Scène V



Une autre partie du bois.
Entre Obéron.

OBÉRON
Je suis curieux de savoir si Titania s'est éveillée,
et puis, quel est le premier être qui s'est offert à sa vue
et dont elle a dû s'éprendre éperdûment.
(Entre Puck.)
Voici mon messager. Eh bien, esprit,
quelle fredaine nocturne viens-tu de faire dans ce bois enchanté ?

PUCK
Ma maîtresse est amoureuse d'un monstre.
Tandis qu'elle prenait
son heure de sommeil
auprès de son berceau discret et consacré,
une troupe de paillasses, d'artisans grossiers,
qui travaillent pour du pain dans les échoppes d'Athènes,
se sont réunis pour répéter une pièce
qui doit être jouée le jour des noces du grand Thésée.
Le niais le plus épais de cette stupide bande,
lequel jouait Pyrame, a quitté la scène
pendant la représentation et est entré dans un taillis ;
je l'ai surpris à ce moment favorable,
et lui ai fixé sur le chef une tête d'âne.
Alors, comme il fallait donner la réplique à sa Thisbé,
mon saltimbanque reparaît. Quand les autres l'aperçoivent,
figurez-vous des oies sauvages voyant ramper l'oiseleur,
ou une troupe de choucas à tête rousse,
qui, au bout du mousquet, s'envolent en croassant,
se dispersent et balaient follement le ciel ;
c'est ainsi qu'à sa vue tous ses camarades se sauvent ;
je trépigne, et tous de tomber les uns sur les autres,
et de crier au meurtre, et d'appeler Athènes au secours.
Leur raison si faible, égarée par une frayeur si forte,
a tourné contre eux les êtres inanimés.
Les épines et les ronces accrochent leurs vêtements,
aux uns, leurs manches, aux autres, leur chapeau : ils laissent partout leurs dépouilles.
Je les ai emmenés, éperdus d'épouvante,
et j'ai laissé sur place le tendre Pyrame métamorphosé.
C'est à ce moment, le hasard ainsi l'a voulu,
que Titania s'est éveillée et s'est aussitôt amourachée d'un âne.

OBÉRON
Cela s'arrange mieux encore que je ne pouvais l'imaginer.
Mais as-tu mouillé les yeux de l'Athénien
avec le philtre d'amour, ainsi que je te l'ai dit ?

PUCK
Je l'ai surpris dormant. C'est encore une chose faite ;
et l'Athénienne était à ses côtés ;
à son réveil, il a dû nécessairement la voir.
(Entrent Démétrius et Hermia.)

OBÉRON
Ne t'éloigne pas ; voici notre Athénien.

PUCK
C'est bien la femme, mais ce n'est pas l'homme.

DÉMÉTRIUS (à Hermia)
Oh ! pourquoi rebutez-vous ainsi quelqu'un qui vous aime tant ?
Gardez ces murmures amers pour votre amer ennemi.

HERMIA
Je me borne à te gronder, mais je devrais te traiter plus durement encore ;
car tu m'as donné, j'en ai peur, sujet de te maudire.
S'il est vrai que tu aies tué Lysandre dans son sommeil,
déjà dans le sang jusqu'à la cheville, achève de t'y plonger,
et tue-moi aussi.
Le soleil n'est pas plus fidèle au jour
que lui à moi. Se serait-il dérobé ainsi
à Hermia endormie ? Je croirais plutôt
que cette terre peut être percée de part en part, et que la lune,
en traversant le centre, peut aller aux antipodes
éclipser le soleil en plein midi.
Il est impossible que tu ne l'aies pas tué.
Cet air spectral et sinistre est celui d'un assassin.

DÉMÉTRIUS
C'est celui d'un assassiné ; et c'est celui que je dois avoir,
ainsi percé jusqu'au cœur par votre inflexible cruauté.
Vous pourtant, l'assassine, vous avez l'air aussi radieux, aussi serein
que Vénus, là-haut, dans sa sphère étincelante.

HERMIA
Qu'a cela de commun avec mon Lysandre ? où est-il ?
Ah ! bon Démétrius ! veux-tu me le rendre ?

DÉMÉTRIUS
J'aimerais mieux donner sa carcasse à mes limiers.

HERMIA
Arrière, chien ! arrière, monstre ! tu me pousses au delà des bornes
de la patience virginale. Tu l'as donc tué ?
Cesse désormais d'être compté parmi les hommes.
Oh ! sois franc une fois, sois franc, fût-ce par amour pour moi :
aurais-tu osé regarder en face Lysandre éveillé,
toi qui l'as tué endormi ? Oh ! le brave exploit !
Un ver, une vipère n'en pouvaient-ils pas faire autant ?
C'est bien aussi une vipère qui l'a fait ; car une vipère
ne pique pas, ô reptile, avec une langue plus double.

DÉMÉTRIUS
Vous épuisez votre colère sur une méprise ;
je ne suis pas souillé du sang de Lysandre,
et il n'est pas mort, que je sache.

HERMIA
Dis-moi, je t'en supplie, qu'il est sain et sauf !

DÉMÉTRIUS
Et, si je pouvais le dire, qu'y gagnerais-je ?

HERMIA
Un privilége, celui de ne jamais me revoir.
Sur ce, je fuis ta présence exécrée ;
qu'il soit mort ou vivant, tu ne me verras plus.
(Elle sort.)

DÉMÉTRIUS
Inutile de la suivre en cette humeur furieuse.
Je vais donc me reposer ici quelques moments.
Les charges du chagrin s'augmentent
de la dette que le sommeil en banqueroute ne lui a pas payée ;
peut-être va-t-il me donner un léger à-compte,
si j'attends ici ses offres.
(Il se couche par terre.)

OBÉRON (à Puck)
Qu'as-tu fait ? tu t'es complètement mépris ;
tu as mis la liqueur d'amour sur la vue d'un amant fidèle.
Il doit forcément résulter de ta méprise
l'égarement d'un cœur fidèle, et non la conversion d'un perfide.

PUCK
Ainsi le destin l'ordonne ; pour un homme qui garde sa foi,
des millions doivent faiblir, brisant serments sur serments.

OBÉRON
Cours à travers le bois, plus rapide que le vent,
et cherche à découvrir Héléna d'Athènes ;
elle a le cœur malade, et elle est toute pâle
des soupirs d'amour qui ruinent la fraîcheur de son sang.
Tâche de l'amener ici par quelque illusion.
Au moment où elle paraîtra, je charmerai les yeux de celui-ci.

PUCK
Je pars, je pars ; vois comme je pars ;
plus rapide que la flèche de l'arc du Tartare.
(Il sort.)

OBÉRON (versant le suc de la fleur sur les yeux de Démétrius)
Fleur de nuance pourprée,
Blessée par l'archer Cupidon,
Pénètre la prunelle de ses yeux.
Quand il cherchera son amante,
Qu'elle brille aussi splendide
Que la Vénus des cieux.
Se penchant sur Démétrius endormi.
Si, à ton réveil, elle est auprès de toi,
À toi d'implorer d'elle un remède.
(Rentre Puck.)

PUCK
Capitaine de notre bande féerique,
Héléna est à deux pas d'ici ;
Et le jeune homme que j'ai charmé par méprise
Revendique auprès d'elle ses honoraires d'amant.
Assisterons-nous à cette amoureuse parade ?
Seigneur, que ces mortels sont fous !

OBÉRON
Mets-toi de côté : le bruit qu'ils vont faire
Réveillera Démétrius.

PUCK
Alors ils seront deux à courtiser la même ;
Cela seul fera un spectacle réjouissant.
Rien ne me plaît plus
Que ces absurdes contre-temps.
(Entrent Lysandre et Héléna.)

LYSANDRE
Pourquoi vous figurer que je vous courtise par dérision ?
La moquerie et la dérision n'apparaissent jamais en larmes.
Voyez, je pleure en protestant de mon amour ; quand les protestations sont ainsi nées,
toute leur sincérité apparaît dès leur naissance.
Comment peuvent-elles vous sembler en moi une dérision,
quand elles portent ces insignes évidents de la bonne foi ?

HÉLÉNA
Vous déployez de plus en plus votre perfidie.
Quand la foi tue la foi, oh ! l'infernale guerre sainte !
Ces protestations appartiennent à Hermia : voulez-vous donc l'abandonner ?
Quand ils se font contre-poids, les serments ne pèsent plus rien ;
ceux que vous nous offrez, à elle et à moi, mis dans deux plateaux,
se balancent et sont aussi légers que des fables.

LYSANDRE
Je n'avais pas de jugement quand je lui jurai mon amour.

HERMIA
Non, ma foi, pas plus qu'en ce moment où vous l'abandonnez.

LYSANDRE
Démétrius l'aime, et ne vous aime pas.

DÉMÉTRIUS (s'éveillant)
Ô Héléna, déesse, nymphe, perfection divine !
à quoi, mon amour, comparerai-je tes yeux ?
Le cristal est de la fange. Oh ! comme elles sont tentantes,
tes lèvres, ces cerises mûres pour le baiser !
Dans sa pure blancheur glacée, la neige du haut Taurus,
que balaie le vent d'est, paraît noire comme le corbeau
quand tu lèves la main. Oh ! laisse-moi donner
à cette princesse de blancheur un baiser, sceau de la béatitude !

HÉLÉNA
Ô rage ! ô enfer ! je vois que vous êtes tous d'accord pour vous jouer de moi !
Si vous étiez civils, si vous connaissiez la courtoisie,
vous ne me feriez pas tous ces outrages.
N'est-ce pas assez de me haïr comme vous le faites,
sans vous liguer du fond de l'âme pour me bafouer ?
Si vous étiez des hommes, comme vous en avez l'apparence,
vous ne voudriez pas traiter ainsi une gente dame,
me prodiguer ces vœux, ces serments, ces louanges exagérés,
quand, j'en suis sûre, vous me haïssez cordialement.
Rivaux tous deux pour aimer Hermia,
vous êtes rivaux aussi pour vous moquer d'Héléna.
Admirable exploit, héroïque entreprise,
d'évoquer les larmes des yeux d'une pauvre fille
avec vos dérisions ! Des gens de noble race
ne voudraient pas offenser ainsi une vierge et mettre à bout
la patience d'une pauvre âme : le tout pour s'amuser !

LYSANDRE
Vous êtes méchant, Démétrius. Ne soyez pas ainsi.
Car vous aimez Hermia ; vous savez, je le sais.
Ici, en toute bonne volonté et de tout mon cœur,
je vous cède mes droits à l'amour d'Hermia ;
léguez-moi, vous, vos droits sur Héléna,
que j'aime et que j'aimerai jusqu'à la mort.

HÉLÉNA
Jamais moqueurs ne perdirent de plus vaines paroles.

DÉMÉTRIUS
Lysandre, garde ton Hermia : je n'en veux plus.
Si je l'aimai jamais, tout cet amour est parti.
Mon cœur n'a séjourné avec elle que comme un convive ;
et le voilà revenu à son foyer, chez Héléna,
pour s'y fixer.

LYSANDRE
Ce n'est pas vrai, Héléna.

DÉMÉTRIUS
Ne calomnie pas une conscience que tu ne connais pas,
de peur qu'à tes dépens je ne te le fasse payer cher.
Tiens, voici venir tes amours ; voici ton adorée.
(Entre Hermia.)

HERMIA
La nuit noire, qui suspend les fonctions de l'œil,
rend l'oreille plus prompte à percevoir.
De ce qu'elle prend au sens de la vue,
elle rend le double à l'ouïe.
Ce n'est pas par mes yeux, Lysandre, que tu as été trouvé ;
c'est mon oreille, et je l'en remercie, qui m'a conduite à ta voix.
Mais pourquoi, méchant, m'as-tu quittée ainsi ?

LYSANDRE
Pourquoi serait-il resté, celui que l'amour pressait de partir ?

HERMIA
Quel amour pouvait presser Lysandre de quitter mon côté ?

LYSANDRE
L'amour de Lysandre, l'amour qui ne lui permettait pas de rester,
c'était la belle Héléna ; Héléna qui dore la nuit plus
que ces globes incandescents et ces yeux de lumière, là-haut.
Pourquoi me cherches-tu ? N'as-tu pas compris
que c'est la haine que je te porte qui m'a fait te quitter ainsi ?

HERMIA
Vous ne parlez pas comme vous pensez ; c'est impossible.

HÉLÉNA
Tenez, elle aussi, elle est de ce complot.
Je le vois maintenant, ils se sont concertés, tous trois,
pour arranger à mes dépens cette comédie.
Injurieuse Hermia ! fille ingrate !
conspirez-vous, êtes-vous liguée avec ces hommes
pour me harceler de cette affreuse dérision ?
Avez-vous oublié toutes les confidences dont nous nous faisions part l'une à l'autre,
nos serments d'être sœurs, les heures passées ensemble,
alors que nous grondions le temps au pied hâtif
de nous séparer ? Oh ! avez-vous tout oublié ?
notre amitié des jours d'école, notre innocence enfantine ?
Que de fois, Hermia, vraies déesses d'adresse,
nous avons créé toutes deux avec nos aiguilles une même fleur,
toutes deux au même modèle, assises sur le même coussin,
toutes deux fredonnant le même chant, sur le même ton toutes deux,
comme si nos mains, nos flancs, nos voix, nos âmes
eussent été confondus ! Ainsi on nous a vues croître ensemble,
comme deux cerises, apparemment séparées,
mais réunies par leur séparation même,
fruits charmants moulés sur une seule tige ;
deux corps visibles n'ayant qu'un seul cœur ;
deux jumelles aînées ayant droit
à un écusson unique, couronné d'un unique cimier !
Et vous voulez déchirer notre ancienne affection
en vous joignant à des hommes pour narguer votre pauvre amie ?
Cette action n'est ni amicale ni virginale ;
notre sexe, aussi bien que moi, peut vous la reprocher,
quoique je sois seule à ressentir l'outrage.

HERMIA
Vos paroles emportées me confondent ;
je ne vous raille pas ; c'est vous, il me semble, qui me raillez.

HÉLÉNA
N'avez-vous pas excité Lysandre à me suivre
par dérision, et à vanter mes yeux et mon visage ?
et engagé votre autre amoureux, Démétrius,
qui, il n'y a qu'un instant, me repoussait du pied,
à m'appeler déesse, nymphe, divine, rare,
précieuse, céleste ? Pourquoi parle-t-il ainsi
à celle qu'il hait ? Et pourquoi Lysandre vous dénie-t-il l'amour dont son cœur est si riche,
et m'offre-t-il hautement son affection,
si ce n'est à votre instigation et par votre consentement ?
Qu'importe que je ne sois pas aussi favorisée que vous,
aussi entourée d'amour, aussi fortunée,
et que, misère suprême, j'aime sans être aimée ?
Vous devriez m'en plaindre et non m'en mépriser.

HERMIA
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

HÉLÉNA
Oui, allez, persévérez, affectez les airs graves.
Faites-moi des grimaces quand je tourne le dos ;
faites-vous des signes entre vous ; soutenez la bonne plaisanterie ;
cette bouffonnerie, bien réussie, trouvera sa chronique.
Si vous aviez un peu de pitié, d'honneur ou de savoir-vivre,
vous ne feriez pas de moi un pareil plastron.
Mais, adieu ! c'est en partie ma faute ;
la mort ou l'absence l'aura bientôt réparée.

LYSANDRE
Arrête, gentille Héléna ; écoute mes excuses,
mon amour, ma vie, mon âme, ma belle Héléna !

HÉLÉNA
Ah ! parfait !

HERMIA (à Lysandre)
Cher, cesse de la railler ainsi.

DÉMÉTRIUS
Si les prières ne l'y décident pas, je puis employer la force.

LYSANDRE (à Démétrius)
Ta force n'obtiendrait pas plus que ses prières.
Tes menaces sont aussi impuissantes que ses faibles supplications.
Héléna, je t'aime ; sur ma vie, je t'aime ;
je jure, par cette vie que je suis prêt à perdre pour toi,
de convaincre de mensonge quiconque dit que je ne t'aime pas.

DÉMÉTRIUS (à Héléna)
Je dis, moi, que je t'aime plus qu'il ne peut aimer.

LYSANDRE (à Démétrius)
Si tu prétends cela, viens à l'écart et prouve-le.

DÉMÉTRIUS
Sur-le-champ, allons !

HERMIA (se pendant au bras de Lysandre)
Lysandre, à quoi tend tout ceci ?

LYSANDRE
Arrière, vous, Éthiopienne !

DÉMÉTRIUS (ironiquement, à Lysandre)
Non, non, monsieur,
affectez de vous emporter ; faites mine de me suivre ;
mais ne venez pas. Vous êtes un homme apprivoisé, allez !

LYSANDRE (à Hermia qui le retient)
Va te faire pendre, chatte insupportable ; lâche-moi, vile créature,
ou je vais te secouer de moi comme un serpent.

HERMIA
Pourquoi êtes-vous devenu si grossier ? Que signifie ce changement,
mon doux amour ?

LYSANDRE
Ton amour ? Arrière, fauve Tartare, arrière !
Arrière, médecine dégoûtante ! Odieuse potion, loin de moi !

HERMIA
Vous plaisantez, n'est-ce pas ?

HÉLÉNA
Oui, sans doute, et vous aussi.

LYSANDRE
Démétrius, je te tiendrai parole.

DÉMÉTRIUS
Je voudrais avoir votre billet ; car, je le vois,
un faible lien vous retient ; je ne me fie pas à votre parole.

LYSANDRE
Eh quoi ! dois-je la frapper, la blesser, la tuer ?
J'ai beau là haïr, je ne veux pas lui faire du mal.

HERMIA (à Lysandre)
Eh ! quel mal plus grand pouvez-vous me faire que de me haïr ?
Me haïr ! pourquoi ? Hélas ! qu'est-il donc arrivé, mon amour ?
Ne suis-je pas Hermia ? N'êtes-vous pas Lysandre ?
Je suis maintenant aussi belle que tout à l'heure.
Cette nuit encore, vous m'aimiez, et, cette même nuit, vous m'avez quittée pourtant.
M'avez-vous donc quittée ? Ah ! les dieux m'en préservent !
Quittée sérieusement ?

LYSANDRE
Oui, sur ma vie,
et avec le désir de ne jamais te revoir.
Ainsi, n'aie plus d'espoir, d'incertitude, de doute ;
sois-en certaine, rien de plus vrai ; ce n'est pas une plaisanterie,
je te hais et j'aime Héléna.

HERMIA
Hélas !
(À Héléna.)
Jongleuse ! rongeuse de fleurs !
voleuse d'amour ! c'est donc vous qui êtes venue cette nuit,
et avez volé le cœur de mon amant !

HÉLÉNA
Magnifique, ma foi !
Avez-vous perdu la modestie, la réserve virginale,
le sens de la pudeur ? Quoi ! vous voulez donc arracher
des réponses de colère à mes douces lèvres ?
Arrière ! arrière ! vous, comédienne, vous, marionnette, vous !

HERMIA
Marionnette ! Pourquoi ? Oui, voilà l'explication de ce jeu.
Je le vois, elle aura fait quelque comparaison
entre sa stature et la mienne, elle aura fait valoir sa hauteur ;
et avec cette taille-là, une haute taille,
une taille qui compte, ma foi, elle l'aura dominé, lui.
Êtes-vous donc montée si haut dans son estime,
parce que je suis si petite et si naine ?
Suis-je donc si petite, mât de cocagne ? dis,
suis-je donc si petite ? Je ne le suis pas assez cependant
pour que mes ongles ne puissent atteindre tes yeux.

HÉLÉNA
Par grâce, messieurs, bien que vous vous moquiez de moi,
empêchez-la de me faire mal. Je n'ai jamais été bourrue ;
je ne suis pas douée le moins du monde pour la violence.
Je suis une vraie fille pour la couardise.
Empêchez-la de me frapper. Vous pourriez croire peut-être
que, parce qu'elle est un peu plus petite que moi,
je puis lui tenir tête.

HERMIA
Plus petite ! vous l'entendez, encore !

HÉLÉNA
Bonne Hermia, ne soyez pas si amère contre moi.
Je vous ai toujours aimée, Hermia,
J'ai toujours gardé vos secrets, je ne vous ai jamais fait de mal ;
mon seul tort est, par amour pour Démétrius,
de lui avoir révélé votre fuite dans ce bois.
Il vous a suivie, je l'ai suivi par amour ;
mais il m'a chassée, il m'a menacée
de me frapper, de me fouler aux pieds, et même de me tuer.
Et maintenant, si vous voulez me laisser partir en paix,
je vais ramener ma folie à Athènes,
et je ne vous suivrai plus ; laissez-moi partir ;
vous voyez comme je suis simple, comme je suis sotte !

HERMIA
Eh bien, partez. Qui vous retient ?

HÉLÉNA
Un cœur insensé que je laisse derrière moi.

HERMIA
Avec qui ? avec Lysandre !

HÉLÉNA
Avec Démétrius.

LYSANDRE (montrant Hermia)
N'aie pas peur ; elle ne te fera pas de mal, Héléna.

DÉMÉTRIUS (à Lysandre)
Non, monsieur, non, quand vous prendriez son parti.

HÉLÉNA
Oh ! quand elle est fâchée, elle est rusée et maligne.
C'était un vrai renard quand elle allait à l'école ;
et, toute petite qu'elle est, elle est féroce.

HERMIA
Encore petite ! Toujours à parler de ma petitesse !
Souffrirez-vous donc qu'elle se moque ainsi de moi ?
Laissez-moi aller à elle.

LYSANDRE
Décampez, naine,
être minime, fait de l'herbe qui noue les enfants,
grain de verre, gland de chêne !

DÉMÉTRIUS (montrant Héléna)
Vous êtes par trop officieux
à l'égard d'une femme qui dédaigne vos services.
Laissez-la ; ne parlez plus d'Héléna ;
ne prenez pas son parti ; car, si tu prétends
lui faire jamais la moindre démonstration d'amour,
tu le paieras cher.

LYSANDRE
Maintenant qu'elle ne me retient plus,
suis-moi, si tu l'oses, et voyons qui,
de toi ou de moi, a le plus de droits sur Héléna.

DÉMÉTRIUS
Te suivre ? Non, je marcherai de front avec ta hure.
(Sortent Lysandre et Démétrius.)

HERMIA
C'est vous, madame, qui êtes cause de tout ce tapage.
Çà, ne vous en allez pas.

HÉLÉNA
Je ne me fie pas à vous, moi ;
et je ne resterai pas plus longtemps dans votre maudite compagnie.
Pour une querelle, votre main est plus leste que la mienne ;
mais, pour courir, mes jambes sont les plus longues.
(Elle sort.)

HERMIA
Je suis ahurie, et ne sais que dire.
(Elle sort en courant après Héléna.)

OBÉRON (à Puck)
C'est ta faute ; tu fais toujours des méprises,
quand tu ne commets pas tes coquineries volontairement.

PUCK
Croyez-moi, roi des ombres, j'ai fait une méprise.
Ne m'avez-vous pas dit que je reconnaîtrais l'homme
à son costume athénien ?
Mon action est donc irréprochable, en ce sens
que c'est un Athénien dont j'ai humecté les yeux ;
et je suis satisfait du résultat, en ce sens
que leur querelle me paraît fort réjouissante.

OBÉRON
Tu vois, ces amoureux cherchent un lieu pour se battre :
dépêche-toi donc, Robin, assombris la nuit.
Couvre sur-le-champ la voûte étoilée
d'un brouillard accablant, aussi noir que l'Achéron,
et égare si bien ces rivaux acharnés,
que l'un ne puisse rencontrer l'autre.
Tantôt contrefais la voix de Lysandre,
en surexcitant Démétrius par des injures amères ;
et tantôt déblatère avec l'accent de Démétrius.
Va, écarte-les ainsi l'un de l'autre
jusqu'à ce que sur leur front le sommeil imitant la mort
glisse avec ses pieds de plomb et ses ailes de chauve-souris.
Alors, tu écraseras sur les yeux de Lysandre cette herbe,
dont la liqueur a la propriété spéciale
de dissiper toute illusion
et de rendre aux prunelles leur vue accoutumée.
Dès qu'ils s'éveilleront, toute cette dérision
leur paraîtra un rêve, une infructueuse vision ;
et ces amants retourneront à Athènes
dans une union qui ne finira qu'avec leur vie.
Tandis que je t'emploierai à cette affaire,
j'irai demander à ma reine son petit Indien ;
et puis je délivrerai ses yeux charmés
de leur passion pour un monstre, et la paix sera partout.

PUCK
Mon féérique seigneur, ceci doit être fait en hâte ;
car les rapides dragons de la nuit fendent les nuages à plein vol,
et là-bas brille l'avant coureur de l'aurore.
À son approche, les spectres errant çà et là
regagnent en troupe leurs cimetières : tous les esprits damnés,
qui ont leur sépulture dans les carrefours et dans les flots,
sont déjà retournés à leurs lits véreux.
Car, de crainte que le jour ne luise sur leurs fautes,
ils s'exilent volontairement de la lumière
et sont à jamais fiancés à la nuit au front noir.

OBÉRON
Mais nous, nous sommes des esprits d'un autre ordre :
souvent j'ai fait une partie de chasse avec l'amant de la matinée,
et, comme un garde forestier, je puis marcher dans les halliers
même jusqu'à l'instant où la porte de l'Orient, toute flamboyante,
s'ouvrant sur Neptune avec de divins et splendides rayons,
change en or jaune le sel vert de ses eaux.
Mais, pourtant, hâte-toi ; ne perds pas un instant ;
nous pouvons encore terminer cette affaire avant le jour.
(Obéron sort.)

PUCK
Par monts et par vaux, par monts et par vaux,
Je vais les mener par monts et par vaux ;
Je suis craint aux champs et à la ville ;
Lutin, menons-les par monts et par vaux.
En voici un.
(Entre Lysandre.)

LYSANDRE
Où es-tu, fier Démétrius ? parle donc à présent.

PUCK
Ici, manant, l'épée à la main et en garde. Où es-tu ?

LYSANDRE
Je suis à toi, dans l'instant.

PUCK
Suis-moi donc
sur un terrain plus égal.
(Lysandre sort, comme guidé par la voix.)
(Entre Démétrius.)

DÉMÉTRIUS
Lysandre ! parle encore.
Ah ! fuyard ! ah ! lâche, tu t'es donc sauvé !
Parle. Dans quelque buisson ? où caches-tu ta tête ?

PUCK
Ah ! lâche, tu jettes tes défis aux étoiles ;
tu dis aux buissons que tu veux te battre,
et tu ne viens pas ! Viens, poltron ; viens, marmouset ;
je vais te fouetter avec une verge. Il se déshonore,
celui qui tire l'épée contre toi.

DÉMÉTRIUS
Oui-dà ! es-tu là ?

PUCK
Suis ma voix ; nous verrons ailleurs si tu es un homme.
(Ils sortent.)
(Revient Lysandre.)

LYSANDRE
Il va toujours devant moi, et toujours il me défie ;
quand j'arrive où il m'appelle, il est déjà parti.
Le misérable a le talon plus léger que moi ;
je courais vite après, mais il fuyait plus vite,
et me voici engagé dans un chemin noir et malaisé.
Reposons-nous ici. Viens, toi, jour bienfaisant.
(Il se couche par terre.)
Car, dès que tu me montreras ta lueur grise,
je retrouverai Démétrius et je punirai son insolence.
(Il s'endort.)
(Puck et Démétrius reviennent.)

PUCK
Holà ! holà ! holà ! holà ! Lâche, pourquoi ne viens-tu pas ?

DÉMÉTRIUS
Attends-moi, si tu l'oses ; car je vois bien
que tu cours devant moi, en changeant toujours de place,
sans oser t'arrêter, ni me regarder en face.
Où es-tu ?

PUCK
Viens ici ; je suis ici.

DÉMÉTRIUS
Allons, tu te moques de moi. Tu me le paieras cher,
si jamais je revois ta face à la lumière du jour.
Maintenant, va ton chemin. La fatigue me force
à mesurer de ma longueur ce lit glacé…
Dès l'approche du jour, compte sur ma visite.
(Il se couche à terre et s'endort.)
(Entre Héléna.)

HÉLÉNA
Ô nuit accablante, ô longue et fastidieuse nuit,
abrège tes heures ! Au secours, clarté de l'Orient,
que je puisse, à la lumière du jour, retourner à Athènes,
loin de ceux qui détestent ma triste société !
Et toi, sommeil, qui parfois fermes les yeux de la douleur,
dérobe-moi un moment à ma propre société.
(Elle s'endort.)

PUCK
Rien que trois ! Allons, encore une !
Quatre feront deux couples.
La voici qui vient maussade et triste.
Cupidon est un mauvais garnement
De rendre ainsi folles de pauvres femmes.
(Entre Hermia.)

HERMIA
Jamais si fatiguée, jamais si malheureuse !
Trempée par la rosée, et déchirée par les ronces,
je ne puis me traîner ni aller plus loin ;
mes jambes ne peuvent plus marcher au pas de mes désirs.
Reposons-nous ici, jusqu'au point du jour.
Que le ciel protége Lysandre, s'ils veulent se battre.
(Elle se couche.)

PUCK
Sur le terrain
Dormez profondément.
Je vais appliquer
Sur vos yeux,
Doux amant, un remède,
Il exprime le jus d'une herbe sur l'œil de Lysandre.
Quand tu t'éveilleras,
Tu prendras
Un vrai plaisir
À revoir
Ta première amante.
Et le proverbe connu :
On prend son bien où on le trouve,
S'accomplira à ton réveil.
Jeannot aura sa Jeanneton ;
Rien n'ira de travers.
Chacun reprendra sa jument,
Et tout sera bien.
(Sort Puck.)
(Démétrius, Lysandre, Héléna et Hermia restent endormis.)
(Entrent Titania et Bottom, entourés d'un cortége de fées ; Obéron, en arrière, invisible.)

TITANIA (à Bottom)
Viens t'asseoir sur ce lit de fleurs,
que je caresse tes joues charmantes,
et que j'attache des roses musquées sur ta tête douce et lisse,
et que je baise tes belles longues oreilles, mon ineffable joie !

BOTTOM
Où est Fleur des Pois ?

FLEUR DES POIS
Me voici.

BOTTOM
Gratte-moi la tête, Fleur des Pois… Où est monsieur Toile d'Araignée ?

TOILE D'ARAIGNÉE
Me voici.

BOTTOM
Monsieur Toile d'Araignée, mon bon monsieur, prenez vos armes ; et tuez-moi cette abeille aux cuisses rouges au haut de ce chardon ; puis, apportez-moi son sac à miel, mon bon monsieur. Ne vous écorchez pas trop dans l'action, monsieur ; surtout, mon bon monsieur, ayez soin que le sac à miel ne crève pas. Il me répugnerait de vous voir inondé de miel, signor. Où est monsieur Grain de Moutarde ?

GRAIN DE MOUTARDE
Me voici.

BOTTOM
Donnez-moi une poignée de main, monsieur Grain de Moutarde. De grâce, pas de cérémonie, mon bon monsieur.

GRAIN DE MOUTARDE
Que m'ordonnez-vous ?

BOTTOM
Rien, mon bon monsieur, si ce n'est d'aider le cavalero Toile d'Araignée à me gratter. Il faut que j'aille chez le barbier, monsieur, car m'est avis que je suis merveilleusement poilu autour du visage ; et je suis un âne si délicat que, pour peu qu'un poil me démange, il faut que je me gratte.

TITANIA
Voyons, veux-tu entendre de la musique, mon doux amour ?

BOTTOM
J'ai l'oreille passablement bonne en musique ; qu'on nous donne la clef et les pincettes.

TITANIA
Dis-moi, doux amour, ce que tu désires manger.

BOTTOM
Ma foi, un picotin. Je mâcherais bien de votre bonne avoine bien sèche. M'est avis que j'aurais grande envie d'une botte de foin : du bon foin, du foin qui embaume, rien n'est égal à ça.

TITANIA
J'ai une fée aventureuse qui ira fouiller
le magasin d'un écureuil et t'apportera des noix nouvelles.

BOTTOM
J'aimerais mieux une poignée ou deux de pois secs. Mais, je vous en prie, empêchez vos gens de me déranger ; je sens venir à moi un accès de sommeil.

TITANIA
Dors, et je vais t'enlacer de mes bras.
Partez, fées, et explorez tous les chemins.
Les fées sortent.
Ainsi le chèvrefeuille, le chèvrefeuille embaumé
s'enlace doucement, ainsi le lierre femelle
s'enroule aux doigts d'écorce de l'orme.
Oh ! comme je t'aime ! comme je raffole de toi !
(Ils s'endorment.)
(Obébon s'avance. Entre Puck.)

OBÉRON
Bienvenue, cher Robin. Vois-tu ce charmant spectacle ?
Je commence maintenant à prendre en pitié sa folie.
Tout à l'heure, l'ayant rencontrée, en arrière du bois,
qui cherchait de suaves présents pour cet affreux imbécile,
je lui ai fait honte et me suis querellé avec elle.
Déjà, en effet, elle avait ceint les tempes velues du drôle
d'une couronne de fleurs fraîches et parfumées ;
et la rosée, qui sur leurs boutons
étalait naguère ses rondes perles d'Orient,
cachait alors dans le calice de ces jolies fleurettes
les larmes que lui arrachait leur disgrâce.
Quand je l'ai eu tancée tout à mon aise,
elle a imploré mon pardon dans les termes les plus doux.
Je lui ai demandé alors son petit favori ;
elle me l'a accordé sur-le-champ, et a dépêché une de ses fées
pour l'amener à mon bosquet dans le pays féerique.
Et maintenant que j'ai l'enfant, je vais mettre un terme
à l'odieuse erreur de ses yeux.
Toi, gentil Puck, enlève ce crâne emprunté
de la tête de ce rustre Athénien ;
afin que, s'éveillant avec les autres,
il s'en retourne comme eux à Athènes,
ne se rappelant les accidents de cette nuit
que comme les tribulations d'un mauvais rêve.
Mais d'abord je vais délivrer la reine des fées.
(Il touche les yeux de Titania avec une herbe.)
Sois comme tu as coutume d'être ;
Vois comme tu as coutume de voir ;
La fleur de Diane a sur la fleur de Cupidon
Cette influence et ce bienheureux pouvoir.
Allons, ma Titania ; éveillez-vous, ma douce reine.

TITANIA (s'éveillant)
Mon Obéron ! quelles visions j'ai vues !
il m'a semblé que j'étais amoureuse d'un âne.

OBÉRON
Voilà votre amant, par terre.

TITANIA
Comment ces choses sont-elles arrivées ?
Oh ! combien son visage est répulsif à mes yeux maintenant !

OBÉRON
Silence, un moment. Robin, enlève cette tête.
Titania, appelez votre musique ; et qu'elle frappe d'une léthargie, plus profonde
qu'un sommeil vulgaire, les sens de ces cinq êtres.

TITANIA
La musique ! holà ! une musique à enchanter le sommeil !

PUCK (enlevant la tête d'âne de Bottom)
Quand tu t'éveilleras, vois avec tes yeux d'imbécile.

OBÉRON
Résonnez, musique !
Une musique calme se fait entendre.
À Titania
Viens, ma reine, donne-moi la main,
et remuons sous nos pas le berceau de ces dormeurs.
Toi et moi, maintenant, nous sommes de nouveaux amis ;
demain, à minuit, nous exécuterons solennellement
des danses triomphales dans la maison du duc Thésée,
et par nos bénédictions nous y appellerons la plus belle postérité.
Là, ces deux couples d'amants fidèles seront
unis en même temps que Thésée, pour la joie de tous.

PUCK
Roi des fées, attention, écoute.
J'entends l'alouette matinale.

OBÉRON
Allons, ma reine, dans un grave silence,
Courons après l'ombre de la nuit.
Nous pouvons faire le tour du globe
Plus vite que la lune errante.

TITANIA
Allons, mon seigneur.
Dans notre vol,
Vous me direz comment, cette nuit,
J'ai pu me trouver ici endormie
Avec ces mortels, sur la terre.
(Ils sortent.)
(L'aube naît. On entend le son du cor.)
(Entrent Thésée, Hippolyte, Égée, et leur suite.)

THÉSÉE
Qu'un de vous aille chercher le garde-chasse ;
car maintenant notre célébration est accomplie ;
et, puisque nous avons à nous la matinée,
ma bien-aimée entendra la musique de mes limiers.
Découplez-les dans la vallée occidentale, allez :
dépêchez-vous, vous dis-je, et amenez le garde.
Nous, belle reine, nous irons au haut de la montagne
entendre le concert confus
de la meute et de l'écho.

HIPPOLYTE
J'étais avec Hercule et Cadmus un jour
qu'ils chassaient l'ours dans un bois de Crète
avec des limiers de Sparte. Je n'ai jamais entendu
de fracas aussi vaillant : car, non-seulement les halliers,
mais les cieux, les sources, toute la contrée avoisinante
semblaient se confondre en un cri. Je n'ai jamais entendu
un désaccord aussi musical, un si harmonieux tonnerre.

THÉSÉE
Mes chiens sont de la race spartiate : comme elle,
ils ont les larges babines, le poil tacheté, les oreilles
pendantes qui balaient la rosée du matin,
les jarrets tors, le fanon comme les taureaux de Thessalie.
Ils sont lents à la poursuite ; mais leurs voix réglées comme un carillon
se dégradent en gamme sonore. Jamais cri plus musical
ne fut provoqué, ne fut encouragé par le cor,
en Crète, à Sparte, ou en Thessalie.
Vous en jugerez en l'entendant.
Mais, doucement ! quelles sont ces nymphes ?

ÉGÉE
Monseigneur, c'est ma fille, endormie ici !
Et voici Lysandre ; voici Démétrius ;
voici Héléna, l'Héléna du vieux Nédar.
Je suis émerveillé de les voir ici ensemble.

THÉSÉE
Sans doute, ils se sont levés de bonne heure pour célébrer
la fête de mai ; et, sachant nos intentions,
ils sont venus ici honorer notre cérémonie.
Mais, dites-moi, Égée : n'est-ce pas aujourd'hui
qu'Hermia doit donner sa réponse sur le choix qu'elle fait ?

ÉGÉE
Oui, monseigneur.

THÉSÉE
Allez, dites aux chasseurs de les éveiller au son du cor.
Son du cor. Clameur derrière le théâtre. Démétrius, Lysandre, Hermia et Héléna s'éveillent et se lèvent.

THÉSÉE
Bonjour, mes amis. La Saint-Valentin est passée.
Les oiseaux de ces bois ne commencent-ils à s'accoupler que d'aujourd'hui ?

LYSANDRE
Pardon, monseigneur.
(Tous se prosternent devant Thésée.)

THÉSÉE
Levez-vous tous, je vous prie.
Je sais que, vous deux, vous êtes rivaux et ennemis :
d'où vient ce charmant accord
qui fait que la haine, éloignée de toute jalousie,
dort à côté de la haine, sans craindre d'inimitié ?

LYSANDRE
Monseigneur, je répondrai en homme ahuri,
à moitié endormi, à moitié éveillé. Mais je vous jure
que je ne pourrais pas dire vraiment, comment je suis venu ici.
Pourtant, à ce que je crois… car je voudrais dire la vérité,
oui, maintenant, je me le rappelle,
je suis venu ici avec Hermia : notre projet
était de quitter Athènes pour ne plus être
sous le coup de la loi athénienne.

ÉGÉE
Assez, assez !
(À Thésée.)
Monseigneur, vous en savez assez.
Je réclame la loi, la loi sur sa tête.
(À Démétrius.)
Ils voulaient se sauver ; ils voulaient, Démétrius,
nous frustrer tous deux,
vous, de votre femme, moi, dans ma décision
qu'elle serait votre femme.

DÉMÉTRIUS
Monseigneur, la belle Héléna m'a révélé leur évasion,
le dessein qui les amenait dans ce bois ;
et par fureur je les y ai suivis,
la belle Héléna me suivant par amour.
Mais, mon bon seigneur, je ne sais par quel pouvoir,(un pouvoir supérieur, à coup sûr, )
mon amour pour Hermia
s'est fondu comme la neige. Ce n'est plus pour moi maintenant
que le souvenir d'un vain hochet
dont je raffolais dans mon enfance ;
et maintenant toute ma foi, toute la vertu de mon cœur,
l'unique objet, l'unique joie de mes yeux,
c'est Héléna. C'est à elle, seigneur,
que j'étais fiancé avant de voir Hermia.
Elle me répugnait comme la nourriture à un malade :
mais, avec la santé, j'ai repris mon goût naturel.
Maintenant je la désire, je l'aime, j'aspire à elle,
et je lui serai fidèle à jamais.

THÉSÉE
Beaux amants, voilà une heureuse rencontre.
Nous entendrons tout à l'heure la suite de cette histoire.
Égée, je prévaudrai sur votre volonté ;
car j'entends que, dans le temple, en même temps que nous,
ces deux couples soient unis pour l'éternité.
Et, comme la matinée est maintenant un peu avancée,
nous mettrons de côté notre projet de chasse.
En route, tous, pour Athènes. Trois maris, trois femmes !
Nous aurons une fête solennelle.
Venez, Hippolyte.
(Sortent Thésée, Hippolyte, Egée et leur suite.)

DÉMÉTRIUS
Ces aventures me paraissent minimes et imperceptibles
comme les montagnes lointaines qui se confondent avec les nuages.

HERMIA
Il me semble que mes regards divergent
et que je vois double.

HÉLÉNA
Et moi aussi :
Démétrius me fait l'effet d'un bijou trouvé,
qui est à moi, et pas à moi.

DÉMÉTRIUS
Êtes-vous sûrs
que nous sommes éveillés ? Il me semble, à moi,
que nous dormons, que nous rêvons encore. Ne pensez-vous pas
que le duc était ici et nous a dit de le suivre ?

HERMIA
Oui ; et mon père, aussi.

HÉLÉNA
Et Hippolyte.

LYSANDRE
Et il nous a dit de le suivre au temple.

DÉMÉTRIUS
Vous voyez donc que nous sommes éveillés : suivons-le ;
et, chemin faisant, nous nous raconterons nos rêves.
(Ils sortent.)
(Au moment où ils sortent, Bottom s'éveille.)

BOTTOM
Quand ma réplique viendra, appelez-moi, et je répondrai ; ma prochaine est à très-beau Pyrame. Holà ! hé !… Pierre Lecoing ! Flûte, le raccommodeur de soufflets ! Groin, le chaudronnier ! Meurt de Faim ! Dieu me garde ! ils ont tous décampé en me laissant ici endormi ! J'ai eu une vision extraordinaire. J'ai fait un songe : c'est au-dessus de l'esprit de l'homme de dire ce qu'était ce songe. L'homme, qui entreprendra d'expliquer ce songe, n'est qu'un âne… Il me semblait que j'étais, nul homme au monde ne pourrait me dire quoi. Il me semblait que j'étais… et il me semblait que j'avais… Il faudrait être un fou à marotte pour essayer de dire ce qu'il me semblait que j'avais. L'œil de l'homme n'a jamais ouï, l'oreille de l'homme n'a jamais vu rien de pareil ; la main de l'homme ne serait pas capable de goûter, sa langue de concevoir, son cœur de rapporter ce qu'était mon rêve. Je ferai composer par Pierre Lecoing une ballade sur ce songe : elle s'appellera le Rêve de Bottom, parce que ce rêve-là est sans nom ; et je la chanterai à la fin de la pièce, devant le duc. Et peut-être même, pour lui donner plus de grâce, la chanterai-je après la mort.
(Il sort.)

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