ACTE II - Scène VI



(Martian, Léontine, Eudoxe)

Martian
Madame, pour laisser toute sa dignité
À ce dernier effort de générosité,
Je crois que les raisons que vous m'avez données
M'en ont seules caché le secret tant d'années.
D'autres soupçonneraient qu'un peu d'ambition,
Du prince Martian voyant la passion,
Pour lui voir sur le trône élever votre fille,
Aurait voulu laisser l'empire en sa famille,
Et me faire trouver un tel destin bien doux
Dans l'éternelle erreur d'être sorti de vous,
Mais je tiendrais à crime d'une telle pensée.
Je me plains seulement d'une ardeur insensée,
D'un détestable amour que pour ma propre sœur
Vous-même vous avez allumé dans mon cœur.
Quel dessein faisiez-vous sur cet aveugle inceste ?

Léontine
Je vous aurais tout dit avant ce nœud funeste,
Et je le craignais peu, trop sûre que Phocas,
Ayant d'autres desseins, ne le souffrirait pas.
Je voulais donc, Seigneur, qu'une flamme si belle
Portât votre courage aux vertus dignes d'elle,
Et que, votre valeur l'ayant sur mériter,
Le refus du tyran vous pût mieux irriter.
Vous n'avez pas rendu mon espérance vaine,
J'ai vu dans votre amour une source de haine,
Et j'ose dire encor qu'un bras si renommé
Peut-être aurait moins fait si le cœur n'eût aimé.
Achevez donc, Seigneur ; et puisque Pulchérie
Doit craindre l'attentat d'une aveugle furie…

Martian
Peut-être il vaudrait mieux moi-même la porter
À ce que le tyran témoigne en souhaiter.
Son amour, qui pour moi résiste à sa colère,
N'y résistera plus quand je serai son frère.
Pourrais-je lui trouver un plus illustre époux ?

Léontine
Seigneur, qu'allez-vous faire ? Et que me dites-vous ?

Martian
Que peut-être, pour rompre un si digne hyménée,
J'expose à tort sa tête avec ma destinée,
Et fais d'Héraclius un chef de conjurés
Dont je vois les complots encor mal assurés.
Aucun d'eux du tyran n'approche la personne,
Et quand même l'issue en pourrait être bonne,
Peut-être il m'est honteux de reprendre l'Etat
Par l'infâme succès d'un lâche assassinat ;
Peut-être il vaudrait mieux, en tête d'une armée,
Faire parler pour moi toute ma renommée,
Et trouver à l'empire un chemin glorieux
Pour venger mes parents d'un bras victorieux.
C'est dont je vais résoudre avec cette princesse,
Pour qui non plus l'amour, mais le sang m'intéresse.
Vous, avec votre Eudoxe…

Léontine
Ah ! Seigneur, écoutez.

Martian
J'ai besoin de conseils dans ces difficultés.
Mais, à parler sans fard, pour écouter les vôtres,
Outre mes intérêts, vous en avez trop d'autres.
Je ne soupçonne point vos vœux ni votre foi,
Mais je ne veux d'avis que d'un cœur tout à moi.
Adieu.

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