Je surprends Renaud, ce matin, dans une vive et triste colère. En silence, je le regarde jeter au feu des papiers en boule, râfler brusquement tout un coin de son bureau chargé de brochures, et tasser cette brassée sur le feu de coke grésillant. Un petit cendrier, lancé d’une main sûre, va s’enfouir dans la corbeille à papiers. Puis c’est Ernest qui, pour n’être pas accouru assez vite, s’entend menacer d’expulsion comme un simple congréganiste. Ça chauffe !
Assise, les mains croisées, j’assiste et j’attends. Les yeux de Renaud me trouvent et s’adoucissent :
— Te voilà, mignonne, je ne t’avais pas vue. D’où viens-tu ?
— De chez Rézi.
— J’aurais dû le penser !… Mais, mon chéri, pardonne à ma distraction, je ne suis pas content.
— Une veine que vous le cachez si bien !
— Ne te moque pas… Viens près de moi. Calme-moi. J’ai des nouvelles, agaçantes jusqu’à être odieuses, de Marcel…
— Ah ?
Je songe à la dernière visite de mon beau-fils, qui exagère vraiment. Une inconcevable fanfaronnade le pousse à me narrer cent choses que je ne lui demande pas, entre autres le récit, quasi détaillé, d’une rencontre qu’il fit, rue de la Pompe, à l’heure où le lycée Janson lâche dans la rue une volée de gosses en béret bleu… Ce jour-là, l’odyssée de Marcel fut interrompue par Rézi, qui émoussa sur lui, pendant trois bons quarts d’heure, toutes les armes de ses regards, et la série de ses voltes les plus savantes. Enfin lassée, elle cessa la lutte, et se tourna vers moi avec un joli geste découragé, qui disait si bien : « Ouf ! j’en ai assez ! » que je me mis à rire, et que Marcel (ce détraqué est loin d’être bête) sourit, infiniment dédaigneux.
Ce dédain se mua vite en curiosité point déguisée lorsqu’il vit Rézi, éclectique, braquer sur moi toute sa panoplie — la même ! — de séductions… Affectant alors une discrétion hors de propos, il partit.
Quelle frasque nouvelle aura commise ce garçon ?
J’attends, la tête posée sur les genoux de Renaud, qu’on me l’apprenne.
— Toujours les mêmes histoires, ma pauvre chérie. Mon charmant fils mitraille de littérature néo-grecque un moutard de bonne famille… Tu ne dis rien, ma petite fille ? Moi, je devrais y être habitué, hélas ! mais ces histoires me soulèvent d’une telle horreur.
— Pourquoi ?
(À ma question posée doucement, Renaud sursaute).
— Comment, pourquoi ?
— Pourquoi, voulais-je dire, mon cher grand, souriez-vous aguiché, presque approbateur, à l’idée que Luce me fut une trop tendre amie ?… à l’espoir, — je répète, l’espoir ! — que Rézi pourrait devenir une Luce plus heureuse ?
(La drôle de figure que celle de mon mari en ce moment ! La surprise extrême, une sorte de pudeur choquée, un sourire penaud et câlin y passent en ondes comme l’ombre des nuages courant sur un pré… Triomphant, il s’écrie enfin) :
— Ce n’est pas la même chose !
— Dieu merci, non, pas tout à fait…
— Non, ce n’est pas la même chose ! Vous pouvez tout faire, vous autres. C’est charmant, et c’est sans importance…
— Sans importance… je ne suis pas de votre avis.
— Si, je dis bien ! C’est entre vous, petites bêtes jolies, une… comment dire ?… une consolation de nous, une diversion qui vous repose…
— Oh ?
— … ou du moins qui vous dédommage, la recherche logique d’un partenaire plus parfait, d’une beauté plus pareille à la vôtre, où se mirent et se reconnaissent votre sensibilité et vos défaillances… Si j’osais (mais je n’oserai pas), je dirais qu’à certaines femmes il faut la femme pour leur conserver le goût de l’homme.
(Eh bien non, je ne comprends pas ! Quelle singularité douloureuse de s’aimer autant que nous aimons, et de sentir si peu de même !… Je ne puis entendre ce que vient de dire mon mari que comme un paradoxe qui flatte et déguise son libertinage un tantinet voyeur).
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