Les deux aventuriers et le talisman


Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
Je n’en veux pour témoin qu’Hercule et ses travaux :
Ce dieu n’a guère de rivaux ;
J’en vois peu dans la fable, encor moins dans l’histoire.
En voici pourtant un, que de vieux talismans
Firent chercher fortune au pays des romans.
Il voyageait de compagnie.
Son camarade et lui trouvèrent un poteau
Ayant au haut cet écriteau :
« Seigneur aventurier, s’il te prend quelque envie
De voir ce que n’a vu nul chevalier errant,
Tu n’as qu’à passer ce torrent ;
Puis, prenant dans les bras un éléphant de pierre
Que tu verras couché par terre ;
Le porter, d’une haleine, au sommet de ce mont
Qui menace les cieux de son superbe front. »
L’un des deux chevaliers saigna du nez. Si l’onde
Est rapide autant que profonde,
Dit-il… et supposé qu’on la puisse passer,
Pourquoi de l’éléphant s’aller embarrasser ?
Quel ridicule entreprise !
Le sage l’aura fait par tel art et de guise
Qu’on le pourra porter peut-être quatre pas :
Mais jusqu’au haut du mont ! d’une haleine ! il n’est pas
Au pouvoir d’un mortel ; à moins que la figure
Ne soit d’un éléphant nain, pygmée, avorton,
Propre à mettre au bout d’un bâton :
Auquel cas, où l’honneur d’une telle aventure ?
On nous veut attraper dedans celle écriture ;
Ce sera quelque énigme à tromper un enfant :
C’est pourquoi je vous laisse avec votre éléphant.
Le raisonneur parti, l’aventureux se lance,
Les yeux clos, à travers cette eau.
Ni profondeur ni violence
Ne purent l’arrêter ; et selon l’écriteau,
Il vit son éléphant couché sur l’autre rive.
Il le prend, il l’emporte, au haut du mont arrive,
Rencontre une esplanade, et puis une cité.
Un cri par l’éléphant est aussitôt jeté :
Le peuple aussitôt sort en armes.
Tout autre aventurier, au bruit de ces alarmes
Aurait fui : celui-ci, loin de tourner le dos,
Veut vendre au moins sa vie et mourir en héros.
Il fut tout étonné d’ouïr cette cohorte
Le proclamer monarque au lieu de son roi mort
Il ne se fit prier que de la bonne sorte ;
Encor que le fardeau lût, dit-il, un peu fort.
Sixte en disait autant quand on le fit saint père :
(Serait-ce bien une misère
Que d’être pape ou d’être roi ?)
On reconnut bientôt son peu de bonne foi.
Fortune aveugle suit aveugle hardiesse.
Le sage quelquefois fait bien d’exécuter
Avant que de donner le temps à la sagesse
D’envisager le fait, et sans la consulter.

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