ACTE V - SCÈNE III



Cléopâtre, Antiochus, Rodogune, Oronte,
Laonice, troupe de Parthes et de Syriens.

CLÉOPÂTRE
Approchez, mes enfants, car l'amour maternelle,
Madame, dans mon coeur, vous tient déjà pour telle ;
Et je crois que ce nom ne vous déplaira pas.

RODOGUNE
Je le chérirai même au delà du trépas.
Il m'est trop doux, madame ; et tout l'heur que j'espère,
C'est de vous obéir et respecter en mère.

CLÉOPÂTRE
Aimez-moi seulement : vous allez être rois,
Et s'il faut du respect, c'est moi qui vous le dois.

ANTIOCHUS
Ah ! Si nous recevons la suprême puissance,
Ce n'est pas pour sortir de votre obéissance :
Vous régnerez ici quand nous y régnerons,
Et ce seront vos lois que nous y donnerons.

CLÉOPÂTRE
J'ose le croire ainsi ; mais prenez votre place :
Il est temps d'avancer ce qu'il faut que je fasse.
(ici Antiochus s'assied dans un fauteuil, Rodogune à sa gauche, en même rang, et Cléopâtre à sa droite, mais en rang inférieur, et qui marque quelque inégalité. Oronte s'assied aussi à la gauche de Rodogune, avec la même différence ; et Cléopâtre, cependant qu'ils prennent leurs prennent, parle à l'oreille de Léonice, qui s'en va quérir une coupe pleine de vin empoisonné. Après qu'elle est partie, Cléopâtre continue.)
Peuple qui m'écoutez, Parthes et Syriens,
Sujets du roi son frère, ou qui fûtes les miens,
Voici de mes deux fils celui qu'un droit d'aînesse
élève dans le trône, et donne à la princesse.
Je lui rends cet état que j'ai sauvé pour lui :
Je cesse de régner, il commence aujourd'hui.
Qu'on ne me traite plus ici de souveraine :
Voici votre roi, peuple, et voilà votre reine.
Vivez pour les servir, respectez-les tous deux,
Aimez-les, et mourez, s'il est besoin, pour eux.
Oronte, vous voyez avec quelle franchise
Je leur rends ce pouvoir dont je me suis démise :
Prêtez les yeux au reste, et voyez les effets
Suivre de point en point les traités de la paix.
(Léonice revient avec une coupe à la main.)

ORONTE
Votre sincérité s'y fait assez paraître,
Madame, et j'en ferai récit au roi mon maître.

CLÉOPÂTRE
L'hymen est maintenant notre plus cher souci.
L'usage veut, mon fils, qu'on le commence ici :
Recevez de ma main la coupe nuptiale,
Pour être après unis sous la foi conjugale ;
Puisse-t-elle être un gage, envers votre moitié,
De votre amour ensemble et de mon amitié !

ANTIOCHUS (prenant la coupe)
Ciel ! Que ne dois-je point aux bontés d'une mère ?

CLÉOPÂTRE
Le temps presse, et votre heur d'autant plus se diffère.

ANTIOCHUS
Madame, hâtons donc ces glorieux moments :
Voici l'heureux essai de nos contentements.
Mais si mon frère était le témoin de ma joie…

CLÉOPÂTRE
C'est être trop cruel de vouloir qu'il la voie :
Ce sont des déplaisirs qu'il fait bien d'épargner ;
Et sa douleur secrète a droit de l'éloigner.

ANTIOCHUS
Il m'avait assuré qu'il la verrait sans peine.
Mais n'importe, achevons.

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