Scène II


Paturon
(entrant vivement du fond, il est en habit noir, avec un pardessus clair.)

Oh ! pardon !

Philomèle
(se relevant vivement, passant devant Alfred et allant au n° 1.)

Oh ! un client !

Paturon
Je m'en vais ! Je m'en vais !

Alfred
Mais non ! du tout !… restez, monsieur, restez !

Paturon
Le maître d'hôtel !

Alfred
(à Philomèle.)

Toi, file !…

Philomèle
(passant derrière le canapé par la gauche et en montant vers le fond.)

Oui… (Saluant Paturon.)
Monsieur !
(Elle sort par le fond.)


Paturon
(descendant en scène, n° 2.)

Eh bien, ne vous gênez pas, mon ami ! Qu'est-ce que vous faisiez là ?

Alfred
(n° 1)

Je vais vous dire, monsieur… c'était pour occuper mes loisirs…

Paturon
Je vois bien !

Alfred
Et puis, comme c'était un cabinet neuf, le patron m'a dit : "Vois si tout est bien en état pour le confort du client".

Paturon
(indiquant le canapé.)

Oui !… vous fatiguiez les ressorts.

Alfred
Monsieur exagère ! Et… qu'est-ce qui nous vaut la visite de monsieur Paturon ?

Paturon
Tiens ! vous me connaissez donc !

Alfred
Oh ! moi, monsieur ! Je connais mon Paris ! c'est moi Alfred.

Paturon
Ah ! c'est vous Alfred ? oui ! oui !… seulement je connais beaucoup d'Alfred !

Alfred
Alfred ! l'ancien maître d'hôtel de la Maison d'Or !…

Paturon
Oh !… c'est juste !… Je me disais aussi : j'ai vu cette binette-là quelque part !

Alfred
Monsieur me flatte !

Paturon
Et alors, c'est comme ça que vous trompez votre femme avec la caissière !

Alfred
Du tout, monsieur !… la caissière, c'est ma femme !

Paturon
Comment ! Je croyais qu'autrefois vous m'aviez dit qu'elle était dans les téléphones !

Alfred
Oh ! ce n'est pas la même, monsieur ! Celle-ci, c'est ma troisième femme !

Paturon
(passant devant Alfred et allant au n° 1.)

Mâtin ! quel gaillard !

Alfred
Ah ! monsieur !… quand on ne les mène pas de front !… ce n'est pas de la gaillardise !

Paturon
Eh bien, qu'est-ce que vous avez fait de la seconde !

Alfred
Ah ! Qu'est-ce que vous voulez, monsieur !… elle a succombé !

Paturon
Oh ! la pauvre femme !

Alfred
Elle a succombé à quelque enjôleur !

Paturon
Aïe !

Alfred
Elle a fait comme ma première !… elle s'est fait enlever et depuis, je ne l'ai pas revue !

Paturon
Eh bien, dites donc ! vous n'avez pas de chance avec vos femmes !

Alfred
Non, monsieur ! j'ai toujours eu la bosse du mariage, elles n'ont jamais eu la bosse de la fidélité !

Paturon
Ah ! bien, qu'est-ce que vous voulez ? ça aurait fait trop de bosses dans le ménage ! (Il s'asseoit sur le canapé.)
Mais si je ne me trompe, vous étiez déjà divorcé d'avec votre première femme !

Alfred
(s'asseyant sur le canapé à côté de Paturon toujours au n° 2.)

Parfaitement !… c'est même ce qui m'a permis d'épouser la seconde. (Paturon lui fait remarquer par un geste qu'il est assis à côté de lui. Alfred se lève et continue.)
Et j'ai également divorcé d'avec la seconde, ce qui m'a permis d'épouser la troisième.

Paturon
D'où il résulte que vous avez trois femmes sur le pavé de Paris !

Alfred
C'est-à-dire qu'à vraiment parler… je n'en ai qu'une, mais il y en a trois qui se croient chacune ma femme ! parce que les deux premières, elles, ne savent rien du divorce !… Quand elles ont filé, j'ai fait constater la disparition et le divorce a été prononcé en leur absence.

Paturon
(se levant.)

Vraiment ? Les deux premières ignorent…

Alfred
Les trois, même ! parce que j'ai trouvé inutile de dire à ma dernière femme que j'étais divorcé : ça embête toujours les femmes, ces choses-là ! je lui ai dit que j'étais veuf, c'était bien plus simple ! et même, si vous la voyez, je vous prierai de ne pas faire d'allusion !

Paturon
(passant devant Alfred et allant au n° 2.)

Soyez tranquille !

Alfred
Je vous dis ça à vous, parce que vous êtes un ami, mais motus !

Paturon
Entendu ! mais sans vouloir vous êtes désagréable, je vous avouerai que je ne suis pas venu exprès pour entendre vos histoires conjugales !

Alfred
C'est juste, monsieur !… je me laissais aller à mes effusions.

Paturon
Voilà ! j'aurais besoin d'un cabinet.

Alfred
Je vois ! Eh bien, celui-ci… il ne vous va pas ?

Paturon
Si, parfaitement ! gardez-le moi ! Maintenant, pour le menu…

Alfred
Oh ! rapportez-vous en à moi ! Je connais vos goûts ! Vous serez content.

Paturon
Bon !

Alfred
Combien êtes-vous ?

Paturon
(allant à l'extrême droite.)

Bêta !… Je suis deux !

Alfred
Toujours, alors ! Eh bien, j'enlève deux couverts ! (Prenant les deux couverts sur la table et les portant sur la desserte du fond, à part.)
J'ai perdu mon pari ! c'est dix mille francs que je me dois !

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