ACTE premier - Scène IV



(Pulchérie, Héraclius, Martian)

Héraclius
En vain il se promet que, sous cette menace,
J'espère en votre cœur surprendre quelque place :
Votre refus est juste et j'en sais les raisons.
Ce n'est pas à nous deux d'unir les deux maisons ;
D'autres destins, Madame, attendent l'un et l'autre ;
Ma foi m'engage ailleurs aussi bien que la vôtre.
Vous aurez en Léonce un digne possesseur ;
Je serai trop heureux d'en posséder la sœur.
Ce guerrier vous adore, et vous l'aimez de même ;
Je suis aimé d'Eudoxe autant comme je l'aime.
Léontine, leur mère, est propice à nos vœux ;
Et quelque effort qu'on fasse à rompre ces beaux nœuds,
D'un amour si parfait les chaînes sont si belles
Que nos captivités doivent être éternelles.

Pulchérie
Seigneur, vous connaissez ce cœur infortuné :
Léonce y peut beaucoup ; vous me l'avez donné,
Et votre main illustre augmente le mérite
Des vertus dont l'éclat pour lui me sollicite.
Mais à d'autres pensers il me faut recourir :
Il n'est plus temps d'aimer alors qu'il faut mourir,
Et quand à ce départ une âme se prépare…

Héraclius
Redoutez un peu moins les rigueurs d'un barbare.
Pardonnez-moi ce mot : pour vous servir d'appui
J'ai peine à reconnaître encore un père en lui.
Résolu de périr pour vous sauver la vie,
Je sens tous mes respects céder à cette envie ;
Je ne suis plus son fils s'il en veut à vos jours,
Et mon cœur tout entier vole à votre secours.

Pulchérie
C'est donc avec raison que je commence à craindre,
Non la mort, non l'hymen où l'on me veut contraindre,
Mais ce péril extrême où, pour me secourir,
Je vois votre grand cœur aveuglément courir.

Martian
Ah, mon prince ! Ah, Madame ! Il vaut mieux vous résoudre,
Par un heureux hymen, à dissiper ce foudre.
Au nom de votre amour et de votre amitié,
Prenez de votre sort tous deux quelque pitié.
Que la vertu du fils, si pleine et si sincère,
Vainque la juste horreur que vous avez du père,
Et, pour mon intérêt, n'exposez pas tous deux…

Héraclius
Que me dis-tu, Léonce ? Et qu'est-ce que tu veux ?
Tu m'as sauvé la vie, et, pour reconnaissance,
Je voudrais à tes feux ôter leur récompense,
Et, ministre insolent d'un prince furieux,
Couvrir de cette honte un nom si glorieux,
Ingrat à mon ami, perfide à ce que j'aime,
Cruel à la princesse, odieux à moi-même !
Je te connais, Léonce, et mieux que tu ne crois ;
Je sais ce que tu vaux, et ce que je te dois.
Son bonheur est le mien, Madame, et je vous donne
Léonce et Martian en la même personne ;
C'est Martian en lui que vous favorisez.
Opposons la constance aux périls opposés.
Je vais près de Phocas essayer la prière,
Et, si je n'en obtiens la grâce tout entière,
Malgré le nom de père, et le titre de fils,
Je deviens le plus grand de tous ses ennemis.
Oui, si sa cruauté s'obstine à votre perte,
J'irai pour l'empêcher jusqu'à la force ouverte ;
Et puisse, si le ciel m'y voit rien épargner,
Un faux Héraclius en ma place régner !
Adieu, Madame.

Pulchérie
Adieu, Prince trop magnanime.
Héraclius s'en va, et Pulchérie continue.
Prince digne en effet d'un trône acquis sans crime,
Digne d'un autre père. Ah ! Phocas ! Ah ! Tyran !
Se peut-il que ton sang ait formé Martian ?
Mais allons, cher Léonce, admirant son courage,
Tâcher de notre part à repousser l'orage :
Tu t'es fait des amis, je sais des mécontents,
Le peuple est ébranlé, ne perdons point de temps.
L'honneur te le commande et l'amour t'y convie.

Martian
Pour otage en ses mains ce tigre a votre vie
Et je n'oserai rien qu'avec un juste effroi
Qu'il ne venge sur vous ce qu'il craindra de moi.

Pulchérie
N'importe. À tout oser le péril doit contraindre.
Il ne faut craindre rien quand on a tout à craindre.
Allons examiner pour ce coup généreux
Les moyens les plus prompts et les moins dangereux.

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