ACTE II - Scène IV



(Daphnis Amarante, Florame.)

Daphnis
Amarante allez voir si dans la galerie
Ils ont bientôt tendu cette tapisserie :
Ces gens-là ne font rien, si l'on n'a l'œil sur eux.
(Amarante rentre, et Daphnis continue.)
Je romps pour quelque temps le discours de vos feux.

Florame
N'appelez point des feux un peu de complaisance
Que détruit votre abord, qu'éteint votre présence.

Daphnis
Votre amour est trop forte, et vos cœurs trop unis,
Pour l'oublier soudain à l'abord de Daphnis ;
Et vos civilités, étant dans l'impossible,
Vous rendent bien flatteur, mais non pas insensible.

Florame
Quoi que vous estimiez de ma civilité,
Je ne me pique point d'insensibilité.
J'aime, il n'est que trop vrai ; je brûle, je soupire :
Mais un plus haut sujet me tient sous son empire.

Daphnis
Le nom ne s'en dit point ?

Florame
Je ris de ces amants
Dont le trop de respect redouble les tourments,
Et qui, pour les cacher se faisant violence,
Se promettent beaucoup d'un timide silence.
Pour moi, j'ai toujours cru qu'un amour vertueux
N'avait point à rougir d'être présomptueux.
Je veux bien vous nommer le bel œil qui me dompte,
Et ma témérité ne me fait point de honte.
Ce rare et haut sujet…
Amarante revenant brusquement.
Tout est presque tendu.

Daphnis
Vous n'avez auprès d'eux guère de temps perdu.

Amarante
J'ai vu qu'ils l'employaient, et je suis revenue.

Daphnis
J'ai peur de m'enrhumer au froid qui continue.
Allez au cabinet me quérir un mouchoir :
J'en ai laissé les clefs autour de mon miroir,
Vous les trouverez là.
(Amarante rentre, et Daphnis continue.)
J'ai cru que cette belle
Ne pouvait à propos se nommer devant elle,
Qui recevant par là quelque espèce d'affront,
En aurait eu soudain la rougeur sur le front.

Florame
Sans affront je la quitte, et lui préfère une autre
Dont le mérite égal, le rang pareil au vôtre,
L'esprit et les attraits également puissants,
Ne devraient de ma part avoir que de l'encens :
Oui, sa perfection, comme la vôtre extrême,
N'a que vous de pareille ; en un mot, c'est…

Daphnis
Moi-même.
Je vois bien que c'est là que vous voulez venir,
Non tant pour m'obliger, comme pour me punir.
Ma curiosité, devenue indiscrète,
A voulu trop savoir d'une flamme secrète :
Mais bien qu'elle en reçoive un juste châtiment,
Vous pouviez me traiter un peu plus doucement.
Sans me faire rougir, il vous devait suffire
De me taire l'objet dont vous aimez l'empire :
Mettre en sa place un nom qui ne vous touche pas,
C'est un cruel reproche au peu que j'ai d'appas.

Florame
Vu le peu que je suis, vous dédaignez de croire
Une si malheureuse et si basse victoire.
Mon cœur est un captif si peu digne de vous,
Que vos yeux en voudraient désavouer leurs coups ;
Ou peut-être mon sort me rend si méprisable,
Que ma témérité vous devient incroyable.
Mais quoi que désormais il m'en puisse arriver,
Je fais serment…

Amarante
Vos clefs ne sauraient se trouver.

Daphnis
Faute d'un plus exquis, et comme par bravade,
Ceci servira donc de mouchoir de parade.
Enfin, ce cavalier que nous vîmes au bal,
Vous trouvez comme moi qu'il ne danse pas mal ?

Florame
Je ne le vis jamais mieux sur sa bonne mine.

Daphnis
Il s'était si bien mis pour l'amour de Clarine.
(À Amarante.)
À propos de Clarine, il m'était échappé
Qu'elle en a deux à moi d'un nouveau point-coupé.
Allez, et dites-lui qu'elle me les renvoie.

Amarante
Il est hors d'apparence aujourd'hui qu'on la voie ;
Dès une heure au plus tard elle devait sortir.

Daphnis
Son cocher n'est jamais si tôt prêt à partir ;
Et d'ailleurs son logis n'est pas au bout du monde ;
Vous perdrez peu de pas. Quoi qu'elle vous réponde,
Dites-lui nettement que je les veux avoir.

Amarante
À vous les rapporter je ferai mon pouvoir.

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