ACTE V - Scène V
(Héraclius, Martian, Pulchérie)
Pulchérie
Le lâche, il vous flattait lorsqu'il tremblait dans l'âme !
Mais tel est d'un tyran le naturel infâme:
Sa douceur n'a jamais qu'un mouvement contraint.
S'il ne craint, il opprime, et s'il n'opprime, il craint;
L'une et l'autre fortune en montre la faiblesse :
L'une n'est qu'insolence, et l'autre que bassesse.
À peine est-il sorti de ces lâches terreurs
Qu'il a trouvé pour moi le comble des horreurs.
Mes frères, puisque enfin vous voulez tous deux l'être,
Si vous m'aimez en sœur, faites-le-moi paraître.
Héraclius
Que pouvons-nous tous deux, lorsqu'on tranche nos jours ?
Pulchérie
Un généreux conseil est un puissant secours.
Martian
Il n'est point de conseil qui vous soit salutaire
Que d'épouser le fils pour éviter le père :
L'horreur d'un mal plus grand vous y doit disposer.
Pulchérie
Qui me le montrera, si je veux l'épouser ?
Et dans cet hyménée, à ma gloire funeste,
Qui me garantira des périls de l'inceste ?
Martian
Je le vois trop à craindre et pour vous et pour nous.
Mais, Madame ; on peut prendre un vain titre d'époux,
Abuser du tyran la rage forcenée,
Et vivre en frère et sœur sous un feint hyménée.
Pulchérie
Feindre et nous abaisser à cette lâcheté !
Héraclius
Pour tromper un tyran, c'est générosité,
Et c'est mettre, en faveur d'un frère qu'il vous donne,
Deux ennemis secrets auprès de sa personne,
Qui, dans leur juste haine animés et constants,
Sur l'ennemi commun sauront prendre leur temps,
Et terminer bientôt la feinte avec sa vie.
Pulchérie
Pour conserver vos jours et fuir mon infamie,
Feignons, vous le voulez, et j'y résiste en vain.
Sus donc, qui de vous deux me prêtera la main ?
Qui veut feindre avec moi ? Qui sera mon complice ?
Héraclius
Vous, Prince, à qui le ciel inspire l'artifice.
Martian
Vous, que veut le tyran pour fils obstinément.
Héraclius
Vous, qui depuis quatre ans la servez en amant.
Martian
Vous saurez mieux que moi surprendre sa tendresse.
Héraclius
Vous saurez mieux que moi la traiter de maîtresse.
Martian
Vous aviez commencé tantôt d'y consentir.
Pulchérie
Ah ! Princes, votre cœur ne peut se démentir,
Et vous l'avez tous deux trop grand, trop magnanime,
Pour souffrir sans horreur l'ombre même d'un crime.
Je vous connaissais trop pour juger autrement
Et de votre conseil, et de l'événement,
Et je n'y déférais que pour vous voir dédire.
Toute fourbe est honteuse aux cœurs nés pour l'empire :
Princes, attendons tout, sans consentir à rien.
Héraclius
Admirez cependant quel malheur est le mien :
L'obscure vérité que de mon sang je signe,
Du grand nom qui me perd ne peut me rendre digne ;
On n'en croit pas ma mort, et je perds mon trépas,
Puisque mourant pour lui je ne le sauve pas.
Martian
Voyez d'autre côté quelle est ma destinée,
Madame : dans le cours d'une seule journée,
Je suis Héraclius, Léonce et Martian,
Je sors d'un empereur, d'un tribun, d'un tyran.
De tous trois ce désordre en un jour me fait naître,
Pour me faire mourir enfin sans me connaître.
Pulchérie
Cédez, cédez tous deux aux rigueurs de mon sort :
Il a fait contre vous un violent effort,
Votre malheur est grand, mais, quoi qu'il en succède,
La mort qu'on me refuse en sera le remède ;
Et moi… Mais que nous veut ce perfide ?