(ARLEQUIN, IPHICRATE, QUI ONT CHANGÉ D'HABITS, TRIVELIN.)
ARLEQUIN
Tirlan, tirlan, tirlantaine ! Tirlanton ! Gai, camarade ! Le vin de la république est merveilleux. J'en ai bu bravement ma pinte, car je suis si altéré depuis que je suis maître, que tantôt j'aurai encore soif pour pinte. Que le ciel conserve la vigne, le vigneron, la vendange et les caves de notre admirable république !
TRIVELIN
Bon ! Réjouissez-vous, mon camarade. Êtes-vous content d'Arlequin ?
ARLEQUIN
Oui, c'est un bon enfant ; j'en ferai quelque chose. Il soupire parfois, et je lui ai défendu cela, sous peine de désobéissance, et je lui ordonne de la joie.(Il prend son maître par la main et danse.)
Tala rara la la…
TRIVELIN
Vous me réjouissez moi-même.
ARLEQUIN
Oh ! Quand je suis gai, je suis de bonne humeur.
TRIVELIN
Fort bien. Je suis charmé de vous voir satisfait d'Arlequin. Vous n'aviez pas beaucoup à vous plaindre de lui dans son pays apparemment ?
ARLEQUIN
Eh ! Là-bas ? Je lui voulais souvent un mal de diable ; car il était quelquefois insupportable ; mais à cette heure que je suis heureux, tout est payé ; je lui ai donné quittance.
TRIVELIN
Je vous aime de ce caractère, et vous me touchez. C'est-à-dire que vous jouirez modestement de votre bonne fortune, et que vous ne lui ferez point de peine ?
ARLEQUIN
De la peine ! Ah ! Le pauvre homme ! Peut-être que je serai un petit brin insolent, à cause que je suis le maître : voilà tout.
TRIVELIN
À cause que je suis le maître ; vous avez raison.
ARLEQUIN
Oui, car quand on est le maître, on y va tout rondement, sans façon, et si peu de façon mène quelquefois un honnête homme à des impertinences.
TRIVELIN
Oh ! N'importe ; je vois bien que vous n'êtes point méchant.
ARLEQUIN
Hélas ! Je ne suis que mutin.
TRIVELIN(à Iphicrate.)
Ne vous épouvantez point de ce que je vais dire.(À Arlequin.)
Instruisez-moi d'une chose. Comment se gouvernait-il là-bas, avait-il quelque défaut d'humeur, de caractère ?
ARLEQUIN(riant.)
Ah ! Mon camarade, vous avez de la malice ; vous demandez la comédie.
TRIVELIN
Ce caractère-là est donc bien plaisant ?
ARLEQUIN
Ma foi, c'est une farce.
TRIVELIN
N'importe, nous en rirons.
ARLEQUIN(à Iphicrate.)
Arlequin, me promets-tu d'en rire aussi ?
IPHICRATE(bas.)
Veux-tu achever de me désespérer ? Que vas-tu lui dire ?
ARLEQUIN
Laisse-moi faire ; quand je t'aurai offensé, je te demanderai pardon après.
TRIVELIN
Il ne s'agit que d'une bagatelle ; j'en ai demandé autant à la jeune fille que vous avez vue, sur le chapitre de sa maîtresse.
ARLEQUIN
Eh bien, tout ce qu'elle vous a dit, c'était des folies qui faisaient pitié, des misères, gageons ?
TRIVELIN
Cela est encore vrai.
ARLEQUIN
Eh bien, je vous en offre autant ; ce pauvre jeune garçon en fournira pas davantage ; extravagance et misère, voilà son paquet ; n'est-ce pas là de belles guenilles pour les étaler ? Étourdi par nature ! Étourdi par singerie, parce que les femmes les aiment comme cela, un dissipe-tout ; vilain quand il faut être libéral, libéral quand il faut être vilain ; bon emprunteur, mauvais payeur ; honteux d'être sage, glorieux d'être fou ; un petit brin moqueur des bonnes gens un petit brin hâbleur ; avec tout plein de maîtresses il ne connaît pas ; voilà mon homme. Est-ce la peine d'en tirer le portrait ?(À Iphicrate.)
Non, je n'en ferai rien, mon ami, ne crains rien.
TRIVELIN
Cette ébauche me suffit.(À Iphicrate.)
Vous n'avez plus maintenant qu'à certifier pour véritable ce qu'il vient de dire.
IPHICRATE
Moi ?
TRIVELIN
Vous-même ; la dame de tantôt en a fait autant ; elle vous dira ce qui l'y a déterminée. Croyez-moi, il y va du plus grand bien que vous puissiez souhaiter.
IPHICRATE
Du plus grand bien ? Si cela est, il y a là quelque chose qui pourrait assez me convenir d'une certaine façon.
ARLEQUIN
Prends tout ; c'est un habit fait sur ta taille.
TRIVELIN
Il me faut tout, ou rien.
IPHICRATE
Voulez-vous que je m'avoue un ridicule ?
ARLEQUIN
Qu'importe, quand on l'a été ?
TRIVELIN
N'avez-vous que cela à me dire ?
IPHICRATE
Va donc pour la moitié, pour me tirer d'affaire.
TRIVELIN
Va du tout.
IPHICRATE
Soit.
(Arlequin rit de toute sa force.)
TRIVELIN
Vous avez fort bien fait, vous n'y perdrez rien. Adieu, vous saurez bientôt de mes nouvelles.
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