Rézi s’est faite mon ombre. À toute heure elle est là, m’enserre de ses gestes harmonieux dont la ligne se prolonge dans le vide, m’envorne de ses paroles, de ses regards, de sa pensée orageuse que je m’attends à voir jaillir en étincelles au bout de ses doigts effilés… Je m’inquiète, je sens en elle une volonté plus égale, plus têtue que la mienne qui va par bonds, et s’engourdit après.
Parfois, irritée, énervée de sa douceur tenace, de sa beauté qu’elle me passe sous le nez en bouquet, qu’elle pare devant moi à peine voilée, j’ai envie de lui demander brusquement : « Où voulez-vous en venir ? » Mais j’ai peur qu’elle me le dise. Et j’aime mieux me taire, lâchement, pour rester sans pécher auprès d’elle, car elle est, depuis trois mois, mon habitude chère.
À part, en somme, l’insistance de ses doux yeux gris, et le « Dieu ! que je vous aime ! » qui lui échappe souvent, naïf, spontané comme une exclamation de petite fille, je ne puis m’effaroucher de rien.
Au fait, qu’aime-t-elle en moi ? Je perçois bien la sincérité, sinon de sa tendresse, au moins de son désir, et je crains — oui, déjà, je crains — que ce désir seul l’anime.
Hier, accablée de migraine, opprimée par le crépuscule, j’ai laissé Rézi poser ses mains sur mes yeux. Les paupières fermées, je devinais derrière moi l’arabesque de son corps penché, svelte en robe collante gris plomb, un gris qui fait hésiter sur la nuance de ses yeux.
Le dangereux silence s’abattit sur nous deux. Elle ne risqua pas un geste, pourtant, et ne m’embrassa pas. Elle dit seulement, après quelques minutes : « Ô ma chère, ma chère… », et de nouveau se tut.
Quand la pendule sonna sept heures, je me secouai vivement et courus au commutateur pour faire la lumière. Le sourire de Rézi, apparue pâle et délicieuse sous la brusque lueur, se heurta à ma plus mauvaise figure, brutale et fermée.
Souple, réprimant un petit soupir, elle chercha ses gants, assura son chapeau inamovible, me dit « adieu » dans le cou, et « à demain », et je restai seule devant un miroir à écouter sa fuite légère.
Ne te mens pas à toi-même, Claudine ! Ta méditation, accoudée près de cette glace, et ton air de creuser un remords naissant, n’était-ce pas l’inquiétude seulement de constater intact ce visage aux yeux havane, qu’aime ton amie ?
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