La bizarre comédie que fut le jour de mon mariage ! Trois semaines de fiançailles, la présence fréquente de ce Renaud que j’aime à l’affolement, ses yeux gênants, et ses gestes (contenus cependant) plus gênants encore, ses lèvres toujours en quête d’un bout de moi me firent pour ce jeudi-là une mine aiguë de chatte brûlante. Je ne compris rien à sa réserve, à son abstention, dans ce temps-là ! J’aurais été toute à lui, dès qu’il eût voulu ; il le sentait bien. Et pourtant, avec un soin trop gourmet de son bonheur — et du mien ? il nous maintint dans une sagesse éreintante. Sa Claudine déchaînée lui jeta, souvent, des regards irrités au bout d’un baiser trop court et rompu avant le… avant le temps moral : « Mais enfin, dans huit jours ou maintenant, qu’est-ce que ça fait ? Vous me brégez inutilement, vous me fatiguez affreusement… » Sans pitié de nous deux, il me laissa toute intacte, malgré moi, jusqu’à ce mariage à la six-quat’deux.
Irritée sincèrement contre la nécessité d’informer un monsieur-maire et un monsieur-curé de ma décision de vivre avec Renaud, je refusai d’aider Papa, ni personne, en rien. Renaud y mit une adroite patience, Papa un dévouement inusité, furieux et ostentatoire. Mélie seule, rayonnante d’assister au dénouement d’une histoire d’amour, chanta et rêva au-dessus du plomb de la petite cour triste. Fanchette, suivie de Limaçon encore chancelant « plus beau qu’un fils de Phtah », flaira des cartons ouverts, des étoffes neuves, des gants longs qui lui donnèrent d’ingénus hauts-le-cœur, et « fit du pain » en pétrissant mon voile de tulle blanc.
Ce rubis en poire qui pend à mon cou, au bout d’un fil d’or si léger, Renaud me l’apporta l’avant-veille de notre mariage. Je me rappelle, je me rappelle ! Séduite par sa couleur de vin clair, je le mirais à contre-jour, à hauteur des yeux, mon autre main appuyée à l’épaule de Renaud agenouillé. Il rit :
— Tu louches, Claudine, comme Fanchette quand elle suit une mouche volante.
Sans l’écouter, je mis soudain le rubis dans ma bouche « parce que ça doit fondre et sentir la framboise acidulée » ! Renaud, dérouté par cette compréhension nouvelle des pierres précieuses, m’apporta des bonbons le lendemain. Ils me causèrent, ma foi, autant de plaisir que le bijou.
Le grand matin, je m’éveillai irritée et bougonne, pestant contre la mairie et l’église, contre la lourdeur de ma robe à traîne, contre le chocolat trop chaud et Mélie en cachemire violet dès sept heures du matin (« Ah ! ma France, tu vas en avoir du goût »), contre ces gens qui allaient venir : Maugis et Robert Parville, témoins de Renaud, tante Cœur en chantilly, Marcel à qui son père pardonnait — exprès pour l’agacer et lui faire la gnée[1], je crois — et mes témoins à moi : un malacologue très décoré, très crasseux aussi, de qui je n’ai jamais su le nom, et M. Maria ! Papa, oublieux et serein, trouvait tout naturel ce dévouement singulier de mon amoureux martyr.
Et Claudine, prête avant l’heure, un peu jaunette dans sa robe blanche et son voile mal équilibré — pas toujours commodes ces cheveux courts — assise devant la corbeille de Fanchette en train de se faire masser le ventre par son Limaçon rayé, Claudine songeait : « Ça me rebute, ce mariage ! L’idéal, ce serait de l’avoir ici, de dîner tous deux, de nous enfermer dans cette petite chambre où j’ai dormi en songeant à lui, où j’ai songé à lui sans dormir, et… Mais mon lit-bateau serait trop petit… »
La venue de Renaud, la trépidation légère de ses gestes ne chassa point ces préoccupations. Il fallut pourtant, sur la prière de M. Maria qui s’affolait, objurguer Papa et l’aller relancer. Mon noble père, digne de la circonstance exceptionnelle et de lui-même, avait simplement oublié que je me mariais ; on le trouva en robe de chambre (à midi moins dix !) fumant sa pipe avec solennité. Il accueillit le pauvre Maria par ces mots mémorables :
— Arrivez donc, vous êtes bougrement en retard, Maria, aujourd’hui que nous avons justement un chapitre très dur… Tiens, cette idée de vous enfiler dans un habit noir, vous avez l’air d’un garçon de restaurant !
— Mais Monsieur… Monsieur… le mariage de Mlle Claudine… On n’attend que vous…
— Foutre ! répondit Papa en consultant sa montre, au lieu du calendrier, foutre ! vous êtes sûr que c’est pour aujourd’hui ? Si vous partiez devant, on pourrait toujours commencer sans moi…
Robert Parville, ahuri comme un caniche perdu, parce qu’il n’était pas dans le sillage de la petite Lizery ; Maugis verni de gravité goguenarde ; M. Maria tout pâle ; tante Cœur pincée et Marcel gourmé, ça ne fait pas une foule, n’est-ce pas ? Ils me parurent au moins cinquante, dans l’appartement étroit ! Isolée sous mon voile, j’écoutais mes nerfs défaillants et agacés…
Mon impression, ensuite, fut celle d’un de ces rêves emmêlés et confus, où l’on se sent les pieds liés. Un rayon violet et rose sur mes gants blancs, à travers les vitraux de l’église ; mon rire nerveux à la sacristie, à cause de Papa prétendant signer deux fois sur la même page, « parce que mon premier paraphe est trop maigre ». Étouffante impression d’irréel ; Renaud, lui-même, devenu distant et sans épaisseur…
De retour à la maison, tout inquiet devant ma figure tirée et triste, Renaud m’interrogea tendrement ; je secouai la tête : « Je ne me sens pas beaucoup plus mariée que ce matin. Et vous ? » Ses moustaches tressaillirent ; alors je rougis en haussant les épaules.
Je voulus me débarrasser de cette robe ridicule et on me laissa seule. Fanchette, ma si chère, me reconnut mieux sous une blouse de linon rose et une jupe de serge blanche. « Fanchette, vais-je te quitter ? C’est la première fois… Il le faut. Je ne veux pas te trimballer en chemin de fer avec ta famille. » Un peu envie de pleurer, malaise indéfinissable, côtes serrées et douloureuses. Ah ! que mon ami aimé me prenne vite et qu’il me délivre de cette appréhension sotte, qui n’est ni de la peur ni de la pudeur… Comme la nuit vient tard en juillet, et comme ce soleil blanc me serre les tempes !…
À la nuit tombante, mon mari — mon mari ! — m’emmena. Le roulement caoutchouté ne m’empêchait pas d’entendre mon cœur battre, et je serrais si fort les dents que son baiser ne les desserra pas.
Rue de Bassano, j’entrevis à peine, sous l’électricité voilée des lampes à écrire posées sur les tables, cet appartement « trop gravure dix-huitième siècle » qu’il avait jusqu’alors refusé de m’ouvrir. Je respirai, pour m’enivrer plus, cette odeur de tabac blond et de muguet, avec un peu de cuir de Russie, qui imprègne les vêtements de Renaud et ses moustaches longues.
Il me semble y être encore, je m’y vois, j’y suis.
Quoi, c’est maintenant ? Que faire ? Je pense à Luce, le temps d’un éclair. J’ôte mon chapeau sans savoir. Je prends la main de celui que j’aime, pour me rassurer, et je le regarde. Il se débarrasse, au hasard, de son chapeau, de ses gants, et s’étire un peu en arrière avec un soupir tremblé. J’aime ses beaux yeux sombres, et son nez courbé, et ses cheveux dédorés qu’un vent habile peigna. Je me rapproche de lui, mais il se dérobe, méchant, s’écarte et me contemple, pendant que j’achève de perdre toute ma belle hardiesse. Je joins les mains :
— Oh ! s’il vous plaît, dépêchez-vous !
(Hélas ! je ne savais pas que ce mot fût si drôle.)
Il s’assied :
— Viens, Claudine.
Sur ses genoux, il m’entend respirer trop vite ; sa voix s’attendrit :
— Tu es à moi ?
— Il y a longtemps, vous le savez bien.
— Tu n’as pas peur ?
— Non je n’ai pas peur. D’abord, je sais tout !
— Quoi, tout ?
Il m’a couchée sur ses genoux et se penche sur ma bouche. Sans défense, je me laisse boire. J’ai envie de pleurer. Du moins, il me semble que j’ai envie de pleurer.
— Tu sais tout, ma petite fille chérie, et tu n’as pas peur ?
Je crie :
— Non !…
… quand même, et je me cramponne désespérément à son cou. D’une main, il essaie déjà de dégrafer ma chemisette. Je bondis :
— Non ! moi toute seule !
Pourquoi ? Je n’ai pas su pourquoi. Une dernière Claudinerie impulsive. Toute nue, je serais allée droit dans ses bras, mais je ne veux pas qu’il me déshabille.
Avec une hâte maladroite, je défais et j’éparpille mes vêtements, lançant mes souliers en l’air, ramassant mon jupon entre deux doigts de pied, et mon corset que je jette, tout cela sans regarder Renaud assis devant moi. Je n’ai plus que ma petite chemise, et je dis : « Voilà ! » l’air crâne, en frottant, d’un geste habituel, les empreintes du corset autour de ma taille.
Renaud n’a pas bougé. Il a seulement tendu la tête en avant et empoigné les deux bras de son fauteuil ; et il me regarde. L’héroïque Claudine, prise de panique devant ce regard, court éperdue et se jette sur le lit… sur le lit non découvert !
Il m’y rejoint. Il m’y serre, si tendu que j’entends trembler ses muscles. Tout vêtu, il m’y embrasse, m’y maintient, — mon Dieu, qu’attend-il donc pour se déshabiller, lui aussi ? — et sa bouche et ses mains m’y retiennent, sans que son corps me touche, depuis ma révolte tressaillante jusqu’à mon consentement affolé, jusqu’au honteux gémissement de volupté que j’aurais voulu retenir par orgueil. Après, seulement après, il jette ses habits comme j’ai fait les miens, et il rit, impitoyable, pour vexer Claudine stupéfaite et humiliée. Mais il ne me demande rien, rien que la liberté de me donner autant de caresses qu’il en faut pour que je dorme, au petit jour, sur le lit toujours fermé.
Je lui sus gré, je lui sus beaucoup de gré, plus tard, d’une abnégation aussi active, d’une patience aussi stoïquement prolongée. Je l’en dédommageai apprivoisée et curieuse, avide de regarder mourir ses yeux comme il regardait, crispé, mourir les miens. Je gardai longtemps, d’ailleurs, et à vrai dire je garde encore un peu l’effroi du… comment dire ? on appelle cela « devoir conjugal », je crois. Ce puissant Renaud me fait songer, par similitude, aux manies de la grande Anaïs qui voulait toujours gaîner ses mains importantes de gants trop étroits. À part cela, tout est bon ; tout est un peu trop bon même. Il est doux d’ignorer d’abord, et d’apprendre ensuite, tant de raisons de rire nerveusement, de crier de même, et d’exhaler de petits grognements sourds, les orteils recourbés.
La seule caresse que je n’aie jamais su accorder à mon mari, c’est le tutoiement. Je lui dis « vous » toujours, à toutes les heures, quand je le supplie, quand je consens, quand le tourment exquis d’attendre me force à parler par saccades, d’une voix qui n’est pas la mienne. Mais, lui dire « vous », n’est-ce pas une caresse unique que lui donne là cette Claudine un peu brutale et tutoyeuse ?
Il est beau, il est beau, je vous le jure ! Sa peau foncée et lisse glisse contre la mienne. Ses grands bras s’attachent aux épaules par une rondeur féminine où je pose ma tête, la nuit et le matin, longtemps.
Et ses cheveux couleur de grèbe, ses genoux étroits, et la chère poitrine qui respire lentement, marquée de deux grains de bistre, tout ce grand corps où je fis tant de découvertes passionnantes ! Je lui dis souvent, sincère : « Comme je vous trouve beau ! » Il m’étreint : « Claudine, Claudine, je suis vieux ! » Et ses yeux noircissent d’un regret si poignant que je le regarde sans comprendre.
— Ah ! Claudine, si je t’avais connue il y a dix ans !
— Vous auriez connu en même temps la cour d’assises ! Et puis, vous n’étiez qu’un jeune homme alors, une mauvaise sale arnie de jeune homme qui fait pleurer les femmes ; et moi…
— Toi, tu n’aurais pas connu Luce.
— Pensez-vous que je la regrette ?
— En ce moment-ci, non… ne ferme pas les yeux, je t’en supplie, je te le défends… Leur tournoiement m’appartient…
— Et moi toute !
Moi toute ? non ! La fêlure est là.
J’ai esquivé cette certitude aussi longtemps que je l’ai pu. J’ai souhaité ardemment que la volonté de Renaud courbât la mienne, que sa ténacité vînt assouplir mes sursauts indociles, qu’il eût, enfin, l’âme de ses regards, accoutumés à ordonner et séduire. La volonté, la ténacité de Renaud !… Il est plus souple qu’une flamme, brûlant et léger comme elle, et m’enveloppe sans me dominer. Hélas ! Claudine, dois-tu rester toujours maîtresse de toi-même ?
Il a su pourtant asservir mon corps mince et doré, cette peau qui colle à mes muscles et désobéit à la pression des mains, cette tête de petite fille coiffée en petit garçon… Pourquoi faut-il qu’ils mentent, ses yeux dominateurs et son nez têtu, son joli menton qu’il rase et montre, coquet comme une femme ?
Je suis douce avec lui, et je me fais petite ; je courbe sous ses lèvres une nuque docile, je ne demande rien et je fuis la discussion, dans la crainte sage de le voir me céder tout de suite, et qu’il tende vers moi sa bouche douce en un oui trop facile… Hélas ! il n’a d’autorité que dans les caresses.
(Je reconnais que c’est déjà quelque chose).
Je lui ai conté Luce, et tout et tout, presque dans l’espoir de le voir froncer le nez, s’énerver, me presser de questions rageuses… Eh bien ! non, non. Et même au contraire. Il m’a pressée de questions, oui, mais pas rageuses. Et j’ai écourté parce que je pensais à son fils Marcel (agacée au souvenir des interrogations dont ce petit, lui aussi, me harcelait jadis), mais certes pas par défiance ; car si je n’ai pas trouvé mon maître, j’ai trouvé mon ami et mon allié.
À tout ce gougnigougna de sentiments, Papa répondrait, dédaigneux des mélimélos psychologiques de sa fille qui ergote, et dissèque, et joue à la personne compliquée :
— « L’excrément monte à cheval, et encore il s’y tient ! »
Admirable père ! Je n’ai pas, depuis mon mariage, assez songé à lui, ni à Fanchette. Mais Renaud m’a, pendant des mois, trop aimée, promenée, trop grisée de paysages, envornée[2] de mouvement, de ciels nouveaux et de villes inconnues… Mai au courant de sa Claudine, il a souvent souri d’étonnement en me voyant plus rêveuse devant un paysage que devant un tableau, plus enthousiasmée d’un arbre que d’un musée, et d’un ruisseau que d’un bijou. Il avait beaucoup à m’apprendre, et j’ai beaucoup appris.
La volupté m’apparut comme une merveille foudroyante et presque sombre. Quand Renaud, à me surprendre immobile et sérieuse, me questionnait, anxieux, je devenais rouge, je répondais sans le regarder : « Je ne peux pas vous dire… » Et j’étais obligée de m’expliquer sans paroles, avec cet interlocuteur redoutable qui se repaît de me contempler, qui épie et cultive sur mon visage toutes les délices de la honte…
On dirait que pour lui — et je sens que ceci nous sépare — la volupté est faite de désir, de perversité, de curiosité allègre, d’insistance libertine. Le plaisir lui est joyeux, clément et facile, tandis qu’il me terrasse, m’abîme dans un mystérieux désespoir que je cherche et que je crains. Quand Renaud sourit déjà, haletant et les bras dénoués de moi, je cache encore dans mes mains, quoiqu’il empêche, des yeux pleins d’épouvante et une bouche extasiée. Ce n’est qu’un peu de temps après que je vais me blottir sur son épaule rassurante et me plaindre à mon ami du mal trop cher que m’a fait mon amant.
Parfois, je cherche à me persuader que peut-être l’amour est trop neuf pour moi, tandis que, pour Renaud, il a perdu de son amertume ? J’en doute. Nous ne penserons jamais de même là-dessus, en dehors de la grande tendresse qui nous a noués…
Au restaurant, l’autre soir, il souriait à une dîneuse solitaire, dont la minceur brune et les beaux yeux maquillés se tournaient volontiers vers lui.
— Vous la connaissez ?
— Qui ? la dame ? Non, chérie. Mais comme elle a une jolie silhouette, ne trouves-tu pas ?
— C’est pour cela seulement que vous la regardez ?
— Bien sûr, ma petite fille. Cela ne te choque pas, j’espère ?
— Non-dà. Mais… je ne suis pas contente qu’elle vous sourie.
— Oh ! Claudine ! prie-t-il en penchant vers moi sa figure bistrée, laisse-moi croire encore qu’on peut regarder sans dégoût ton vieux mari ; il a tant besoin d’avoir un peu confiance en lui-même ! Le jour où les femmes ne me regarderont plus du tout, ajoute-t-il en secouant ses cheveux légers, je n’aurai plus qu’à…
— Mais, qu’est-ce que ça fait, les autres femmes, puisque, moi, je vous aimerai toujours ?
— Chut ! Claudine, coupe-t-il adroitement, le ciel me préserve de te voir devenir un cas unique et monstrueux !
Voilà ! En parlant de moi, il dit : les femmes ; est-ce que je dis : les hommes, en pensant à lui ? Je sais bien : l’habitude de vivre en public, en collage, et en adultère, pétrit un homme et l’abaisse à des soucis qu’ignore une petite mariée de dix-neuf ans…
Je ne puis me tenir de lui dire, méchante :
— C’est vous, donc, qui aurez légué à Marcel cette âme de fille coquette ?
— Oh ! Claudine ! demande-t-il un peu attristé, tu n’aimes pas mes défauts ?… De fait, je ne vois pas, hors moi, de qui il tiendrait… Accorde-moi que cette coquetterie s’est moins dévoyée chez moi que chez lui !
Qu’il est vite redevenu léger et heureux ! Il me semble que s’il m’avait répondu sec, et fronçant ses beaux sourcils pareils au velours intérieur d’une coque de châtaigne mûre : « Assez, Claudine, Marcel n’a rien à faire ici, » il me semble que j’eusse commencé à sentir une grande joie, et un peu de ce respect craintif qui ne veut pas me venir, qui ne peut pas me venir pour Renaud.
À tort ou à raison, j’ai besoin de respecter, de redouter un peu ce que j’aime. J’ai ignoré la crainte aussi longtemps que l’amour, et j’aurais voulu qu’elle vînt avec lui…
Mes souvenirs de quinze mois voyagent dans ma tête comme des grains de poudre à travers une chambre sombre barrée d’un rai de soleil. L’un après l’autre ils passent dans le rayon, y brillent une seconde, pendant que je leur souris ou je leur fais la lippe, puis rentrent dans l’ombre.
À mon retour en France, il y a trois mois, j’ai voulu revoir Montigny… Mais ceci mérite que je me prenne, comme dit Luce, du commencement.
Mélie se hâta, il y a un an et demi, de faire claironner à Montigny mon mariage « avec un homme tout à fait bien, un peu fort d’âge, mais encore bien dru ».
Papa lança là-bas, à l’aventure, quelques faire-part, dont l’un au menuisier Danjeau (!) « parce qu’il avait bougrement bien ficelé ses caisses de livres ». Et j’en expédiai deux, avec les adresses moulées de ma plus belle main, à Mlle Sergent et à sa petite dégoûtation d’Aimée[3]. Ce qui me valut une lettre plutôt inattendue…
« Ma chère enfant, » m’écrivit Mlle Sergent, « je suis sincèrement heureuse (attends, marche, bouge pas !) d’un mariage d’affection (le français, dans les mots, brave l’honnêteté) qui vous sera un sûr abri contre une indépendance un peu dangereuse. N’oubliez pas que l’École attend votre visite, si vous revenez, ce que je souhaite, voir un pays qui peut vous tenir au cœur par tant de souvenirs. »
Cette ironie finale s’émoussa contre l’universelle indulgence qui m’enveloppait à ce moment-là. Ma surprise amusée persista seule, et le désir de revoir Montigny — ô bois qui m’avez enchantée ! — avec des yeux moins sauvages et plus mélancoliques.
Et comme nous revenions d’Allemagne par la Suisse, en septembre dernier, je priai Renaud de vouloir bien faire halte vingt-quatre heures avec moi, en plein Fresnois, dans la médiocre auberge de Montigny, place de l’Horloge, chez Lange.
Il consentit tout de suite, comme il consent toujours.
Pour revivre ces jours-là, il suffit que je ferme, une minute, les yeux…
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