ACTE IV - Scène V



(Exupère, Léontine)

Exupère
On ne peut nous entendre. Il est juste, Madame,
Que je vous ouvre enfin jusqu'au fond de mon âme :
C'est passer trop longtemps pour traître auprès de vous.
Vous haïssez Phocas, nous le haïssons tous…

Léontine
Oui, c'est bien lui montrer ta haine et ta colère,
Que lui vendre ton prince et le sang de ton père.

Exupère
L'apparence vous trompe, et je suis en effet…

Léontine
L'homme le plus méchant que la nature ait fait.

Exupère
Ce qui passe à vos yeux pour une perfidie…

Léontine
Cache une intention fort noble et fort hardie !

Exupère
Pouvez-vous en juger, puisque vous l'ignorez ?
Considérez l'état de tous nos conjurés :
Il n'est aucun de nous à qui sa violence
N'ait donné trop de lieu d'une juste vengeance,
Et nous en croyant tous dans notre âme indignés,
Le tyran du palais nous a éloignés.
Il y fallait rentrer par quelque grand service.

Léontine
Et tu crois m'éblouir avec cet artifice ?

Exupère
Madame, apprenez tout. Je n'ai rien hasardé.
Vous savez de quel nombre il est toujours gardé ;
Pouvions-nous le surprendre, ou forcer les cohortes
Qui de jour et de nuit tiennent toutes ses portes ?
Pouvions-nous mieux sans bruit nous approcher de lui ?
Vous voyez la posture où j'y suis aujourd'hui :
Il me parle, il m'écoute, il me croit, et lui-même
Se livre entre mes mains, aide à mon stratagème.
C'est par mes seuls conseils qu'il veut publiquement
Du prince Héraclius faire le châtiment,
Que sa milice, éparse à chaque coin des rues,
A laissé du palais les portes presque nues ;
Je puis en un moment m'y rendre le plus fort ;
Mes amis sont tout prêts ; c'en est fait, il est mort,
Et j'userai si bien de l'accès qu'il me donne
Qu'aux pieds d'Héraclius je mettrai sa couronne.
Mais après mes desseins pleinement découverts,
De grâce, faites-moi connaître qui je sers,
Et ne le cachez plus à ce cœur qui n'aspire
Qu'à le rendre aujourd'hui maître de tout l'empire.

Léontine
Esprit lâche et grossier, quelle brutalité
Te fait juger en moi tant de crédulité ?
Va, d'un piège si lourd l'appât est inutile,
Traître, et si tu n'as point de ruse plus subtile…

Exupère
Je vous dis vrai, Madame, et vous dirai de plus…

Léontine
Ne me fais point ici de contes superflus ;
L'effet à tes discours ôte toute croyance.

Exupère
Eh bien ! Demeurez donc dans votre défiance :
Je ne demande plus, et ne vous dis plus rien ;
Gardez votre secret, je garderai le mien ;
Puisque je passe encor pour homme à vous séduire,
Venez dans la prison où je vais vous conduire.
Si vous ne me croyez, craignez ce que je puis.
Avant la fin du jour vous saurez qui je suis.

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