ACTE III - Scène III



(Phocas, Pulchérie, Exupère, Amyntas)

Phocas
Et toi, n'espère pas désormais me fléchir :
Je tiens Héraclius, et n'ai plus rien à craindre,
Plus lieu de te flatter, plus lieu de me contraindre ;
Ce frère et ton espoir vont entrer au cercueil,
Et j'abattrai d'un coup sa tête et ton orgueil.
Mais ne te contrains point dans ces rudes alarmes :
Laisse aller tes soupirs, laisse couler tes larmes.

Pulchérie
Moi, pleurer ! Moi, gémir, tyran ! J'aurais pleuré
Si quelques lâchetés l'avaient déshonoré,
S'il n'eût pas emporté sa gloire tout entière,
S'il m'avait fait rougir par la moindre prière,
Si quelque infâme espoir qu'on lui dût pardonner
Eût mérité la mort que tu lui vas donner.
Sa vertu jusqu'au bout ne s'est point démentie ;
Il n'a point pris le ciel ni le sort à partie,
Point querellé le bras qui fait ces lâches coups,
Point daigné contre lui perdre un juste courroux.
Sans te nommer ingrat, sans trop le nommer traître,
De tous deux, de soi-même il s'est montré le maître,
Et dans cette surprise il a bien su courir
À la nécessité qu'il voyait de mourir.
Je goûtais cette joie en un sort si contraire.
Je l'aimai comme amant, je l'aime comme frère ;
Et dans ce grand revers je l'ai vu hautement
Digne d'être mon frère, et d'être mon amant.

Phocas
Explique, explique mieux le fond de ta pensée,
Et, sans plus te parer d'une vertu forcée,
Pour apaiser le père, offre le cœur au fils,
Et tâche à racheter ce cher frère à ce prix.

Pulchérie
Crois-tu que sur la foi de tes fausses promesses
Mon âme ose descendre à de telles bassesses ?
Prends mon sang pour le sien, mais, s'il y faut mon cœur,
Périsse Héraclius avec sa triste sœur !

Phocas
Eh bien, il va périr ; ta haine en est complice.

Pulchérie
Et je verrai du ciel bientôt choir ton supplice :
Dieu, pour le réserver à ses puissantes mains,
Fait avorter exprès tous les moyens humains ;
Il veut frapper le coup sans notre ministère ;
Si l'on t'a bien donné Léonce pour mon frère,
Les quatre autres peut-être, à tes yeux abusés,
Ont été comme lui des Césars supposés.
L'Etat, qui, dans leur mort, voyait trop sa ruine,
Avait des généreux autres que Léontine ;
Ils trompaient d'un barbare aisément la fureur,
Qui n'avait jamais vu la cour ni l'empereur.
Crains, tyran, crains encor : tous les quatre peut-être
L'un après l'autre enfin se vont faire paraître,
Et malgré tous tes soins, malgré tout ton effort,
Tu ne les connaîtras qu'en recevant la mort.
Moi-même, à leur défaut, je serai la conquête
De quiconque à mes pieds apportera ta tête ;
L'esclave le plus vil qu'on puisse imaginer
Sera digne de moi, s'il peut t'assassiner.
Va perdre Héraclius et quitte la pensée
Que je me pare ici d'une vertu forcée,
Et, sans m'importuner de répondre à tes vœux,
Si tu prétends régner, défais-toi de tous deux.

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