Acte II - Scène II



('''Alidor, Angélique)

Alidor
Puis-je avoir un moment de ton cher entretien ?
Mais j'appelle un moment, de même qu'une année
Passe entre deux amants pour moins qu'une journée.

Angélique
Avec de tels discours oses-tu m'aborder,
Perfide, et sans rougir peux-tu me regarder ?
As-tu cru que le ciel consentît à ma perte,
Jusqu'à souffrir encor ta lâcheté couverte ?
Apprends, perfide, apprends que je suis hors d'erreur ;
Tes yeux ne me sont plus que des objets d'horreur.
Je ne suis plus charmée ; et mon âme, plus saine,
N'eût jamais tant d'amour qu'elle a pour toi de haine.

Alidor
Voilà me recevoir avec des compliments
Qui seraient pour tout autre un peu moins que charmants.
Quel en est le sujet ?

Angélique
Le sujet ? lis, parjure ;
Et puis accuse-moi de te faire une injure !

Alidor (lit la lettre entre les mains d'Angélique.)
Lettre supposée d'Alidor à Clarine.
Clarine, je suis tout à vous ;
Ma liberté vous rend les armes:
Angélique n'a point de charmes
Pour me défendre de vos coups ;
Ce n'est qu'une idole mouvante ;
Ses yeux sont sans vigueur, sa bouche sans appas:
Alors que je l'aimais, je ne la connus pas ;
Et de quelques attraits que ce monde vous vante,
Vous devez mes affections
Autant à ses défauts qu'à vos perfections.

Angélique
Eh bien, ta perfidie est-elle en évidence ?

Alidor
Est-ce là tant de quoi ?

Angélique
Tant de quoi ? l'impudence !
Après mille serments il me manque de foi,
Et me demande encor si c'est là tant de quoi !
Change, si tu le veux ; je n'y perds qu'un volage:
Mais en m'abandonnant, laisse en paix mon visage ;
Oublie avec ta foi ce que j'ai de défauts ;
N'établis point tes feux sur le peu que je vaux ;
Fais que, sans m'y mêler, ton compliment s'explique,
Et ne le grossis point du mépris d'Angélique.

Alidor
Deux mots de vérité vous mettent bien aux champs.

Angélique
Ciel, tu ne punis point des hommes si méchants !
Ce traître vit encore, il me voit, il respire,
Il m'affronte, il l'avoue, il rit quand je soupire.

Alidor
Vraiment le ciel a tort de ne vous pas donner,
Lorsque vous tempêtez, sa foudre à gouverner ;
Il devrait avec vous être d'intelligence.
(''Angélique déchire la lettre et en jette les morceaux, et Alidor continue''.)
Le digne et grand objet d'une haute vengeance !
Vous traitez du papier avec trop de rigueur.

Angélique
Que n'en puis-je autant faire à ton perfide cœur !

Alidor
Qui ne vous flatte point puissamment vous irrite.
Pour dire franchement votre peu de mérite,
Commet-on des forfaits si grands et si nouveaux
Qu'on doive tout à l'heure être mis en morceaux ?
Si ce crime autrement ne saurait se remettre,
(''Il lui présente aux yeux un miroir qu'elle porte à sa ceinture''.)
Cassez ; ceci vous dit encor pis que ma lettre.

Angélique
S'il me dit mes défauts autant ou plus que toi,
Déloyal, pour le moins il n'en dit rien qu'à moi:
C'est dedans son cristal que je les étudie ;
Mais après il s'en tait, et moi j'y remédie.
Il m'en donne un avis sans me les reprocher,
Et, me les découvrant, il m'aide à les cacher.

Alidor
Vous êtes en colère, et vous dites des pointes ?
Ne présumiez-vous point que j'irais, à mains jointes,
Les yeux enflés de pleurs et le cœur de soupirs,
Vous faire offre à genoux de mille repentirs ?
Que vous êtes à plaindre, étant si fort déçue !

Angélique
Insolent ! ôte-toi pour jamais de ma vue.

Alidor
Me défendre vos yeux après mon changement,
Appelez-vous cela du nom de châtiment ?
Ce n'est que me bannir du lieu de mon supplice ;
Et ce commandement est si plein de justice,
Que, bien que je renonce à vivre sous vos lois,
Je vais vous obéir pour la dernière fois.

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