A MONSEIGNEUR FOUCQUET

Ministre d’Estat, Sur-Intendant des Finances, et Procureur Général au Parlement de Paris

MONSEIGNEUR,

Je n’ay pas assez de vanité pour esperer que ces fruits de ma solitude vous puissent plaire : les plus beaux vergers du Parnasse en produisent peu qui meritent de vous estre offerts. Vostre esprit est doué de tant de lumieres, et fait voir un goust si exquis et si délicat pour tous nos ouvrages, particulierement pour le bel art de celebrer les hommes qui vous ressemblent, avec le langage des dieux, que peu de personnes seroient capables de vous satisfaire. Je ne suis pas de ce petit nombre, et je me serois contenté, Monseigneur, de vous reverer au fond de mon ame, si le zele que j’ay pour vous eût pû souffrir des bornes si étroites, et garder un silence respectueux. Certes, vostre merite nous reduit tous à la necessité d’un choix bien difficile ; il est malaisé de s’en taire, et l’on ne sçauroit en parler assez dignement. Car, quand je diray que l’estat ne se peut passer de vos soins, et que les ministres de plus d’un regne n’ont point acquis une experience si consommée que la vostre ; quand je diray que vous estimez nos veilles, et que c’est une marque à laquelle on a toûjours reconnu les grands hommes ; quand je parleray de vostre generosité sans exemple, de la grandeur de tous vos sentimens, de cette modestie qui nous charme ; enfin, quand j’avouëray que vostre esprit est infiniment élevé, et qu’avec cela j’avouëray encore que vostre ame l’est davantage que vostre esprit, ce seront quelques traits de vous à la verité, mais ce ne sera point ce grand nombre de rares qualitez qui vous fait admirer de tout ce qu’il y a d’honnestes gens dans la France. Et non seulement, Monseigneur, vous attirez leur admiration, vous les contraignez mesme par une douce violence de vous aymer. On ne l’a que trop remarqué pendant cet extrême peril, dont vous ne faites que de sortir. Vous sçavez bien qu’ils vous regardent comme le heros destiné pour vaincre la dureté de nostre siecle, et le mépris de tous les beaux arts. Les Muses qui commençoient à se consoler de la mort d’Armand, par l’estime que vous faites d’elles, en vous voyant malade, se voyoient sur le point de perdre encore une fois leurs amours ; elles se condamnoient dés-jà à une solitude perpetuelle, et la gloire, avec tous ses charmes, alloit devenir une chose indifferente à ceux d’entre nous qui ont toûjours esté les plus amoureux. Le Ciel nous a guarentis du malheur qui nous menaçoit : agréez, Monseigneur, que je vous en témoigne ma joye, en vous offrant mon dernier ouvrage. Ce sont les amours de Venus et d’Adonis, c’est la fin malheureuse de ce beau chasseur, sur le tombeau duquel on a veu toutes les dames grecques pleurer, et que la divine mere d’amour a regretté pendant tout le temps du paganisme, elle qui n’avoit pas accoustumé de jetter des larmes pour la perte de ses amans. Si la matiere vous en semble assez belle, et que je sois assez heureux pour obtenir quelques momens de vostre loisir, ne jugez pas de moy par le merire de mon ouvrage, mais par le respect avec lequel je suis,

MONSEIGNEUR,

Vostre trés humble et trés obeissant serviteur,

DE LA FONTAINE.



AVERTISSEMENT

Il y a long-temps que cet Ouvrage est composé ; et peut-estre n’en est-il pas moins digne de voir la lumiere. Quand j’en conceus le dessein, j’avois plus d’imagination que je n’en ay aujourd’huy. Je m’estois toute ma vie exercé en ce genre de Poësie que nous nommons Heroïque : c’est assurément le plus beau de tous, le plus fleuri, le plus susceptible d’ornemens, et de ces figures nobles et hardies qui font une langue à part, une langue assez charmante pour meriter qu’on l’appelle la langue des Dieux. Le fonds que j’en avois fait, soit par la lecture des Anciens, soit par celle de quelques-uns de nos modernes, s’est presque entierement consumé dans l’embellissement de ce Poëme, bien que l’Ouvrage soit court, et qu’à proprement parler il ne merite que le nom d’Idile. Je l’avois fait marcher à la suite de Psiché, croyant qu’il estoit à propos de joindre aux Amours du Fils celles de la Mere. Beaucoup de personnes m’ont dit que je faisois tort à l’Adonis. Les raisons qu’ils en apportent sont bonnes ; mais je m’imagine que le public se soucie trés-peu d’en estre informé ; ainsi je les laisse à part. On est tellement rebuté des Poëmes à present, que j’ay toûjours craint que celuy-cy ne receust un mauvais accueil et ne fust enveloppé dans la commune disgrace : il est vray que la matiere n’y est pas sujette : si d’un costé le goust du temps m’est contraire, de l’autre il m’est favorable. Combien y a-t-il de gens aujourd’huy qui fermeroit l’entrée de leur cabinet aux divinitez que j’ay coûtume de celebrer ? Il n’est pas besoin que je les nomme, on sçait assez que c’est l’Amour et Venus ; ces puissances ont moins d’ennemis qu’elles n’en ont jamais eu. Nous sommes en un siécle où on écoute assez favorablement tout ce qui regarde cette famille ; pour moy qui luy dois les plus doux momens que j’aye passez jusqu’icy, j’ay cru ne pouvoir moins faire que de raconter ses avantures de la façon la plus agreable qu’il m’est possible.



ADONIS

Je n’ay pas entrepris de chanter dans ces vers,
Rome ny ses enfans vainqueurs de l’Univers,
Ny les fameuses tours qu’Hector ne pût defendre,
Ny les combats des Dieux aux rives du Scamandre :
Ces sujets sont trop hauts, et je manque de voix ;
Je n’ay jamais chanté que l’ombrage des bois,
Flore, Echo, les Zephirs, et leurs molles haleines,
Le verd tapis des prez et l’argent des fontaines.
C’est parmy les forests qu’a vescu mon Heros ;
C’est dans les bois qu’Amour a troublé son repos.
Ma Muse en sa faveur de Myrte s’est parée ;
J’ay voulu celebrer l’amant de Cytherée,
Adonis, dont la vie eut des termes si courts,
Qui fut pleuré des Ris, qui fut plaint des Amours.
Amynte ; c’est à vous que j’offre cet ouvrage ;
Mes chansons et mes vœux, tout vous doit rendre hommage
Trop heureux si j’osois conter à l’Univers
Les tourmens infinis que pour vous j’ay souferts !
Quand vous me permettrez de chanter vostre gloire,
Quand vos yeux, renommez par plus d’une victoire,
Me laisseront vanter le pouvoir de leurs traits,
Et l’empire d’Amour accreu par vos attraits,
Je vous peindray si belle et si pleine de charmes,
Que chacun benira le sujet de mes larmes.
Voilà l’unique but où tendent mes souhaits.
Cependant recevez le don que je vous fais,
Ne le dédaignez pas, lisez cette avanture,
Dont, pour vous divertir, j’ay tracé la peinture.

Aux monts Idaliens un bois delicieux
De ses arbres chenus semble toucher les Cieux,
Sous ses ombrages verts loge la Solitude.
Là le jeune Adonis, exempt d’inquietude,
Loin du bruit des citez, s’exerçoit à chasser,
Ne croyant pas qu’Amour pûst jamais l’y blesser.
A peine son menton d’un mol duvet s’ombrage,
Qu’aux plus fiers animaux il monstre son courage.
Ce n’est pas le seul don qu’il ait receu des Dieux ;
Il semble estre formé pour le plaisir des yeux.
Qu’on ne nous vante point le ravisseur d’Helene,
Ny celuy qui jadis aymoit une ombre vaine,
Ny tant d’autres Heros fameux par leurs appas ;
Tous ont cedé le prix au fils de Cyniras.
Déja la Renommée, en naissant inconnuë,
Nymphe qui cache enfin sa teste dans la nüe,
Par un charmant recit amusant l’Univers,
Va parler d’Adonis à cent peuples divers,
A ceux qui sont sous l’Ourse, aux voisins de l’Aurore,
Aux filles du Sarmate, aux pucelles du More ;
Paphos sur ses autels le void presque eslever,
Et le cœur de Venus ne sçait où se sauver.
L’image du Heros, qu’elle a toûjours presente,
Verse au fond de son ame une ardeur violente :
Elle invoque son fils, elle implore ses traits,
Et tasche d’assembler tout ce qu’elle a d’attraits.
Jamais on ne luy vid un tel dessein de plaire ;
Rien ne luy semble bien, les Graces ont beau faire.
Enfin, s’accompagnant des plus discrets Amours,
Aux monts Idaliens elle dresse son cours.
Son char, qui trace en l’air de longs traits de lumiere,
A bien-tost achevé l’amoureuse carriere.
Elle trouve Adonis prés des bords d’un ruisseau.
Couché sur des gazons, il resve au bruit de l’eau;
Il ne void presque pas l’onde qu’il considere ;
Mais l’éclat des beaux yeux qu’on adore en Cythere
L’a bien-tost retiré d’un penser si profond.
Cet objet le surprend, l’estonne et le confond ;
Il admire les traits de la fille de l’onde.
Un long tissu de fleurs, ornant sa tresse blonde,
Avoit abandonné ses cheveux aux Zephirs ;
Son écharpe, qui vole au gré de leurs soûpirs,
Laisse voir les tresors de sa gorge d’albastre.
Jadis en cet estat Mars en fut idolastre,
Quand aux champs de l’Olympe on celebra des jeux
Pour les Titans défaits par son bras valeureux.
Rien ne manque à Venus ; ny les lys, ny les roses,
Ny le meslange exquis des plus aymables choses,
Ny ce charme secret dont l’œil est enchanté,
Ny la grace plus belle encor que la beauté.
Telle on vous void, Amynte : une grace fidelle
Vous peut de tous ces traits presenter un modelle ;
Et, s’il faloit juger de l’objet, le plus doux,
Le sort seroit douteux entre Venus et vous.
Tandis que le Heros admire Citherée,
Elle rend par ces mots son ame rassurée :
Trop aymable mortel, ne crain point mon aspect ;
Que de la part d’Amour rien ne te soit suspect :
En ces lieux écartez c’est luy seul qui m’ameine.
Le Ciel est ma patrie, et Paphos mon domaine.
Je les quitte pour toy ; voy si tu veux m’aymer.
Le transport d’Adonis ne se peut exprimer.
O Dieux ! s’écria-t-il, n’est ce point quelque songe ?
Puis-je embrasser l’erreur où ce discours me plonge ?
Charmante Deïté, vous dois-je ajoûter foy ?
Quoy ! vous quittez les Cieux, et les quittez pour moy ?
Il me seroit permis d’aymer une Immortelle !
Amour rend ses sujets tous égaux, luy dit-elle ;
La beauté, dont les traits mesme aux Dieux sont si doux,
Est quelque chose encor de plus divin que nous.
Nous aymons, nous aymons, ainsi que toute chose :
Le pouvoir de mon fils de moy-mesme dispose :
Tout est né pour aymer. Ainsi parle Venus ;
Et ses yeux eloquens en disent beaucoup plus ;
Ils persuadent mieux que ce qu’a dit sa bouche.
Ses regards, truchemens de l’ardeur qui la touche,
Sa beauté souveraine, et les traits de son fils,
Ont contraint Mars d’aymer ; que peut faire Adonis ?
Il ayme, il sent couler un brasier dans ses veines ;
Les plaisirs qu’il attend sont accrus par ses peines :
Il desire, il espere, il craint, il sent un mal
A qui les plus grands biens n’ont rien qui soit égal.
Venus s’en apperçoit, et feint qu’elle ignore :
Tous deux de leur amour semblent douter encore,
Et, pour s’en asseurer chacun de ces Amans
Mille fois en un jour fait les mesmes sermens.
Quelles sont les douceurs qu’en ces bois ils gousterent !
O vous de qui les voix jusqu’aux astres monterent
Lors que par vos chansons tout l’Univers charmé
Vous ouït celebrer ce couple bien aimé,
Grands et nobles esprits, Chantres incomparables,
Meslez parmy ces sons vos accords admirables.
Echo, qui ne taist rien, vous conta ces amours ;
Vous les vistes gravez au fond des antres sourds ;
Faites que j’en retrouve au temple de Memoire
Les monumens sacrez, sources de vostre gloire,
Et que, m’estant formé sur vos sçavantes mains ;
Ces vers puissent passer aux derniers des humains !
Tout ce qui naist de doux en l’amoureux empire,
Quand d’une égale ardeur l’un pour l’autre on soûpire,
Et que, de la contrainte ayant banni les loix,
On se peut asseurer au silence des bois,
Jours devenus momens, momens filez de soye,
Agreables soûpirs, pleurs enfans de la joye,
Voeux, sermens et regards, transports, ravissemens
Meslange dont se fait le bon-heur des Amans ;
Tout par ce couple heureux fut lots mis en usage.
Tantost ils choisissoient l’épaisseur d’un ombrage ;
Là, sous des chesnes vieux, où leurs chiffres gravez
Se sont avec les troncs accreus et conservez,
Mollement estendus, ils consumoient les heures,
Sans avoir pour témoins, en ces sombres demeures,
Que les chantres des bois, pour confidens qu’Amour,
Qui seul guidoit leurs pas en cet heureux sejour.
Tantost sur des tapis d’herbe tendre et sacrée
Adonis s’endormoit auprés de Cytherée,
Dont les yeux, enyvrez par des charmes puissans,
Attachoient au Heros leurs regards languissans.
Bien souvent ils chantoient les douceurs de leurs peines ;
Et quelquefois, assis sur le bord des fontaines,
Tandis que cent cailloux, luitans à chaque bond,
Suivoient les longs replis du cristal vagabond,
Voiez, disoit Venus, ces ruisseaux et leur course ;
Ainsi jamais le temps ne remonte à sa source :
Vainement pour les Dieux il fuit d’un pas leger ;
Mais vous autres mortels le devez ménager,
Consacrant à l’Amour la saison la plus belle.
Souvent, pour divertir leur ardeur mutuelle,
Ils dansoient aux chansons, de Nymphes entourez.
Combien de fois la Lune a leurs pas éclairez,
Et, couvrant de ses rais l’émail d’une prairie,
Les a veus à l’envy fouler l’herbe fleurie !
Combien de fois le jour a veu les antres creux
Complices des larcins de ce couple amoureux !
Mais n’entreprenons pas d’oster le voile sombre
De ces plaisirs amis du silence et de l’ombre.
Il est temps de passer au funeste moment
Où la triste Venus doit quitter son amant.
Du bruit de ses amours Paphos est alarmée ;
On dit qu’au fond d’un bois la Déesse charmée,
Inutile aux mortels, et sans soin de leurs vœux,
Renonce au culte vain de ses temples fameux.
Pour dissiper ce bruit, la Reyne de Cythere
Veut quitter pour un temps ce sejour solitaire.
Que ce cruel dessein luy donne de douleurs !
Un jour que son Amant la voyoit toute en pleurs,
Déesse, luy dit-il, qui causez mes alarmes,
Quel ennuy si profond vous oblige à ces larmes ?
Vous aurois-je offensée, ou ne m’aymez-vous plus ?
Ah ! dit-elle, quittez ces soupçons superflus ;
Adonis tascheroit en vain de me déplaire :
Ces pleurs naissent d’amour, et non pas de colere.
D’un déplaisir secret mon cœur se sent atteint :
Il faut que je vous quitte, et le sort m’y contraint ;
Il le faut ; Vous pleurez ! Du moins, en mon absence,
Conservez-moy toûjours un cœur plein de constance ;
Ne pensez qu’à moy seule, et qu’un indigne choix
Ne vous attache point aux Nymphes de ces bois :
Leurs fers aprés les miens ont pour vous de la honte ;
Sur tout de vostre sang il me faut rendre compte ;
Ne chassez point aux Ours, aux Sangliers, aux Lions ;
Gardez-vous d’irriter tous ces Monstres felons !
Laissez les animaux qui, fiers et pleins de rage,
Ne cherchent leur salut qu’en montrant leur courage ;
Les Daims et les Chevreuils, en fuyant devant vous,
Donneront à vos sens des plaisirs bien plus doux.
Je vous ayme, et ma crainte a d’assez justes causes ;
Il sied bien en amour de craindre toutes choses.
Que deviendrois-je, helas ! si le sort rigoureux
Me privoit pour jamais de objet de mes vœux ?

Là, se fondant en pleurs, on void croistre ses charmes.
Adonis luy répond seulement par des larmes.
Elle ne peut partir de ces aymables lieux,
Cent humides baisers achevent ses adieux.
O vous, tristes plaisirs où leur ame se noye,
Vains et derniers efforts d’une imparfaite joye,
Momens pour qui le sort rend leurs vœux superflus,
Delicieux momens, vous ne reviendrez plus !
Adonis void un char descendre de la nuë :
Cytherée, y montant, disparoist à sa veuë.
C’est en vain que des yeux il la suit dans les airs ;
Rien ne s’offre à ses sens que l’horreur des deserts.
Les vents, sourds à ses cris, renforcent leur haleine :
Tout ce qu’il vient de voir luy semble une ombre vaine.
Il appelle Venus, fait retentir les bois,
Et n’entend qu’un Echo qui répond à sa voix.
C’est lors que, repassant dans sa triste memoire
Ce que n’aguere il eut de plaisirs et de gloire,
Il tasche à rappeller ce bon-heur sans pareil :
Semblable à ces Amans trompez par le sommeil,
Qui rappellent en vain pendant la nuit obscure
Le souvenir confus d’une douce imposture :
Tel Adonis repense à l’heur qu’il a perdu ;
Il le conte aux forests, et n’est point entendu :
Tout ce qui l’environne est privé de tendresse ;
Et, soit que des douleurs la nuit enchanteresse
Plonge les malheureux au suc de ses pavots,
Soit que l’astre du jour rameine leurs travaux,
Adonis sans relasche aux plaintes s’abandonne,
De sanglots redoublés sa demeure resonne ;

Cet Amant toûjours pleure, et toûjours les Zephirs
En volant vers Paphos sont chargez de soûpirs.
La molle oisiveté, la triste solitude,
Poisons dont il nourrit sa noire inquietude,
Le livrent tout entier au vain ressouve
Qui le vient malgré luy sans cesse entretenir.
Enfin, pour divertir l’ennuy qui le possede,
On luy dit que la chasse est un puissant remede.
Dans ces lieux pleins de paix, seul avecque l’Amour,
Ce plaisir occupoit les Heros d’alentour.
Adonis les assemble, et se plaint de l’outrage
Que ces champs ont receu d’un Sanglier plein de rage.
Ce Tyran des forests porte par tout l’effroy ;
Il ne peut rien souffrir de seur autour de soy :
L’avare laboureur se plaint à sa famille
Que sa dent a détruit l’espoir de la faucille ;
L’un craint pour ses vergers, l’autre pour ses guerets ;
Il foule aux pieds les dons de Flore et de Ceré :
Monstre enorme et cruel, qui soüille les fontaines,
Qui fait bruire les monts, qui désole les plaines,
Et, sans craindre l’effort des voisins alarmez,
S’appreste à recueillir les grains qu’ils ont semez.
Tascher de le surprendre est-tenter l’impossible ;
Il habite en un fort épais, inaccessible.
Tel on void qu’un brigand fameux et redouté
Se cache aprés ses vols en un antre écarté,
Fait des champs d’alentour de vastes cimetieres,
Ravage impunément des Provinces entiéres,
Laisse gronder les loix, se rit de leur courroux,
Et ne craint point la mort, qu’il porte au sein de tous ;
L’épaisseur des forests le dérobe aux supplices ;
C’est ainsi que le Monstre a ces bois pour complices.
Mais le moment fatal est enfin arrivé
Où, malgré sa fureur, en son sang abreuvé,
Des degasts qu’il a faits il va payer l’usure.
Helas ! qu’il vendra cher sa mortelle blessure !
Un matin que l’Aurore au teint frais et riant
A peine avoit ouvert les portes d’Orient,
La jeunesse voisine autour du bois s’assemble :
Jamais tant de Heros ne s’estoient veus ensemble.
Antenor le premier sort des bras du sommeil,
Et vient au rendez-vous attendre le Soleil ;
La Déesse des bois n’est point si matinale :
Cent fois il a surpris l’amante de Cephale ;
Et sa plaintive épouse a maudit mille fois
Les veneurs et les chiens, le gibier et les bois.
Il est bien tost suivi du Satrape Alcamene,
Dont le long attirail couvre toute la plaine.
C’est en vain que ses gens se sont chargez de rets ;
Leur nombre est assez grand pour ceindre les forests.
On y void arriver Bronte au cœur indomptable,
Et le Vieillard Capis, chasseur infatigable,
Qui, depuis son jeune âge ayant aymé, les bois,
Rend et chiens et veneurs attentifs à sa voix.
Si le jeune Adonis l’eust aussi voulu croire,

Il n’auroit pas si-tost traversé l’onde noire.
Comment l’auroit-il creu, puis qu’en vain ses amours
L’avoient sollicité d’avoir soin de ses jours ?
Par le beau Callion la troupe est augmentée.
Gilippe vient aprés, fils du riche Acantée.
Le premier, pour tous biens, n’a que les dons du corps ;
L’autre, pour tous appas, possede des tresors.
Tous deux ayment Cloris, et Cloris n’ayme qu’elle :
Ils sont pourtant parez des faveurs de la Belle.
Phlegre accourt, et Mimas, Palmire aux blonds cheveux,
Le robuste Crantor aux bras durs et nerveux,
Le Licien Telame, Agenor de Carie,
Le vaillant Triptoleme, honneur de la Syrie,
Paphe expert à luiter, Mopse à lancer le dard,
Lycaste, Palemon, Glauque, Hilus, Amilcar ;
Cent autres que je tais, troupe épaisse et confuse ;
Mais peut-on oublier la charmante Aretuse,
Aretuse au teint vif, aux yeux doux et perçans,
Qui pour le blond Palmire a des feux innocens ?
On ne l’instruisit point à manier la laine ;
Courir dans les forests, suivre un cerf dans la plaine,
Ce sont tous ses plaisirs : heureuse si son cœur
Eust pû se garentir d’amour comme de peur !
On la void arriver sur un cheval superbe
Dont à peine les pas sont imprimez sur l’herbe ;
D’une charge si belle il semble glorieux :
Et, comme elle, Adonis attire tous les yeux :
D’une fatale ardeur déja son front s’allume ;
Il marche avec un air plus fier que de coûtume.
Tel Apollon marchoit quand l’enorme Piton
L’obligea de quitter l’ombre de l’Helicon.
Par l’ordre de Capis la troupe se partage.
De tant de gens épars le nombreux équipage,
Leurs cris, l’aboy des chiens, les cors meslez de voix,
Annoncent l’épouvante aux hostes de ces bois.
Le Ciel en retentit, les Echos se confondent,
De leurs Palais voutez tous ensemble ils répondent.
Les Cerfs, au moindre bruit à se sauver si prompts,
Les timides troupeaux des Daims aux larges fronts,
Sont contraints de quitter leurs demeures secretes :
Le bois n’a plus pour eux d’assez sombres retraites.
On court dans les sentiers, on traverse les forts ;
Chacun, pour les percer, redouble ses efforts.
Au fond du bois croupit une eau dormante et sale :
Là le monstre se plaist aux vapeurs qu’elle exhale ;
Il s’y veautre sans cesse, et cherit un sejour
Jusqu’alors ignoré des mortels et du jour.
On ne l’en peut chasser ; du souci de sa vie
Bien plus à sa valeur qu’à sa fuite il se fie.
Les cors ont beau sonner, l’air a beau retentir,
Rien ne sçauroit encor l’obliger à partir.
Cependant les destins hastent sa derniere heure.
Driope la premiere évente sa demeure :
Les autres chiens, par elle aussi-tost avertis,
Répondent à sa voix, frapent l’air de leurs cris,
Entraisnent les chasseurs, abandonnent leur queste ;
Toute la meute accourt, et vient lancer la beste,
S’anime en la voyant, redouble son ardeur :
Mais le fier animal n’a point encor de peur.
Le coursier d’Adonis, né sur les bords du Xante,
Ne peut plus retenir son ardeur violente :
Une jument d’Ida l’engendra d’un des vents ;
Les forests l’ont nourri pendant ses premiers ans.
Il ne craint point des monts les puissantes barrieres,
Ny l’aspect étonnant des profondes rivieres,
Ny le panchant affreux des rocs et des vallons ;
D’haleine en le suivant manquent les Aquilons.
Adonis le retient pour mieux suivre la chasse.
Enfin le monstre est joint par deux chiens dont la race
Vient du viste Lelaps, qui fut l’unique prix
Des larmes dont Cephale appaisa sa Procris :
Ces deux chiens sont Melampe et l’ardente Sylvage.
Leur sort fut different, mais non pas leur courage :
Par l’homicide dent Melampe est mis à mort ;
Sylvage au poil de tigre attendoit mesme sort,
Lors que l’un des chasseurs se presente à la beste.
Sur luy tourne aussi-tost l’effort de la tempeste :
Il connoist, mais trop tard, qu’il s’est trop avancé ;
Son visage paslit, son sang devient glacé ;
L’image du trépas en ses yeux est emprainte :
Sur le teint des mourans la mort n’est pas mieux peinte.
Sa peur est pourtant vaine, et, sans estre blessé,
Du Monstre qui le heurte il se sent terrassé.
Nisus, ayant cherché son salut sur un arbre,
Rit de voir ce chasseur plus froid que n’est un marbre ;
Mais luy-mesme a sujet de trembler à son tour :
Le Sanglier coupe l’arbre, et les lieux d’alentour
Résonnent du fracas dont sa cheute est suivie ;
Nisus encor en l’air fait des vœux pour sa vie.
Conteray-je en détail tant de puissans efforts,
Des chiens et des chasseurs les differentes morts,
Leurs exploits avec eux cachez sous l’ombre noire ?
Seules vous les sçavez, ô filles de Memoire :
Venez donc m’inspirer ; et, conduisant ma voix,
Faites-moy dignement celebrer ces exploits.
Deux lices d’Antenor, Lycoris et Niphale,
Veulent qu’aux yeux de tous leur ardeur se signale.
Le vieux Capis luy-mesme eut soin de les dresser :
Au sanglier l’une et l’autre est preste à se lancer.
Un mastin les devance, et se jette en leur place ;
C’est Phlegon, qui souvent aux loups donne la chasse.
Armé d’un fort collier qu’on a semé de clous,
A l’oreille du Monstre il s’attache en courroux :
Mais il sent aussi-tost le redoutable yvoire ;
Ses flancs sont décousus, et, pour comble de gloire,
Il combat en mourant, et ne veut point lascher
L’endroit où sur le Monstre il vient de s’attacher.
Cependant le Sanglier passe à d’autres trophées :
Combien void-on sous luy de trames étouffées !
Combien en coupe-t-il ! Que d’hommes terrassez !
Que de chiens abattus, mourans, morts et blessez !
Chevaux, arbres, chasseurs, tout éprouve sa rage.
Tel passe un tourbillon, messager de l’orage ;
Telle descend la foudre, et d’un soudain fracas
Brise, brûle, détruit, met les rochers à bas.
Crantor d’un bras nerveux lance un dard à la beste :
Elle en fremit de rage, écume, et tourne teste,
Et son poil herissé semble de toutes parts
Presenter au chasseur une forest de dards.
Il n’en a point pourtant le cœur touché de crainte.
Par deux fois du Sanglier, il évite l’atteinte ;
Deux fois le Monstre passe, et ne brise en passant
Que l’épieu dont Crantor se couvre en cet instant.
Il revient au chasseur, la fuitte est inutile ;
Crantor aux environs n’apperçoit point d’asile :
En vain du coup fatal il veut se détourner ;
Ne pouvant que mourir, il meurt sans s’estonner.
Pour punir son vainqueur, toute la troupe approche ;
L’un luy presente un dard, l’autre un trait luy décoche :
Le fer, ou se rebouche, ou ne fait qu’entamer
Sa peau que d’un poil dur le Ciel voulut armer.
Il se lance aux épieux, il previent leur atteinte ;
Plus le peril est grand, moins il montre de crainte.
C’est ainsi qu’un guerrier pressé de toutes parts
Ne songe qu’à perir au milieu des hazards :
De soldats entassez son bras jonche la terre ;
Il semble qu’en luy seul se termine la guerre :
Certain de succomber, il fait pourtant effort,
Non pour ne point mourir, mais pour vanger sa mort.
Tel, et plus valeureux, le Monstre se presente.
Plus le nombre s’accroist, plus sa fureur s’augmente :
L’un a les flancs ouverts, l’autre les reins rompus ;
Il masche et foule aux pieds ceux qui sont abattus.
La troupe des chasseurs en devient moins hardie ;
L’ardeur qu’ils témoignoient est bien-tôt refroidie.
Palmire toutefois s’avance malgré tous ;
Ce n’est pas du Sanglier que son cœur craint les coups :
Aretuse luy fut jadis plus redoutable ;
Jadis sourde à ses vœux, mais alors favorable,
Elle void son Amant poussé d’un beau desir,
Et le void avec crainte autant qu’avec plaisir.
Quoy ! mes bras, luy dit-il, sont conduits par les vostres
Et vous me verriez fuïr aussi bien que les autres !
Non, non ; pour redouter le Monstre et son effort,
Vos yeux m’ont trop appris à mépriser la mort.
Il dit, et ce fut tout : l’effet suit la parole ;
Il ne va pas au Monstre, il y court, il y vole ;
Tourne de tous costez, esquive en l’approchant,
Hausse le bras vengeur, et d’un glaive tranchant
S’efforce de punir le Monstre de ses crimes.
Sa dent alloit d’un coup s’immoler deux victimes :
L’une eust senti le mal que l’autre en eust receu,
Si son cruel espoir n’eust point esté deceu.
Entre Palmire et luy l’Amazone se lance :
Palmire craint pour elle, et court à sa deffense.
Le sanglier ne sçait plus sur qui d’eux se vanger ;
Toutefois à Palmire il porte un coup leger,
Leger pour le Heros, profond pour son amante.
On l’emporte ; elle suit, inquiete et tremblante :
Le coup est sans danger ; cependant les esprits,
En foule avec le sang de leurs prisons sortis,
Laissent faire à Palmire un effort inutile.
Il devient aussi-tost pasle, froid, immobile ;
Sa raison n’agit plus, son œil se sent voiler,
Heureux s’il pouvoit voir les pleurs qu’il fait couler !
La moitié des chasseurs, à le plaindre employée,
Suit la triste Aretuse en ses larmes noyée.
Non loin de cet endroit un ruisseau fait son cours ;
Adonis s’y repose aprés mille détours.
Les Nymphes, de qui l’œil void les choses futures,
L’avoient fait égarer en des routes obscures.
Le son des cors se perd par un charme inconnu ;
C’est en vain que leur bruit à ses sens est venu.
Ne sçachant où porter sa course vagabonde,
Il s’arreste en passant au cristal de cette onde.

Mais les Nymphes ont beau s’opposer aux destins :
Contre un ordre fatal tous leurs charmes sont vains.
Adonis en ce lieu void apporter Palmire ;
Ce spectacle l’emeut, et redouble son ire.
A tarder plus long-temps on ne peut l’obliger :
Il regarde la gloire, et non pas le danger.
Il part, se fait guider, rencontre le carnage.
Cependant le Sanglier s’estoit fait un passage ;
Et, courant vers son fort, il se lançoit par fois
Aux chiens, qui dans le Ciel poussoient de vains abois.
On ne l’ose approcher ; tous les traits qu’on luy lance,
Estant poussez de loin, perdent leur violence.
Le Heros seul s’avance, et craint peu son courroux :
Mais Capis l’arrestant s’écrie : Où courez-vous ?
Quelle boüillante ardeur au peril vous engage ?
Il est besoin de ruse, et non pas de courage.
N’avancez pas, fuyez ; il vient à vous, ô Dieux !
Adonis, sans répondre, au Ciel leve les yeux.
Déesse, ce dit-il, qu’adore ma pensée,
Si je cours au peril, n’en sois point offensée ;
Guide plûtost mon bras, redouble son effort ;
Fais que ce trait lancé donne au Monstre la mort.
A ces mots dans les airs le trait se fait entendre :
A l’endroit où le Monstre a la peau la plus tendre
Il en reçoit le coup, se sent ouvrir les flancs,
De rage et de douleur fremit, grince les dents,
Rappelle sa fureur, et court à la vengeance.
Plein d’ardeur et leger, Adonis le devance.
On craint pour le Heros ; mais il sçait éviter
Les coups qu’à cet abord la dent luy veut porter.
Tout ce que peut l’adresse estant jointe au courage,
Ce que pour se venger tente l’aveugle rage,
Se fit lors remarquer par les chasseurs épars ;
Tous ensemble au Sanglier voudroient lancer leurs dards ;
Mais peut-estre Adonis en recevroit l’atteinte.
Du cruel animal ayant chassé la crainte,
En foule ils courent tous droit aux fiers assaillans :
Courez, courez, Chasseurs un peu trop tard vaillans ;
Destournez de vos noms un éternel reproche :
Vos efforts sont trop lents, déja le coup approche.
Que n’en ay-je oublié les funestes momens !
Pourquoy n’ont pas peri ces tristes monumens !
Faut-il qu’à nos neveux j’en raconte l’histoire !
Enfin de ces forests l’ornement et la gloire,
Le plus beau des mortels, l’amour de tous les yeux,
Par le vouloir du sort ensanglante ces lieux.
Le cruel animal s’enferre dans ses armes,
Et d’un coup aussi-tost il détruit mille charmes.
Ses derniers attentats ne sont pas impunis ;
Il sent son cœur percé de l’épieu d’Adonis,
Et, luy poussant au flanc sa defense cruelle,
Meurt, et porte en mourant une atteinte mortelle.
D’un sang impur et noir il purge l’Univers :
Ses yeux d’un somme dur sont pressez et couverts,
Il demeure plongé dans la nuit la plus noire,
Et le vainqueur à peine a connu sa victoire,
Joüi de la vengeance et goûté ses transports,
Qu’il sent un froid demon s’emparer de son corps.
De ses yeux si brillans la lumiere est esteinte,
On ne void plus l’éclat dont sa bouche estoit peinte,
On n’en void que les traits, et l’aveugle trespas
Parcourt tous les endroits où regnoient tant d’appas.
Ainsi l’honneur des prez, les fleurs, present de Flore,
Filles du blond Soleil et des pleurs de l’Aurore,
Si la faux les atteint, perdent en un moment
De leurs vives couleurs le plus rare ornement.
La troupe des Chasseurs, au Heros accouruë,
Par des cris redoublez luy fait ouvrir la veuë :
Il Cherche encore un coup la lumiere des Cieux,
Il pousse un long soûpir, il referme les yeux,
Et le dernier moment qui retient sa belle-ame
S’employe au souvenir de l’objet qui l’enflâme.
On fait pour l’arrester des efforts supeflus ;
Elle s’envole aux airs, le corps ne la sent plus.
Prestez-moy des soûpirs, ô vents, qui sur vos aisles
Portastes à Venus de si tristes nouvelles.
Elle accourt aussi-tost, et, voyant son Amant,
Remplit les environs d’un vain gemissement.
Telle sur un ormeau se plaint la tourterelle
Quand l’adroit giboyeur a, d’une main cruelle,
Fait mourir à ses yeux l’objet de ses amours ;
Elle passe à gemir et les nuits et les jours,
De moment en moment renouvellant sa plainte,
Sans que d’aucun remords la Parque soit atteinte,
Tout ce bruit, quoy que juste, au vent est repandu ;
L’enfer ne luy rend point le bien qu’elle a perdu :
On ne le peut fléchir ; les cris dont il est cause
Ne font point qu’à nos vœux il rende quelque chose.
Venus l’implore en vain par de tristes accens ;
Son desespoir éclate en regrets impuissans ;
Ses cheveux sont épars, ses yeux noyez de larmes ;
Sous d’humides torrens ils resserrent leurs charmes,
Comme on void au Printemps les beautez du Soleil
Cacher sous des vapeurs leur éclat sans pareil.
Aprés mille sanglots enfin elle s’écrie :
Mon amour n’a donc pû te faire aymer la vie !
Tu me quittes, cruel ! au moins ouvre les yeux,
Montre-toy plus sensible à mes tristes adieux ;
Voy de quelles douleurs ton amante est atteinte !
Helas ! j’ay beau crier, il est sourd à ma plainte :
Une éternelle nuit l’oblige à me quitter ;
Mes pleurs ny mes soûpirs ne peuvent l’arrester.
Encor si je pouvois le suivre en ces lieux sombres !
Que ne m’est-il permis d’errer parmi les ombres !
Destins, si vous vouliez le voir si-tost perir,
Faloit-il m’obliger à ne jamais mourir ?
Malheureuse Venus ! que te servent ces larmes ?
Vante-toy maintenant du pouvoir de tes charmes :
Ils n’ont pû du trépas exempter tes amours ;
Tu vois qu’ils n’ont pu mesme en prolonger les jours.
Je ne demandois pas que la Parque cruelle
Prist à filer leur trame une peine eternelle ;
Bien loin que mon pouvoir l’empêchast de finir,
Je demande un moment et ne puis l’obtenir.
Noires divinitez du tenebreux Empire,
Dont le pouvoir s’étend sur tout ce qui respire,
Roys des peuples legers, souffrez que mon Amant
De son triste départ me console un moment.
Vous ne le perdrez point ; le tresor que je pleure
Ornera tost ou tard vostre sombre demeure.
Quoy ! vous me refusez un present si leger !
Cruels, souvenez-vous qu’Amour m’en peut vanger.
Et vous, Antres cachez, favorables retraites,
Où nos cœurs ont goûté des douceurs si secretes ;
Grottes, qui tant de fois avez vû mon Amant
Me raconter des yeux son fidelle tourment ;
Lieux amis du repos, demeures solitaires,
Qui d’un thresor si rare estiez depositaires,
Deserts, rendez-le-moy : deviez-vous avec luy
Nourrir chez vous le Monstre auteur de mon ennuy ?
Vous ne répondez point. Adieu donc, ô belle ame !
Emporte chez les morts ce baiser tout de flâme :
Je ne te verray plus ; adieu, cher Adonis !
Ainsi Venus cessa. Les rochers, à ses cris
Quittant leur dureté, répandirent des larmes :
Zephyre en soûpira ; le jour voila ses charmes.
D’un pas précipité sous les eaux il s’enfuit,
Et laissa dans ces lieux une profonde nuit.

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