ACTE III - Scène 6



(MERCURE, SOSIE.)


MERCURE
Arrête. Quoi ? tu viens ici mettre ton nez, Impudent fleureur de cuisine ?

SOSIE
Ah ! de grâce, tout doux !

MERCURE
Ah ! vous y retournez ! Je vous ajusterai l'échine.

SOSIE
Hélas ! brave et généreux moi, Modère-toi, je t'en supplie. Sosie, épargne un peu Sosie, Et ne te plais point tant à frapper dessus toi.

MERCURE
Qui de t'appeler de ce nom A pu te donner la licence ? Ne t'en ai-je pas fait une expresse défense, Sous peine d'essuyer mille coups de bâton ?

SOSIE
C'est un nom que tous deux nous pouvons à la fois Posséder sous un même maître. Pour Sosie en tous lieux on sait me reconnaître ; Je souffre bien que tu le sois : Souffre aussi que je le puisse être. Laissons aux deux Amphitryons Faire éclater des jalousies ; Et parmi leurs contentions, Faisons en bonne paix vivre les deux Sosies.

MERCURE
Non : c'est assez d'un seul, et je suis obstiné À ne point souffrir de partage.

SOSIE
Du pas devant sur moi tu prendras l'avantage ; Je serai le cadet, et tu seras l'aîné.

MERCURE
Non : un frère incommode, et n'est pas de mon goût, Et je veux être fils unique.

SOSIE
Ô cœur barbare et tyrannique ! Souffre qu'au moins je sois ton ombre…

MERCURE
Point du tout.

SOSIE
Que d'un peu de pitié ton âme s'humanise ; En cette qualité souffre-moi près de toi : Je te serai partout une ombre si soumise, Que tu seras content de moi.

MERCURE
Point de quartier : immuable est la loi. Si d'entrer là-dedans tu prends encor l'audace, Mille coups en seront le fruit.

SOSIE
Las ! à quelle étrange disgrâce, Pauvre Sosie, es-tu réduit !

MERCURE
Quoi ? ta bouche se licencie À te donner encore un nom que je défends ?

SOSIE
Non, ce n'est pas moi que j'entends, Et je parle d'un vieux Sosie Qui fut jadis de mes parents, Qu'avec très grande barbarie, À l'heure du dîner, l'on chassa de céans.

MERCURE
Prends garde de tomber dans cette frénésie, Si tu veux demeurer au nombre des vivants.

SOSIE
Que je te rosserais, si j'avais du courage, Double fils de putain, de trop d'orgueil enflé !

MERCURE
Que dis-tu ?

SOSIE
Rien.

MERCURE
Tu tiens, je crois, quelque langage.

SOSIE
Demandez : je n'ai pas soufflé.

MERCURE
Certain mot de fils de putain A pourtant frappé mon oreille, Il n'est rien de plus certain.

SOSIE
C'est donc un perroquet que le beau temps réveille.

MERCURE
Adieu. Lorsque le dos pourra te démanger, Voilà l'endroit où je demeure.

SOSIE
Ô Ciel ! que l'heure de manger Pour être mis dehors est une maudite heure ! Allons, cédons au sort dans notre affliction, Suivons-en aujourd'hui l'aveugle fantaisie ; Et par une juste union, Joignons le malheureux Sosie Au malheureux Amphitryon. Je l'aperçois venir en bonne compagnie.

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