ACTE III - Scène 2
(MERCURE, AMPHITRYON.)
MERCURE
Comme l'amour ici ne m'offre aucun plaisir, Je m'en veux faire au moins qui soient d'autre nature, Et je vais égayer mon sérieux loisir À mettre Amphitryon hors de toute mesure. Cela n'est pas d'un Dieu bien plein de charité ; Mais aussi n'est-ce pas ce dont je m'inquiète, Et je me sens par ma planète À la malice un peu porté.
AMPHITRYON
D'où vient donc qu'à cette heure on ferme cette porte ?
MERCURE
Holà ! tout doucement ! Qui frappe ?
AMPHITRYON
Moi.
MERCURE
Qui, moi ?
AMPHITRYON
Ah ! ouvre.
MERCURE
Comment, ouvre ? Et qui donc es-tu, toi, Qui fais tant de vacarme et parles de la sorte ?
AMPHITRYON
Quoi ? tu ne me connais pas ?
MERCURE
Non, Et n'en ai pas la moindre envie.
AMPHITRYON
Tout le monde perd-il aujourd'hui la raison ? Est-ce un mal répandu ? Sosie, holà ! Sosie !
MERCURE
Hé bien ! Sosie : oui, c'est mon nom ; As-tu peur que je ne l'oublie ?
AMPHITRYON
Me vois-tu bien ?
MERCURE
Fort bien. Qui peut pousser ton bras À faire une rumeur si grande ? Et que demandes-tu là-bas ?
AMPHITRYON
Moi, pendard ! ce que je demande ?
MERCURE
Que ne demandes-tu donc pas ? Parle, si tu veux qu'on t'entende.
AMPHITRYON
Attends, traître : avec un bâton Je vais là-haut me faire entendre, Et de bonne façon t'apprendre À m'oser parler sur ce ton.
MERCURE
Tout beau ! si pour heurter tu fais la moindre instance, Je t'enverrai d'ici des messagers fâcheux.
AMPHITRYON
Ô Ciel ! vit-on jamais une telle insolence ? La peut-on concevoir d'un serviteur, d'un gueux ?
MERCURE
Hé bien ! qu'est-ce ? M'as-tu tout parcouru par ordre ? M'as-tu de tes gros yeux assez considéré ? Comme il les écarquille, et paraît effaré ! Si des regards on pouvait mordre, Il m'aurait déjà déchiré.
AMPHITRYON
Moi-même je frémis de ce que tu t'apprêtes, Avec ces impudents propos. Que tu grossis pour toi d'effroyables tempêtes ! Quels orages de coups vont fondre sur ton dos !
MERCURE
L'ami, si de ces lieux tu ne veux disparaître, Tu pourras y gagner quelque contusion.
AMPHITRYON
Ah ! tu sauras, maraud, à ta confusion, Ce que c'est qu'un valet qui s'attaque à son maître.
MERCURE
Toi, mon maître ?
AMPHITRYON
Oui, coquin. M'oses-tu méconnaître ?
MERCURE
Je n'en reconnais point d'autre qu'Amphitryon.
AMPHITRYON
Et cet Amphitryon, qui, hors moi, le peut être ?
MERCURE
Amphitryon ?
AMPHITRYON
Sans doute.
MERCURE
Ah ! quelle vision ! Dis-nous un peu : quel est le cabaret honnête Où tu t'es coiffé le cerveau ?
AMPHITRYON
Comment ? encor ?
MERCURE
Était-ce un vin à faire fête ?
AMPHITRYON
Ciel !
MERCURE
Était-il vieux, ou nouveau ?
AMPHITRYON
Que de coups !
MERCURE
Le nouveau donne fort dans la tête, Quand on le veut boire sans eau.
AMPHITRYON
Ah ! je t'arracherai cette langue sans doute.
MERCURE
Passe, mon pauvre ami, crois-moi : Que quelqu'un ici ne t'écoute. Je respecte le vin : va-t'en, retire-toi, Et laisse Amphitryon dans les plaisirs qu'il goûte.
AMPHITRYON
Comment Amphitryon est là dedans ?
MERCURE
Fort bien : Qui, couvert des lauriers d'une victoire pleine, Est auprès de la belle Alcmène, À jouir des douceurs d'un aimable entretien. Après le démêlé d'un amoureux caprice, Ils goûtent le plaisir de s'être rajustés. Garde-toi de troubler leurs douces privautés, Si tu ne veux qu'il ne punisse L'excès de tes témérités.