Acte III - Scène VII



(Chrysante, Philiste, Lycas)

Chrysante
Mon fils, qu'avez-vous fait ?

Philiste
J'ai mis, grâces aux dieux, ma promesse en effet.

Chrysante
Ainsi vous m'empêchez d'exécuter la mienne.

Philiste
Je ne puis empêcher que la vôtre ne tienne ;
Mais si jamais je trouve ici ce courratier,
Je lui saurai, madame, apprendre son métier.

Chrysante
Il vient sous mon aveu.

Philiste
Votre aveu ne m'importe ;
C'est un fou s'il me voit sans regagner la porte :
Autrement, il saura ce que pèsent mes coups.

Chrysante
Est-ce là le respect que j'attendais de vous ?

Philiste
Commandez que le cœur à vos yeux je m'arrache,
Pourvu que mon honneur ne souffre aucune tache :
Je suis prêt d'expier avec mille tourments
Ce que je mets d'obstacle à vos contentements.

Chrysante
Souffrez que la raison règle votre courage ;
Considérez, mon fils, quel heur, quel avantage,
L'affaire qui se traite apporte à votre sœur.
Le bien est en ce siècle une grande douceur :
Etant riche, on est tout ; ajoutez qu'elle-même
N'aime point Alcidon, et ne croit pas qu'il l'aime.
Quoi ! voulez-vous forcer son inclination ?

Philiste
Vous la forcez vous-même à cette élection :
Je suis de ses amours le témoin oculaire.

Chrysante
Elle se contraignait seulement pour vous plaire.

Philiste
Elle doit donc encor se contraindre pour moi.

Chrysante
Et pourquoi lui prescrire une si dure loi ?

Philiste
Puisqu'elle m'a trompé, qu'elle en porte la peine.

Chrysante
Voulez-vous l'attacher à l'objet de sa haine ?

Philiste
Je veux tenir parole à mes meilleurs amis,
Et qu'elle tienne aussi ce qu'elle m'a promis.

Chrysante
Mais elle ne vous doit aucune obéissance.

Philiste
Sa promesse me donne une entière puissance.

Chrysante
Sa promesse, sans moi, ne la peut obliger.

Philiste
Que deviendra ma foi, qu'elle a fait engager ?

Chrysante
Il la faut révoquer, comme elle sa promesse.

Philiste
Il faudrait donc, comme elle, avoir l'âme traîtresse.
Lycas, cours chez Florange, et dis-lui de ma part…

Chrysante
Quel violent esprit !

Philiste
Que s'il ne se départ
D'une place chez nous par surprise occupée,
Je ne le trouve point sans une bonne épée.

Chrysante
Attends un peu. Mon fils…

Philiste (, à Lycas.)
Marche, mais promptement.

Chrysante (, seule.)
Dieux ! que cet emporté me donne de tourment !
Que je te plains, ma fille ! Hélas ! pour ta misère
Les destins ennemis t'ont fait naître ce frère ;
Déplorable, le ciel te veut favoriser
D'une bonne fortune, et tu n'en peux user.
Rejoignons toutes deux ce naturel sauvage,
Et tâchons par nos pleurs d'amollir son courage.

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