Les lapins


Discours à M. le duc de la Rochefoucauld

Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L’homme agit, et qu’il se comporte
En mille occasions comme les animaux :
Le roi de ces gens-là n’a pas moins de défauts
Que ses sujets ; et la Nature
A mis dans chaque créature
Quelque grain d’une masse où puisent les esprits :
J’entends les esprits-corps, et pétris de matière,
Je vais prouver ce que je dis.
À l’heure de l’affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l’humide séjour.
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n’étant plus nuit, il n’est pas encor jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe,
Et, nouveau Jupiter, du haut de cet olympe,
Je foudroie à discrétion
Un lapin qui n’y pensait guère.
Je vois fuir aussitôt toute la nation
Des lapins qui, sur la bruyère,
L’oeil éveillé, l’oreille au guet,
S’égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S’en va chercher sa sûreté
Dans la souterraine cité :
Mais le danger s’oublie, et cette peur si grande
S’évanouit bientôt ; je revois les lapins,
Plus gais qu’auparavant, revenir sous mes mains.
Ne reconnaît-on pas en cela les humains ?
Dispersés par quelque orage,
À peine ils touchent le port
Qu’ils vont hasarder encor
Même vent, même naufrage :
Vrais lapins, on les revoit
Sous les mains de la Fortune.
Joignons à cet exemple une chose commune.
Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit
Qui n’est pas de leur détroit,
Je laisse à penser quelle fête !
Les chiens du lieu, n’ayant en tête
Qu’un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents
Vous accompagnent ces passants
Jusqu’aux confins du territoire.
Un intérêt de bien, de grandeur, et de gloire,
Aux gouverneurs d’États, à certains courtisans,
À gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l’ordinaire,
Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l’auteur sont de ce caractère :
Malheur à l’écrivain nouveau !
Le moins de gens qu’on peut à l’entour du gâteau,
C’est le droit du jeu, c’est l’affaire.
Cent exemples pourraient appuyer mon discours ;
Mais les ouvrages les plus courts
Sont toujours les meilleurs. En cela j’ai pour guide
Tous les maîtres de l’art, et tiens qu’il faut laisser
Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser :
Ainsi ce discours doit cesser.
Vous qui m’avez donné ce qu’il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur
La louange la plus permise,
La plus juste et la mieux acquise ;
Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages.
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu’aucun climat de l’univers,
Permettez-moi du moins d’apprendre à tout le monde
Que vous m’avez donné le sujet de ces vers.

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