Scène III



Un bois près d'Athènes. Il fait nuit. La lune brille.
Une Fée entre par une porte et Puck par une autre.

PUCK
Eh bien ! esprit, où errez-vous ainsi ?

LA FÉE
Par la colline, par la vallée,
à travers les buissons, à travers les ronces,
par les parcs, par les haies,
à travers l'eau, à travers le feu,
j'erre en tous lieux,
plus rapide que la sphère de la lune.
Je sers la reine des fées,
et j'humecte les cercles qu'elle trace sur le gazon.
Les primevères les plus hautes sont ses pensionnaires.
Vous voyez des taches sur leurs robes d'or :
ce sont les rubis, les bijoux de la fée,
taches de rousseur d'où s'exhale leur senteur.
Il faut maintenant que j'aille chercher des gouttes de rosée,
pour suspendre une perle à chaque oreille d'ours.
Adieu, toi, bouffon des esprits, je vais partir.
Notre reine et tous ses elfes viendront ici tout à l'heure.

PUCK
Le roi donne ici ses fêtes cette nuit.
Veille à ce que la reine ne s'offre pas à sa vue ;
car Obéron est dans une rage épouvantable,
parce qu'elle a pour page
un aimable enfant volé à un roi de l'Inde.
Elle n'a jamais eu un plus charmant captif ;
et Obéron jaloux voudrait faire de l'enfant
un chevalier de sa suite, pour parcourir les forêts sauvages.
Mais elle retient de force l'enfant bien-aimé,
la couronne de fleurs, et en fait toute sa joie.
Chaque fois maintenant qu'ils se rencontrent, au bois, sur le gazon,
près d'une limpide fontaine, à la clarté du ciel étoilé,
le roi et la reine se querellent : si bien que tous leurs sylphes effrayés
se fourrent dans la coupe des glands et s'y cachent.

LA FÉE
Ou je me trompe bien sur votre forme et vos façons,
ou vous êtes cet esprit malicieux et coquin
qu'on nomme Robin Bonenfant. N'êtes-vous pas celui
qui effraie les filles du village,
écrème le lait, tantôt dérange le moulin,
et fait que la ménagère s'essouffle vainement à la baratte,
tantôt empêche la boisson de fermenter,
et égare la nuit les voyageurs, en riant de leur peine ?
Ceux qui vous appellent Hobgoblin et charmant Puck,
vous faites leur ouvrage, et vous leur portez bonheur.
N'êtes-vous pas celui-là ?

PUCK
Tu dis vrai ;
je suis ce joyeux rôdeur de nuit.
J'amuse Obéron, et je le fais sourire
quand je trompe un cheval gras et nourri de fèves,
en hennissant comme une pouliche coquette.
Parfois je me tapis dans la tasse d'une commère
sous la forme exacte d'une pomme cuite ;
et, lorsqu'elle boit, je me heurte contre ses lèvres,
et je répands l'ale sur son fanon flétri.
La matrone la plus sage, contant le conte le plus grave,
me prend parfois pour un escabeau à trois pieds ;
alors je glisse sous son derrière ; elle tombe,
assise comme un tailleur, et est prise d'une quinte de toux ;
et alors toute l'assemblée de se tenir les côtes et de rire,
et de pouffer de joie, et d'éternuer, et de jurer
que jamais on n'a passé de plus gais moments.
Mais, place, fée ! voici Obéron qui vient.

LA FÉE
Et voici ma maîtresse. Que n'est-il parti !
(Obéron entre avec son cortège d'un côté, Titania, avec le sien, de l'autre.)

OBÉRON
Fâcheuse rencontre au clair de lune, fière Titania !

TITANIA
Quoi, jaloux Obéron ? Fées, envolons-nous d'ici :
j'ai abjuré son lit et sa société.

OBÉRON
Arrête, impudente coquette. Ne suis-je pas ton seigneur ?

TITANIA
Alors, que je sois ta dame ! Mais je sais
qu'il t'est arrivé de t'enfuir du pays des fées
pour aller tout le jour t'asseoir sous la forme de Corin,
jouant du chalumeau, et adressant de tendres vers
à l'amoureuse Phillida. Pourquoi es-tu ici,
de retour des côtes les plus reculées de l'Inde ?
C'est, ma foi, parce que la fanfaronne Amazone,
votre maîtresse en bottines, vos amours guerrières,
doit être mariée à Thésée ; et vous venez
pour apporter à leur lit la joie et la prospérité !

OBÉRON
Comment n'as-tu pas honte, Titania,
d'attaquer mon caractère à propos d'Hippolyte,
sachant que je sais ton amour pour Thésée ?
Ne l'as-tu pas, à la lueur de la nuit, emmené
des bras de Périgénie, qu'il avait ravie ?
Ne lui as-tu pas fait violer sa foi envers la belle Églé,
envers Ariane et Antiope ?

TITANIA
Ce sont les impostures de la jalousie.
Jamais, depuis le commencement de la mi-été,
nous ne nous sommes réunies sur la colline, au vallon, au bois, au pré,
près d'une source cailloutée, ou d'un ruisseau bordé de joncs,
ou sur une plage baignée de vagues,
pour danser nos rondes au sifflement des vents,
sans que tu aies troublé nos jeux de tes querelles.
Aussi les vents, nous ayant en vain accompagnés de leur zéphyr,
ont-ils, comme pour se venger, aspiré de la mer
des brouillards contagieux qui, tombant sur la campagne,
ont à ce point gonflé d'orgueil les plus chétives rivières,
qu'elles ont franchi leurs digues.
Ainsi, le bœuf a traîné son joug en vain,
le laboureur a perdu ses sueurs, et le blé vert
a pourri avant que la barbe fût venue à son jeune épi.
Le parc est resté vide dans le champ noyé,
et les corbeaux se sont engraissés du troupeau mort.
Le mail où l'on jouait à la mérelle est rempli de boue ;
et les délicats méandres dans le gazon touffu
n'ont plus de tracé qui les distingue.
Les mortels humains ne reconnaissent plus leur hiver :
ils ne sanctifient plus les soirées par des hymnes ou des noëls.
Aussi la lune, cette souveraine des flots,
pâle de colère, remplit l'air d'humidité,
si bien que les rhumes abondent.
Grâce à cette intempérie, nous voyons
les saisons changer : le givre à crête hérissée
s'étale dans le frais giron de la rose cramoisie ;
et au menton du vieil Hiver, sur son crâne glacé,
une guirlande embaumée de boutons printaniers
est mise comme par dérision. Le printemps, l'été,
l'automne fécond, l'hiver chagrin échangent
leur livrée habituelle : et le monde effaré
ne sait plus les reconnaître à leurs produits.
Ce qui engendre ces maux,
ce sont nos débats et nos dissensions :
nous en sommes les auteurs et l'origine.

OBÉRON
Mettez-y donc un terme : cela dépend de vous.
Pourquoi Titania contrarierait-elle son Obéron ?
Je ne lui demande qu'un petit enfant volé
pour en faire mon page.

TITANIA
Que votre cœur s'y résigne.
Tout l'empire des fées ne me paierait pas cet enfant.
Sa mère était une adoratrice de mon ordre.
Que de fois, la nuit dans l'air plein d'aromes de l'Inde,
nous avons causé côte à côte !
Assises ensemble sur le sable jaune de Neptune,
nous observions sur les flots les navires marchands,
et nous riions de voir les voiles concevoir
et s'arrondir sous les caresses du vent.
Alors, faisant gracieusement la mine de nager,
avec son ventre gros alors de mon jeune écuyer,
elle les imitait et voguait sur la terre,
pour m'aller chercher de menus présents, et s'en revenir,
comme après un voyage, avec une riche cargaison.
Mais elle était mortelle, et elle est morte de cet enfant ;
et j'élève cet enfant pour l'amour d'elle ;
et, pour l'amour d'elle, je ne veux pas me séparer de lui.

OBÉRON
Combien de temps comptez-vous rester dans ce bois ?

TITANIA
Peut-être jusqu'après les noces de Thésée.
Si vous voulez paisiblement danser dans notre ronde
et voir nos ébats du clair de lune, venez avec nous ;
sinon, fuyez-moi, et j'éviterai les lieux hantés par vous.

OBÉRON
Donne-moi cet enfant, et j'irai avec toi.

TITANIA
Non, pas pour tout ton royaume. Fées, partons :
nous nous fâcherons tout de bon, si je reste plus longtemps.
(Sort Titania avec sa suite.)

OBÉRON
Soit, va ton chemin ; tu ne sortiras pas de ce bois
que je ne t'aie châtiée pour cet outrage.
Viens ici, mon gentil Puck. Tu te rappelles l'époque
où, assis sur un promontoire,
j'entendis une sirène, portée sur le dos d'un dauphin,
proférer un chant si doux et si harmonieux
que la rude mer devint docile à sa voix,
et que plusieurs étoiles s'élancèrent follement de leur sphère
pour écouter la musique de cette fille des mers ?

PUCK
Je me rappelle.

OBÉRON
Cette fois-là même, je vis, (mais tu ne pus le voir,)
je vis voler, entre la froide lune et la terre,
Cupidon tout armé : il visa
une belle vestale, trônant à l'Occident,
et décocha de son arc une flèche d'amour assez violente
pour percer cent mille cœurs.
Mais je pus voir le trait enflammé du jeune Cupidon
s'éteindre dans les chastes rayons de la lune humide,
et l'impériale prêtresse passa,
pure d'amour, dans sa virginale rêverie.
Je remarquai pourtant où le trait de Cupidon tomba :
il tomba sur une petite fleur d'Occident,
autrefois blanche comme le lait, aujourd'hui empourprée par sa blessure,
que les jeunes filles appellent Pensée d'amour.
Va me chercher cette fleur ; je t'en ai montré une fois la feuille.
Son suc, étendu sur des paupières endormies,
peut rendre une personne, femme ou homme, amoureuse folle
de la première créature vivante qui lui apparaît.
Va me chercher cette plante : et sois de retour
avant que Léviathan ait pu nager une lieue.

PUCK
Je puis faire une ceinture autour de la terre
en quarante minutes.
(Il sort.)

OBÉRON
Quand une fois j'aurai ce suc,
j'épierai Titania dans son sommeil,
et j'en laisserai tomber une goutte sur ses yeux.
Le premier être qu'elle regardera en s'éveillant,
que ce soit un lion, un ours, un loup, un taureau,
le singe le plus taquin, le magot le plus tracassier,
elle le poursuivra avec l'âme de l'amour.
Et, avant de délivrer sa vue de ce charme,
ce que je puis faire avec une autre herbe,
je la forcerai à me livrer son page.
Mais qui vient ici ? Je suis invisible ;
et je vais écouter cette conversation.
(Entre Démétrius ; Héléna le suit.)

DÉMÉTRIUS
Je ne t'aime pas, donc ne me poursuis pas.
Où est Lysandre ? et la belle Hermia ?
Je veux tuer l'un, l'autre me tue.
Tu m'as dit qu'ils s'étaient sauvés dans ce bois.
M'y voici, dans le bois, aux abois
de n'y pas rencontrer Hermia.
Hors d'ici ! va-t'en, et cesse de me suivre.

HÉLÉNA
C'est vous qui m'attirez, vous, dur cœur d'aimant ;
mais ce n'est plus du fer que vous attirez, car mon cœur
est pur comme l'acier. Perdez la force d'attirer,
et je n'aurai pas la force de vous suivre.

DÉMÉTRIUS
Est-ce que je vous entraîne ? Est-ce que je vous encourage ?
Est-ce qu'au contraire je ne vous dis pas avec la plus entière franchise :
Je ne vous aime pas et je ne puis pas vous aimer ?

HÉLÉNA
Et je ne vous en aime que davantage.
Je suis votre épagneul, Démétrius,
et plus vous me battez,
plus je vous cajole :
traitez-moi comme votre épagneul, repoussez-moi, frappez-moi,
délaissez-moi, perdez-moi ; seulement, accordez-moi
la permission de vous suivre, toute indigne que je suis.
Quelle place plus humble dans votre amour puis-je mendier,
quand je vous demande de me traiter comme votre chien ?
Eh bien, c'est cependant pour moi une place hautement désirable.

DÉMÉTRIUS
N'excite pas trop mon aversion,
car je souffre quand je te regarde.

HÉLÉNA
Et moi aussi, je souffre quand je vous regarde.

DÉMÉTRIUS
C'est compromettre par trop votre pudeur
que de quitter ainsi la cité, de vous livrer
à la merci d'un homme qui ne vous aime pas,
d'exposer ainsi aux tentations de la nuit
et aux mauvais conseils d'un lieu désert
le riche trésor de votre virginité.

HÉLÉNA
Votre mérite est ma sauvegarde.
Pour moi, il ne fait pas nuit quand je vois votre visage,
aussi ne crois-je pas que je sois dans la nuit.
Ce n'est pas non plus le monde qui manque en ce bois ;
car vous êtes pour moi le monde entier.
Comment donc pourrait-on dire que je suis seule,
quand le monde entier est ici pour me regarder ?

DÉMÉTRIUS
Je vais m'échapper de toi et me cacher dans les fougères,
et te laisser à la merci des bêtes féroces.

HÉLÉNA
La plus féroce n'a pas un cœur comme vous.
Courez où vous voudrez, vous retournerez l'histoire :
Apollon fuit, et Daphné lui donne la chasse ;
la colombe poursuit le griffon ; la douce biche
s'élance pour attraper le tigre. Élan inutile,
quand c'est l'audace qui fuit et la poltronnerie qui court après !

DÉMÉTRIUS
Je ne veux pas écouter tes subtilités ; lâche-moi ;
ou bien, si tu me suis, sois sûre
que je vais te faire outrage dans le bois.

HÉLÉNA
Hélas ! dans le temple, dans la ville, dans les champs,
partout vous me faites outrage. Fi, Démétrius !
vos injures jettent le scandale sur mon sexe :
en amour, nous ne pouvons pas attaquer, comme les hommes ;
nous sommes faites pour qu'on nous courtise, non pour courtiser.
Je veux te suivre et faire un ciel de mon enfer
en mourant de la main que j'aime tant.
(Sortent Défliétrius et Héléna.)

OBÉRON
Adieu, nymphe ; avant qu'il ait quitté ce hallier,
c'est toi qui le fuiras, c'est lui qui recherchera ton amour.
(Rentre Puck.)

OBÉRON (à Puck)
As-tu la fleur ? Sois le bienvenu, rôdeur.

PUCK
Oui, la voilà.

OBÉRON
Donne-la-moi, je te prie.
Je sais un banc où s'épanouit le thym sauvage,
où poussent l'oreille d'ours et la violette branlante.
Il est couvert par un dais de chèvrefeuilles vivaces,
de suaves roses musquées et d'églantiers.
C'est là que dort Titania, à certain moment de la nuit,
bercée dans ces fleurs par les danses et les délices :
c'est là que la couleuvre étend sa peau émaillée,
vêtement assez large pour couvrir une fée.
Alors je teindrai ses yeux avec le suc de cette fleur,
et je la remplirai d'odieuses fantaisies.
Prends aussi de ce suc, et cherche à travers le hallier.
Une charmante dame d'Athènes est amoureuse
d'un jeune dédaigneux : mouille les yeux de celui-ci,
mais veille à ce que le premier être qu'il apercevra
soit cette dame. Tu reconnaîtras l'homme
à son costume athénien.
Fais cela avec soin, de manière qu'il devienne
plus épris d'elle qu'elle n'est éprise de lui.
Et viens me rejoindre sans faute avant le premier chant du coq.

PUCK
Soyez tranquille, monseigneur, votre serviteur obéira.
(Ils sortent.)

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