L’exemple sert, l’exemple nuit aussi :
Lequel des deux doit l’emporter icy,
Ce n’est mon fait : l’un dira que l’Abbesse
En usa bien, l’autre au contraire mal,
Selon les gens : bien ou mal je ne laisse
D’avoir mon compte, et montre en general,
Par ce que fit tout un troupeau de Nones,


Qu’oüallles sont la pluspart des personnes :
Qu’il en passe une, il en passera cent ;
Tant sur les gens est l’exemple puissant !
Je le repete, et dis, vaille que vaille,
Le monde n’est que franche moutonnaille.
Du premier coup ne croyez que l’on aille
A ses perils le passage sonder ;
On est long-temps à s’entreregarder ;
Les plus hardis ont ils tenté l’affaire,
Le reste suit, et fait ce qu’il void faire.
Qu’un seul mouton se jette en la riviere,
Vous ne verrez nulle ame moutonniere
Rester au bord, tous se noyront à tas.
Maître Francois en conte un plaisant cas.
Amy Lecteur, ne te déplaira pas,
Si, sursoyant ma principale histoire,
Je te remets cette chose en memoire.
Panurge alloit l’oracle consulter ;
Il navigeoit, ayant dans la cervelle
Je ne sçais quoy qui vint l’inquieter.
Dindenaut passe, et medaille l’appelle
De vray cocu. Dindenaut dans sa nef
Menoit moutons. Vendez m’en un, dit l’autre.
Voire, reprit Dindenaut, l’amy nostre,
Penseriez-vous qu’on pust venir à chef
D’assez priser ny vendre telle aumaille ?
Panurge dit : nôtre ami, coûte et vaille,
Vendez m’en un pour or ou pour argent.
Un fut vendu. Panurge incontinent
Le jette en mer ; et les autres de suivre.
Au diable l’un, à ce que dit le livre,
Qui demeura. Dindenaut au collet
Prend un belier, et le belier l’entraisne.
Adieu mon homme : il va boire au godet.
Or revenons : ce prologue me meine
Un peu bien loin. J’ay posé des l’abord
Que tout exemple est de force trés-grande,
Et ne me suis écarté par trop fort
En rapportant la Moutonniere bande,
Car nôtre histoire est d’oüailles encor.
Une passa, puis une autre, et puis une ;
Tant qu’à passer s’entre-pressant chacune,
on vid enfin celle qui les gardoit
Passer aussi : c’est en gros tout le conte :
Voici comment en detail on le conte.
Certaine Abbesse un certain mal avoit,
Pasles couleurs nommé parmy les filles ;
Mal dangereux, et qui des plus gentilles
Détruit l’éclat, fait languir lea attraits.
Nôtre malade avoit la face blesme
Tout justement comme un Saint de Caresme ;
Bonne d’ailleurs, et gente, à cela prés.
La faculté sur ce poinct consultée,
Aprés avoir la chose examinée,
Dit que bien-tost Madame tomberoit
En fievre lente, et puis qu’elle mourroit.
Force sera que cette humeur la mange,
A moins que de… l’à moins est bien étrange,
A moins enfin qu’elle n’ayt à souhait
Compagnie d’homme. Hipocrate ne fait
Choix de ses mots, et tant tourner ne sçait.
Jesus ! reprit toute scandalisée
Madame Abbesse : Hé ! que dites-vous là ?
Fi ! Nous disons, repartit à cela
La faculté, que pour chose asseurée
Vous en mourrez, à moins d’un bon galant :
Bon le faut-il, c’est un poinct important ;
Autre que bon n’est icy suffisant ;
Et, Si bon n’est, deux en prendrez, Madame.
Ce fut bien pis ; non pas que dans son Ame
Ce bon ne fust par elle souhaité ;
Mais le moyen que sa Communauté
Luy vist sans peine approuver telle chose !
Honte souvent est de dommage cause.
Sœur Agnés dit : Madame, croyez les.
Un tel remede est chose bien mauvaise,
S’il a le goust meschant à beaucoup prés
Comme la mort. Vous faites cent secrets,
Faut-il qu’un seul vous choque et vous déplaise ?
Vous en parlez, Agnés, bien à vostre aise,
Reprit l’Abbesse : or cà, par vostre Dieu,
Le feriez-vous ? mettez-vous en mon lieu.
Ouy-dea, Madame ; et dis bien davantage :
Vostre santé m’est chere jusque là
Que, s’il faloit pour vous souffrir cela,
Je ne voudrois que dans ce témoignage
D’affection pas une de ceans
Me devançast. Mille remercimens
A sœur Agnés donnés par son Abbesse,
La faculté dit adieu là dessus,
Et protesta de ne revenir plus.
Tout le Couvent se trouvoit en tristesse,
Quand sœur Agnés, qui n’estoit de ce lieu
La moins sensée, au reste bonne lame,
Dit à ses sœurs : Tout ce qui tient Madame
Est seulement belle honte de Dieu :
Par charité n’en est-il point quelqu’une
Pour luy monstrer l’exemple et le chemin ?
Cet avis fût approuvé de chacune ;
On l’applaudit, il court de main en main.
Pas une n’est qui montre en ce dessein
De la froideur, soit None, soit Nonette,
Mere Prieure, ancienne, ou discrete.
Le billet trotte ; on fait venir des gens
De toute guise, et des noirs, et des blancs,
Et des tannez. L’escadron, dit l’histoire,
Ne fut petit, ny, comme l’on peut croire ;
Lent à montrer de sa part le chemin.
Ils ne cedoient à pas une Nonain
Dans le desir de faire que Madame
Ne fust honteuse, ou bien n’eust dans son ame
Tel recipé, possible, à contre-cœur.
De ses brebis à peine la premiere
A fait le saut, qu’il suit une autre sœur ;
Une troisiesme entre dans la carriere ;
Nulle ne veut demeurer en arriere.
Presse se met pour n’estre la derniere
Qui feroit voir son zele et sa ferveur
A mere Abbesse. Il n’est aucune oüaille
Qui ne s’y jette, ainsi que les moutons
De Dindenaut, dont tantost nous parlions,
S’alloient jetter chez la gent portécaille.
Que diray plus ? Enfin l’impression
Qu’avoit l’Abbesse encontre ce remede,
Sage renduë, a tant d’exemples cede.
Un jouvenceau fait l’operation
Sur la malade. Elle redevient rose,
Œillet, aurore, et si quelque autre chose
De plus riant se peut imaginer.
O doux remede ! ô remde à donner !
Remede ami de mainte Creature,
Ami des gens, ami de la nature,
Ami de tout ! poinct d’honneur excepté.
Poinct d’honneur est une autre maladie :
Dans ses écrits Madame faculté
N’en parle point. Que de maux en la vie !

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