(CRISPIN, ARISTE, MAÎTRE JACQUES, suivant Ariste.)
MAÎTRE JACQUES
C'est là, monsieur Ariste :
Velà bian la maison, je le sens à la piste ;
Mais l'homme que voici nous instruira de ça.
CRISPIN
(, s'entortillant le nez dans son manteau.)
Que cherchez-vous, Messieurs ?
ARISTE
Ne serait-ce pas là
La maison d'un nommé le Seigneur Démocrite ?
MAÎTRE JACQUES
Je sons partis tous deux pour lui rendre visite.
CRISPIN
Oui, que demandez-vous ?
ARISTE
J'arrive ici pour lui.
MAÎTRE JACQUES
C'est que ce Démocrite avertit celui-ci
Qu'il lui baillait sa fille, et ça m'a fait envie ;
Je venions assister à la çarimonie.
Je devons épouser la fille de Jacquet,
Et je veinions un peu voir comment ça se fait.
CRISPIN
Est-ce Ariste ?
ARISTE
C'est moi.
MAÎTRE JACQUES
Velà sa portraiture,
Tout comme l'a bâti notre mère Nature.
CRISPIN
Moi, je suis Démocrite.
ARISTE
Ha ! quel heureux hasard !
Démocrite, pardon si j'arrive un peu tard.
CRISPIN
Vous vous moquez de moi.
MAÎTRE JACQUES
Velà donc le biau-père ?
Oh ! bian, pisque c'est vous, souffrez donc sans mystère
Que je vous dégauchisse un petit compliment,
En vous remarcissant de votre traitement.
CRISPIN
Vous me comblez d'honneur ; je voudrais que ma fille
Pût, dans la suite, Ariste, unir notre famille.
On nous a fait de vous un si sage récit.
ARISTE
Je ne mérite pas tout ce qu'on en a dit.
MAÎTRE JACQUES
Palsangué ! Qu'ils feront tous deux un beau carrage
Je ne sais pas au vrai si la fille est bian sage ;
Mais, margué, je m'en doute.
CRISPIN
Il ne me sied pas bien
De la louer moi-même et d'en dire du bien.
Vous en pourrez juger, elle est très vertueuse.
MAÎTRE JACQUES
Biau-père, dites-moi, n'est-elle pas rêveuse ?
CRISPIN
Monsieur sera content s'il devient son époux.
ARISTE
C'est, je l'ose assurer, mon souhait le plus doux ;
Et quoique dans ces lieux j'aie fait ma retraite…
MAÎTRE JACQUES
(, vite.)
C'est qu'en ville autrefois sa fortune était faite.
Il était emplouyé dans un très grand emploi ;
Mais on le rechercha de par Monsieur le Roi.
Il avait un biau train ; quelques farmiers venirent ;
Ah ! Les méchants bourriaux ! Les farmiers le forcirent
À compter. Ils disiont que Monsieur avait pris
Plus d'argent qu'il ne faut et qu'il n'était permis ;
Enfin, tout ci, tout ça, ces gens, pour son salaire,
Vouliont, ce disaient-ils, lui faire pardre terre.
Ceti-ci prit la mouche ; il leur plantit tout là,
Et de ci les valets, et les cheviaux de là ;
Et Monsieur, bien fâché d'une telle avanie,
S'en venit dans les champs vivre en mélancoulie.
ARISTE
Le fait est seulement que, lassé du fracas,
Le séjour du village a pour moi plus d'appas.
MAÎTRE JACQUES
(, apercevant Toinette à une fenêtre.)
Ha ! le friand minois que je vois qui regarde !
TOINETTE
(, à la fenêtre.)
Hé ! qui sont donc ces gens ?
MAÎTRE JACQUES
L'agriable camarde !
Biau-père, c'est l'enfant dont vous voulez parler ?
CRISPIN
Il est vrai, c'est ma fille ; et je vais l'appeler.
Ma fille, descendez. (Il fait signe à Toinette.)
MAÎTRE JACQUES
Morgué, qu'elle est gentille !
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