Acte IV - Scène V



(SÉVÈRE, PAULINE, FABIAN)

SÉVÈRE
Dans mon étonnement, Je suis confus pour lui de son aveuglement. Sa résolution a si peu de pareilles, Qu'à peine je me fie encore à mes oreilles. Un cœur qui vous chérit (mais quel cœur assez bas Aurait pu vous connaître, et ne vous chérir pas ?)
, Un homme aimé de vous, sitôt qu'il vous possède, Sans regret il vous quitte ; il fait plus, il vous cède, Et comme si vos feux étaient un don fatal, Il en fait un présent lui-même à son rival ! Certes, ou les chrétiens ont d'étranges manies, Ou leurs félicités doivent être infinies, Puisque, pour y prétendre, ils osent rejeter Ce que de tout l'empire il faudrait acheter. Pour moi, si mes destins, un peu plus tôt propices, Eussent de votre hymen honoré mes services, Je n'aurais adoré que l'éclat de vos yeux, J'en aurais fait mes rois, j'en aurais fait mes dieux ; On m'aurait mis en poudre, on m'aurait mis en cendre, Avant que…

PAULINE
Brisons là ; je crains de trop entendre, Et que cette chaleur, qui sent vos premiers feux, Ne pousse quelque suite indigne de tous deux. Sévère, connaissez Pauline tout entière : Mon Polyeucte touche à son heure dernière, Pour achever de vivre il n'a plus qu'un moment ; Vous en êtes la cause, encor qu'innocemment ; Je ne sais si votre âme, à vos désirs ouverte, Aurait osé former quelque espoir sur sa perte, Mais sachez qu'il n'est point de si cruel trépas Où d'un front assuré je ne porte mes pas, Qu'il n'est point aux enfers d'horreurs que je n'endure, Plutôt que de souiller une gloire si pure, Que d'épouser un homme, après son triste sort, Qui de quelque façon soit cause de sa mort, Et, si vous me croyiez d'une âme si peu saine, L'amour que j'eus pour vous tournerait toute en haine. Vous êtes généreux, soyez-le jusqu'au bout : Mon père est en état de vous accorder tout ; Il vous craint ; et j'avance encor cette parole, Que s'il perd mon époux, c'est à vous qu'il l'immole ; Sauvez ce malheureux, employez-vous pour lui, Faites-vous un effort pour lui servir d'appui. Je sais que c'est beaucoup que ce que je demande, Mais plus l'effort est grand, plus la gloire en est grande ; Conserver un rival dont vous êtes jaloux, C'est un trait de vertu qui n'appartient qu'à vous, Et si ce n'est assez de votre renommée, C'est beaucoup qu'une femme autrefois tant aimée, Et dont l'amour peut-être encor vous peut toucher, Doive à votre grand cœur ce qu'elle a de plus cher ; Souvenez-vous enfin que vous êtes Sévère. Adieu. Résolvez seul ce que vous voulez faire. Si vous n'êtes pas tel que je l'ose espérer, Pour vous priser encor je le veux ignorer.

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