(IPHICRATE, ARLEQUIN.)
IPHICRATE
Cléanthis m'a dit que tu voulais t'entretenir avec moi ; que me veux-tu ? As-tu encore quelques nouvelles insultes à me faire ?
ARLEQUIN
Autre personnage qui va me demander encore ma compassion. Je n'ai rien à te dire, mon ami, sinon que je voulais te faire commandement d'aimer la nouvelle Euphrosine ; voilà tout. À qui diantre en as-tu ?
IPHICRATE
Peux-tu me le demander, Arlequin ?
ARLEQUIN
Eh ! Pardi, oui, je le peux, puisque je le fais.
IPHICRATE
On m'avait promis que mon esclavage finirait bientôt, mais on me trompe, et c'en est fait, je succombe ; je me meurs, Arlequin, et tu perdras bientôt ce malheureux maître qui ne te croyait pas capable des indignités qu'il a souffertes de toi.
ARLEQUIN
Ah ! Il ne nous manquait plus que cela, et nos amours auront bonne mine. Écoute, je te défends de mourir par malice ; par maladie, passe, je te le permets.
IPHICRATE
Les dieux te puniront, Arlequin.
ARLEQUIN
Eh ! De quoi veux-tu qu'ils me punissent ? D'avoir eu du mal toute ma vie ?
IPHICRATE
De ton audace et de tes mépris envers ton maître ; rien ne m'a été si sensible, je l'avoue. Tu es né, tu as été élevé avec moi dans la maison de mon père ; le tien y est encore ; il t'avait recommandé ton devoir en partant ; moi-même je t'avais choisi par un sentiment d'amitié pour m'accompagner dans mon voyage ; je croyais que tu m'aimais, et cela m'attachait à toi.
ARLEQUIN(pleurant.)
Eh ! Qui est-ce qui te dit que je ne t'aime plus ?
IPHICRATE
Tu m'aimes, et tu me fais mille injures ?
ARLEQUIN
Parce que je me moque un petit brin de toi, cela empêche-t-il que je ne t'aime ? Tu disais bien que tu m'aimais, toi, quand tu me faisais battre ; est-ce que les étrivières sont plus honnêtes que les moqueries ?
IPHICRATE
Je conviens que j'ai pu quelquefois te maltraiter sans trop de sujet.
ARLEQUIN
C'est la vérité.
IPHICRATE
Mais par combien de bontés n'ai-je pas réparé cela !
ARLEQUIN
Cela n'est pas de ma connaissance.
IPHICRATE
D'ailleurs, ne fallait-il-pas te corriger de tes défauts ?
ARLEQUIN
J'ai plus pâti des tiens que des miens ; mes plus grands défauts, c'était ta mauvaise humeur, ton autorité, et le peu de cas que tu faisais de ton pauvre esclave.
IPHICRATE
Va, tu n'es qu'un ingrat ; au lieu de me secourir ici, de partager mon affliction, de montrer à tes camarades l'exemple d'un attachement qui les eût touchés, qui les eût engagés peut-être à renoncer à leur coutume ou à m'en affranchir, et qui m'eût pénétré moi-même de la plus vive reconnaissance !
ARLEQUIN
Tu as raison, mon ami ; tu me remontres bien mon devoir ici pour toi ; mais tu n'as jamais su le tien pour moi, quand nous étions dans Athènes. Tu veux que je partage ton affliction, et jamais tu n'as partagé la mienne. Eh bien va, je dois avoir le coeur meilleur que toi ; car il y a plus longtemps que je souffre, et que je sais ce que c'est que de la peine. Tu m'as battu par amitié : puisque tu le dis, je te le pardonne ; je t'ai raillé par bonne humeur, prends-le en bonne part, et fais- en ton profit. Je parlerai en ta faveur à mes camarades ; je les prierai de te renvoyer, et s'ils ne le veulent pas, je te garderai comme mon ami ; car je ne te ressemble pas, moi ; je n'aurais point le courage d'être heureux à tes dépens.
IPHICRATE(s'approchant d'Arlequin.)
Mon cher Arlequin, fasse le ciel, après ce que je viens d'entendre, que j'aie la joie de te montrer un jour les sentiments que tu me donnes pour toi ! Va, mon cher enfant, oublie que tu fus mon esclave, et je me ressouviendrai toujours que je ne méritais pas d'être ton maître.
ARLEQUIN
Ne dites donc point comme cela, mon cher patron : si j'avais été votre pareil, je n'aurais peut-être pas mieux valu que vous. C'est à moi à vous demander pardon du mauvais service que je vous ai toujours rendu. Quand vous n'étiez pas raisonnable, c'était ma faute.
IPHICRATE(l'embrassant.)
Ta générosité me couvre de confusion.
ARLEQUIN
Mon pauvre patron, qu'il y a de plaisir à bien faire !
(Après quoi, il déshabille son maître.)
IPHICRATE
Que fais-tu, mon cher ami ?
ARLEQUIN
Rendez-moi mon habit, et reprenez le vôtre ; je ne suis pas digne de le porter.
IPHICRATE
Je ne saurais retenir mes larmes. Fais ce que tu voudras.
L'Île de la raison, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1727, se déroule sur une île imaginaire gouvernée par la raison et la vérité, où les habitants vivent...
L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...
L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...
Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...
Les Fausses Confidences, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1737, met en scène les stratagèmes de l’amour et les jeux de manipulation pour conquérir un cœur. L’histoire suit...