ;
Il t'en coûterait trop pour avancer ma flamme.
Sans que ton amitié fasse un second effort,
Voici de qui j'aurai ma maîtresse ou la mort.
Si Doraste a du cœur, il faut qu'il la défende,
Et que l'épée au poing il la gagne ou la rende.

Alidor
Simple ! par le chemin que tu penses tenir,
Tu la lui peux ôter, mais non pas l'obtenir.
La suite des duels ne fut jamais plaisante:
C'était, ces jours passés, ce que disait Théante.
Je veux prendre un moyen et plus court et plus seur,
Et sans aucun péril t'en rendre possesseur.
Va-t'en donc, et me laisse auprès de ta maîtresse
De mon reste d'amour faire jouer l'adresse.

Cléandre
Cher ami…

Alidor
Va-t'en, dis-je, et par tes compliments
Cesse de t'opposer à tes contentements ;
Désormais en ces lieux tu ne fais que me nuire.

Cléandre
Je vais donc te laisser ma fortune à conduire.
Adieu. Puissé-je avoir les moyens à mon tour
De faire autant pour toi que toi pour mon amour !

Alidor (,''seul''.)
Que pour ton amitié je vais souffrir de peine !
Déjà presque échappé, je rentre dans ma chaîne.
Il faut encore un coup, m'exposant à ses yeux,
Reprendre de l'amour, afin d'en donner mieux.
Mais reprendre un amour dont je veux me défaire,
Qu'est-ce qu'à mes desseins un chemin tout contraire ?
Allons-y toutefois, puisque je l'ai promis:
Et que la peine est douce à qui sert ses amis.

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