ACTE V - Scène III


PHILAMINTE, BÉLISE, ARMANDE, TRISSOTIN, UN NOTAIRE, CHRYSALE, CLITANDRE, HENRIETTE, MARTINE.

PHILAMINTE (au notaire.)
Vous ne sauriez changer votre style sauvage,
Et nous faire un contrat qui soit en beau langage ?

LE NOTAIRE
Notre style est très bon ; et je serais un sot,
Madame, de vouloir y changer un seul mot.

BÉLISE
Ah ! quelle barbarie au milieu de la France !
Mais au moins en faveur, monsieur, de la science,
Veuillez, au lieu d'écus, de livres, et de francs,
Nous exprimer la dot en mines et talents ;
Et dater par les mots d'ides et de calendes.

LE NOTAIRE
Moi ? Si j'allais, madame, accorder vos demandes,
Je me ferais siffler de tous mes compagnons.

PHILAMINTE
De cette barbarie en vain nous nous plaignons.
Allons, monsieur, prenez la table pour écrire.
(Apercevant Martine.)

Ah ! ah ! cette impudente ose encor se produire ?
Pourquoi donc, s'il vous plaît, la ramener chez moi ?

CHRYSALE
Tantôt avec loisir on vous dira pourquoi.
Nous avons maintenant autre chose à conclure.

LE NOTAIRE
Procédons au contrat. Où donc est la future ?

PHILAMINTE
Celle que je marie est la cadette.

LE NOTAIRE
Bon.

CHRYSALE (montrant Henriette.)
Oui, la voilà, monsieur : Henriette est son nom.

LE NOTAIRE
Fort bien. Et le futur ?

PHILAMINTE (montrant Trissotin.)
L'époux que je lui donne
Est monsieur.

CHRYSALE (montrant Clitandre.)
Et celui, moi, qu'en propre personne
Je prétends qu'elle épouse est monsieur.

LE NOTAIRE
Deux époux !
C'est trop pour la coutume.

PHILAMINTE (au notaire.)
Où vous arrêtez-vous ?
Mettez, mettez, monsieur Trissotin pour mon gendre.

CHRYSALE
Pour mon gendre mettez, mettez, monsieur Clitandre.

LE NOTAIRE
Mettez-vous donc d'accord, et, d'un jugement mûr
Voyez à convenir entre vous du futur.

PHILAMINTE
Suivez, suivez, monsieur, le choix où je m'arrête.

CHRYSALE
Faites, faites, monsieur, les choses à ma tête.

LE NOTAIRE
Dites-moi donc à qui j'obéirai des deux

PHILAMINTE (à Chrysale.)
Quoi donc ? vous combattrez les choses que je veux !

CHRYSALE
Je ne saurais souffrir qu'on ne cherche ma fille
Que pour l'amour du bien qu'on voit dans ma famille.

PHILAMINTE
Vraiment, à votre bien on songe bien ici !
Et c'est là pour un sage, un fort digne souci !

CHRYSALE
Enfin, pour son époux, j'ai fait choix de Clitandre.

PHILAMINTE
Et moi, pour son époux,
(Montrant Trissotin.)

voici qui je veux prendre :
Mon choix sera suivi ; c'est un point résolu.

CHRYSALE
Ouais ! Vous le prenez là d'un ton bien absolu ?

MARTINE
Ce n'est point à la femme à prescrire, et je sommes
Pour céder le dessus en toute chose aux hommes.

CHRYSALE
C'est bien dit.

MARTINE
Mon congé cent fois me fût-il hoc,
La poule ne doit point chanter devant le coq.

CHRYSALE
Sans doute.

MARTINE
Et nous voyons que d'un homme on se gausse,
Quand sa femme, chez lui, porte le haut-de-chausse.

CHRYSALE
Il est vrai.

MARTINE
Si j'avais un mari, je le dis,
Je voudrais qu'il se fît le maître du logis ;
Je ne l'aimerais point, s'il faisait le Jocrisse ;
Et si je contestais contre lui par caprice,
Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon
Qu'avec quelques soufflets il rabaissât mon ton.

CHRYSALE
C'est parler comme il faut.

MARTINE
Monsieur est raisonnable,
De vouloir pour sa fille un mari convenable.

CHRYSALE
Oui.

MARTINE
Par quelle raison, jeune et bien fait qu'il est,
Lui refuser Clitandre ? Et pourquoi, s'il vous plaît,
Lui bailler un savant, qui sans cesse épilogue ?
Il lui faut un mari, non pas un pédagogue ;
Et, ne voulant savoir le grais ni le latin,
Elle n'a pas besoin de monsieur Trissotin.

CHRYSALE
Fort bien.

PHILAMINTE
Il faut souffrir qu'elle jase à son aise.

MARTINE
Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise ;
Et, pour mon mari, moi, mille fois je l'ai dit,
Je ne voudrais jamais prendre un homme d'esprit.
L'esprit n'est point du tout ce qu'il faut en ménage.
Les livres cadrent mal avec le mariage ;
Et je veux, si jamais on engage ma foi,
Un mari qui n'ait point d'autre livre que moi ;
Qui ne sache A, ne B, n'en déplaise à madame,
Et ne soit, en un mot, docteur que pour sa femme.

PHILAMINTE (à Chrysale.)
Est-ce fait ? et, sans trouble, ai-je assez écouté
Votre digne interprète ?

CHRYSALE
Elle a dit vérité.

PHILAMINTE
Et moi, pour trancher court toute cette dispute,
Il faut qu'absolument mon désir s'exécute.
(Montrant Trissotin.)

Henriette, et monsieur seront joints de ce pas.
Je l'ai dit, je le veux : ne me répliquez pas ;
Et, si votre parole à Clitandre est donnée,
Offrez-lui le parti d'épouser son aînée.

CHRYSALE
Voilà dans cette affaire un accommodement.
(À Henriette et à Clitandre.)

Voyez ; y donnez-vous votre consentement ?

HENRIETTE
Hé ! mon père !

CLITANDRE
Hé ! monsieur !

BÉLISE
On pourrait bien lui faire
Des propositions qui pourraient mieux lui plaire ;
Mais nous établissons une espèce d'amour
Qui doit être épuré comme l'astre du jour ;
La substance qui pense y peut être reçue ;
Mais nous en bannissons la substance étendue.

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