Scène 4


Lycarsis
C'est de cette façon que l'on punit les gens,
Quand ils font les benêts et les impertinents.

Daphné
Le Ciel tienne, pasteur, vos brebis toujours saines !

Eroxène
Cérès tienne de grains vos granges toujours pleines !

Lycarsis
Et le grand Pan vous donne à chacune un époux
Qui vous aime beaucoup, et soit digne de vous!

Daphné
Ah! Lycarsis, nos vœux à même but aspirent.

Eroxène
C'est pour le même objet que nos deux cœurs soupirent.

Daphné
Et l'Amour, cet enfant qui cause nos langueurs,
A pris chez vous le trait dont il blesse nos cœurs.

Eroxène
Et nous venons ici chercher votre alliance,
Et voir qui de nous deux aura la préférence.

Lycarsis
Nymphes…

Daphné
Pour ce bien seul nous poussons des soupirs.

Lycarsis
Je suis…

Eroxène
A ce bonheur tendent tous nos désirs.

Daphné
C'est un peu librement expliquer sa pensée.

Lycarsis
Pourquoi?

Eroxène
La bienséance y semble un peu blessée.

Lycarsis
Ah! point.

Daphné
Mais quand le cœur brûle d'un noble feu,
On peut sans nulle honte en faire un libre aveu.

Lycarsis
Je…

Eroxène
Cette liberté nous peut être permise,
Et du choix de nos cœurs la beauté l'autorise.

Lycarsis
C'est blesser ma pudeur que me flatter ainsi.

Eroxène
Non, non, n'affectez point de modestie ici.

Daphné
Enfin tout notre bien est en votre puissance.

Eroxène
C'est de vous que dépend notre unique espérance.

Daphné
Trouverons-nous en vous quelques difficultés ?

Lycarsis
Ah !

Eroxène
Nos vœux, dites-moi, seront-ils rejetés ?

Lycarsis
Non : j'ai reçu du Ciel une âme peu cruelle ;
Je tiens de feu ma femme, et je me sens comme elle
Pour les desirs d'autrui beaucoup d'humanité,
Et je ne suis point homme à garder de fierté.

Daphné
Accordez donc Myrtil à notre amoureux zèle.

Eroxène
Et souffrez que son choix règle notre querelle.

Lycarsis
Myrtil ?

Daphné
Oui, c'est Myrtil que de vous nous voulons.

Eroxène
De qui pensez-vous donc qu'ici nous vous parlons ?

Lycarsis
Je ne sais ; mais Myrtil n'est guère dans un âge
Qui soit propre à ranger au joug du mariage.

Daphné
Son mérite naissant peut frapper d'autres yeux ;
Et l'on veut s'engager un bien si précieux,
Prévenir d'autres cœurs, et braver la Fortune
Sous les fermes liens d'une chaîne commune.

Eroxène
Comme par son esprit et ses autres brillants
Il rompt l'ordre commun et devance le temps,
Notre flamme pour lui veut en faire de même,
Et régler tous ses vœux sur son mérite extrême.

Lycarsis
Il est vrai qu'à son âge il surprend quelquefois ;
Et cet Athénien qui fut chez moi vingt mois,
Qui, le trouvant joli, se mit en fantaisie
De lui remplir l'esprit de sa philosophie,
Sur de certains discours l'a rendu si profond,
Que, tout grand que je suis, souvent il me confond.
Mais, avec tout cela, ce n'est encor qu'enfance,
Et son fait est mêlé de beaucoup d'innocence.

Daphné
Il n'est point tant enfant, qu'à le voir chaque jour,
Je ne le croie atteint déjà d'un peu d'amour ;
Et plus d'une aventure à mes yeux s'est offerte
Où j'ai connu qu'il suit la jeune Mélicerte.

Eroxène
Ils pourroient bien s'aimer ; et je vois …

Lycarsis
Franc abus.
Pour elle, passe encore : elle a deux ans de plus ;
Et deux ans, dans son sexe, est une grande avance.
Mais pour lui, le jeu seul l'occupe tout, je pense,
Et les petits desirs de se voir ajusté
Ainsi que les bergers de haute qualité.

Daphné
Enfin nous desirons par le nœud d'hyménée
Attacher sa fortune à notre destinée.

Eroxène
Nous voulons, l'une et l'autre, avec pareille ardeur,
Nous assurer de loin l'empire de son cœur.

Lycarsis
Je m'en tiens honoré autant qu'on sauroit croire.
Je suis un pauvre pâtre ; et ce m'est trop de gloire
Que deux Nymphes d'un rang le plus haut du pays
Disputent à se faire un époux de mon fils.
Puisqu'il vous plaît qu'ainsi la chose s'exécute,
Je consens que son choix règle votre dispute ;
Et celle qu'à l'écart laissera cet arrêt,
Pourra, pour son recours, m'épouser, s'il lui plaît,
C'est toujours même sang, et presque même chose.
Mais le voici. Souffrez qu'un peu je le dispose.
Il tient quelque moineau qu'il a pris fraîchement,
Et voilà ses amours et son attachement.

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