Scène II
SALMÈQUE (DÉSORIENTÉ, ENTRANT DU FOND)
SALMÈQUE
Pardon, Monsieur, Madame… tiens ! personne… J'avais entendu marcher, cependant… Je vais attendre ici… J'ai fait le tour de l'appartement, personne… Enfin c'est bien là, d'après les indications du concierge… un farceur de concierge… Je lui ai dit : "Madame Marie, y a-t-il quelqu'un ?… Il m'a flanqué un coup de poing dans le côté… et m'a répondu…Mais monte donc ! il y a déjà quelqu'un…" Déjà ! Pourquoi déjà… Oh ! Donc ! déjà ! ce doit être un russe… non mais ce qu'il y a de mieux c'est qu'il n'y a personne… ce doit être un russe de Marseille… n'importe je suis monté et j'ai sonné… hein ? on n'a pas entendu… ça ne m'étonne pas : D'abord j'ai sonné trop fort ! le cordon m'est resté dans la main (il tire le cordon de sa poche)
et puis j'aurais sonné autrement que cela eût la même chose parce que j'ai tenu à m'éclairer… j'ai suivi le fil… il conduit à un corridor, eh bien il n'y avait pas de sonnette au bout… le fil était attaché à un clou… et la machine est en réparation… J'aurais pu carillonner longtemps… Ouf ! quelle vie depuis deux jours… moi, calme habitant de la ville de Quimper, car j'habite Quimper, de père en fils, depuis cent ans… eh bien ! un beau jour, crac, on lâche tout. Voilà où l'ambition vous mène… Je viens épouser la grande citoyenne… la fameuse Marie, une ancienne balayeuse, qui est aujourd'hui à la tête d'un parti politique. Eh ! oui ! et c'est cette fille du peuple qui me mènera aux grandeurs hein ? A des grandeurs de bas étages ! Eh ! bien quoi ! c'est logique ! pour qu'une grandeur soit véritablement grande… il faut bien qu'elle parte de plus bas… car, sans ça, comment voulez-vous que ce soit une grandeur… ça reste toujours au même niveau ce qui m'ennuie, par exemple, c'est qu'il paraît qu'elle est furieusement laide…ah ! Bah ! la beauté est fragile…ça passe…la laideur ne passe pas… il faut préférer le solide ; aussi je n'ai pas hésité, et j'ai pris immédiatement le chemin de fer mais parfaitement ! le service y est même très mal fait… Figurez-vous qu'on nous crie : "Les voyageurs pour Paris…" alors tout le monde sort et les voilà tous qui se précipitent sur un seul et même train qui était là devant nous… Quant il y en avait un tas d'autres où personne n'allait ; qui ne faisaient rien dans tous les coins de la gare… moi qui ne suis pas bête… Je me dis : "Laissons tous ces moutons de Panurge s'écraser dans leurs compartiments… et nous ! voyageons seul…" et je me suis fourré dans un wagon, qui était très loin, de l'autre côté de la voie, pour être plus sûr d'être seul… Eh ! bien je ne suis parti que quatre heures après… et pour Bordeaux, c'est idiot ! sans compter qu'il est venu un tas de monde, et, que je n'ai même pas voyagé seul… aussi j'ai réclamé… J'ai demandé un administrateur, on m'a envoyé un médecin aliéniste ! je vous demande un peu ! Eh ! bien comment voulez-vous que ça aille en France, si le service est fait comme ça ?