ACTE PREMIER - Scène XV
(MARCASSOL TREMOLLET)
TREMOLLET( passant la tête. )
Personne !… (Apercevant Marcassol, il referme vivement la porte.)
MARCASSOL
Eh bien, qu'est-ce que c'est ? Qui est là ? Entrez !…
TREMOLLET( entrant timidement. )
Monsieur, c'est moi !
MARCASSOL
Trémollet… Qu'est-ce que vous voulez ?
TREMOLLET
J'apporte de l'argent.
MARCASSOL
Allons donc ! Vos sept cents francs !
TREMOLLET( timidement. )
Mon Dieu ! non mais un petit acompte : vingt-sept francs soixante-dix !
MARCASSOL
Vingt-sept francs ! Ah ! çà, est-ce que j'ai l'air d'une ganache ?
TREMOLLET
Mon Dieu !… certainement…
MARCASSOL
Comment certainement ! mais vous êtes un impertinent !… et puis, qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse, de vos vingt-sept francs ?
TREMOLLET( vivement. )
Soixante-dix.
MARCASSOL
Il me faut tout ou rien.
TREMOLLET
Eh bien, si c'était un effet de votre bonté, je préférerais… rien !
MARCASSOL
Ah ! vous préférez ! C'est bien ! je vous flanque à la porte !…
TREMOLLET
Voyons, monsieur, encore huit jours, dans huit jours je touche… Et puis le métier va si mal…
MARCASSOL
Quel métier ?
TREMOLLET
Monsieur sait bien, sous-secrétaire aux placements désespérés.
MARCASSOL
Qu'est-ce que c'est que ça ? Encore une banque ?
TREMOLLET
Mais non, l'agence matrimoniale.
MARCASSOL
Ah ! c'est vrai, l'agence matrimoniale ! Vous faites des mariages ! Un joli métier !… C'est du propre !…
TREMOLLET
Mais Monsieur…
MARCASSOL
Eh ! vous croyez que je vous donnerai des sursis, que j'aurai pitié de vous, d'un monsieur qui fait des mariages, un marchand de chaînes, un fabricant de boulets… Ah ! oui… c'est une belle institution que votre mariage, parlons-en !
TREMOLLET
Ah ! mon Dieu !
MARCASSOL
Ah ! si encore ces chaînes pouvaient se rompre, ces boulets se détacher… Si vous pouviez les défaire, ces mariages que vous infligez….
TREMOLLET
Hélas ! c'est impossible, monsieur !…Nous ne fournissons que des maris.
MARCASSOL
Des maris ! des maris ! une belle marchandise !
TREMOLLET
Mais nos maris sont très convenables pour tous les goûts et les tempéraments ! Il n'y a pas une femme qui ne puisse trouver chez nous l'homme qu'elle a rêvé.
MARCASSOL(frappé. )
Qu'elle a rêvé ! Qu'elle a rêvé ! Ah ! mon Dieu !…
TREMOLLET
Qu'avez-vous ?
MARCASSOL(à lui-même. )
Mais oui, cela arrangerait tout !… si jamais je trouve l'homme de mes rêves, je vous rends votre liberté !… Elle me l'a dit. Eh bien ! cet homme…
TREMOLLET
Quoi donc ?
MARCASSOL
Cet homme qu'elle n'a pas trouvé, je pourrais le lui trouver, moi… et alors… plus de femme ! la liberté, la Comtesse, tout ! tout !… (à Trémollet)
Ah ! Trémollet, mon ami ! (Il lui serre la main.)
TREMOLLET
Mais qu'est-ce que vous avez ?
MARCASSOL
Trémollet, vous me devez trois termes ! Voulez-vous être quitte ?
TREMOLLET
Si je le veux…
MARCASSOL
Trémollet ! Vous habitez une mansarde, voulez-vous le rez-de-chaussée ?
TREMOLLET
Moi ?
MARCASSOL
Voulez-vous devenir mon ami ? Etre ici comme chez vous ?
TREMOLLET( avec émotion. )
Mais, c'est pas de refus, certainement, monsieur Marcassol.
MARCASSOL
Eh bien, tout cela ne dépend que de vous.
TREMOLLET
Que faut-il faire ?
MARCASSOL
Trouvez-moi un mari !
TREMOLLET
Pour vous ?
MARCASSOL
Non ! pour ma femme !
TREMOLLET
Pour votre femme ?
MARCASSOL
Je vous expliquerai cela plus tard. Pouvez-vous me trouver cela ?
TREMOLLET
Mais comment donc, monsieur ! mais rien de plus facile ! mais avec bonheur ! mais tout de suite !
MARCASSOL
Tout de suite ! Ah ! mon ami, vous me sauvez ! mon chapeau !… vite… partons !
TREMOLLET
A l'agence !…