Scène VII



Athènes. Le palais de Thésée.
Entrent Thésée, Hippolyte, Philostrate, Seigneurs, suite.

HIPPOLYTE
C'est bien étrange, mon Thésée, ce que racontent ces amants.

THÉSÉE
Plus étrange que vrai. Je ne pourrai jamais croire
à ces vieilles fables, à ces contes de fée.
Les amoureux et les fous ont des cerveaux bouillants,
des fantaisies visionnaires qui perçoivent
ce que la froide raison ne pourra jamais comprendre.
Le fou, l'amoureux et le poète
sont tous faits d'imagination.
L'un voit plus de démons que le vaste enfer n'en peut contenir,
c'est le fou ; l'amoureux, tout aussi frénétique,
voit la beauté d'Hélène sur un front égyptien ;
le regard du poëte, animé d'un beau délire,
se porte du ciel à la terre et de la terre au ciel ;
et, comme son imagination donne un corps
aux choses inconnues, la plume du poëte
leur prête une forme et assigne au néant aérien
une demeure locale et un nom.
Tels sont les caprices d'une imagination forte :
pour peu qu'elle conçoive une joie,
elle suppose un messager qui l'apporte.
La nuit, avec l'imagination de la peur,
comme on prend aisément un buisson pour un ours !

HIPPOLYTE
Oui, mais tout le récit qu'il nous ont fait de cette nuit,
de la transfiguration simultanée de toutes leurs âmes,
est plus convaincant que de fantastiques visions ;
il a le caractère d'une grande consistance,
tout étrange et tout merveilleux qu'il est.
(Entrent Lysandre, Démétrius, Hermia et Héléna.)

THÉSÉE
Voici venir nos amoureux pleins de joie et de gaieté.
Soyez joyeux, doux amis ! Que la joie et un amour toujours frais
fassent cortége à vos cœurs !

LYSANDRE
Qu'ils soient plus fidèles encore
à vos royales promenades, à votre table, à votre lit !

THÉSÉE
Voyons, maintenant. Quelles mascarades, quelles danses aurons-nous
pour passer ce long siècle de trois heures
qui doit s'écouler entre l'après-souper et le coucher ?
Où est l'intendant ordinaire de nos plaisirs ?
Quelles fêtes nous prépare-t-on ? N'a-t-on pas une comédie
pour soulager les angoisses d'une heure de torture ?
Appelez Philostrate.

PHILOSTRATE (s'avançant)
Me voici, puissant Thésée.

THÉSÉE
Dites-moi, quel amusement aurons-nous ce soir ?
quelle mascarade ? quelle musique ? Comment tromperons-nous
le temps paresseux, si ce n'est par quelque distraction ?

PHILOSTRATE
Voici le programme des divertissements déjà mûrs ;
que votre altesse choisisse celui qu'elle veut voir le premier.
(Il donne un papier à Thésée.)

THÉSÉE (lisant)
Le combat contre les Centaures, chanté
sur la harpe par un eunuque athénien.
Nous ne voulons pas de ça ; j'en ai fait le récit à ma bien-aimée,
à la gloire de mon parent Hercule.
L'orgie des Bacchantes ivres,
déchirant dans leur rage le chantre de la Thrace.
C'est un vieux sujet ; il a été joué
la dernière fois que je suis revenu vainqueur de Thèbes.
Les neuf Muses pleurant la mort
De la science, récemment décédée dans la misère.
C'est quelque satire de critique mordante
qui ne convient pas à une cérémonie nuptiale.
Courte scène fastidieuse du jeune Pyrame
Et de son amante Thisbé ; farce très tragique
Farce et tragique ! fastidieuse et courte !
comme qui dirait de la glace chaude, de la neige la plus étrange.
Comment trouver l'accord de ce désaccord ? "

PHILOSTRATE
C'est une pièce longue d'une dizaine de mots, monseigneur.
Je n'en connais pas de plus courte.
Pourtant, monseigneur, elle est trop longue de dix mots ;
ce qui la rend fastidieuse ; car dans toute la pièce
il n'y a pas un mot juste ni un acteur capable.
Et puis, elle est tragique, mon noble seigneur ;
car Pyrame s'y tue.
Ce qui, à la répétition, je dois le confesser,
m'a fait venir les larmes aux yeux, des larmes plus gaies
que n'en a jamais versées le rire le plus bruyant.

THÉSÉE
Qui sont ceux qui la jouent ?

PHILOSTRATE
Des hommes à la main rude, des ouvriers d'Athènes,
qui jusqu'ici n'avaient jamais travaillé par l'esprit.
Ils ont chargé leur mémoire balbutiante
de cette pièce-là pour le jour de vos noces.

THÉSÉE
Nous allons l'entendre.

PHILOSTRATE
Non, mon noble seigneur,
elle n'est pas digne de vous ; je l'ai entendue d'un bout à l'autre,
et il n'y a rien là, rien du tout ;
à moins que vous ne vous amusiez de leurs efforts
extrêmement laborieux et des peines cruelles qu'ils se donnent
pour votre service.

THÉSÉE
Je veux entendre cette pièce ;
car il n'y a jamais rien de déplacé
dans ce que la simplicité et le zèle nous offrent.
Allez, introduisez-les. Et prenez vos places, mesdames.
(Sort Philostrate.)

HIPPOLYTE
Je n'aime pas à voir l'impuissance se surmener,
et le zèle succomber à la tâche.

THÉSÉE
Mais, ma charmante, vous ne verrez rien de pareil.

HIPPOLYTE
Il dit qu'ils ne peuvent rien faire en ce genre.

THÉSÉE
Nous n'en aurons que plus de grâce à les remercier de rien.
Nous nous ferons un plaisir de bien prendre leurs méprises :
là où un zèle malheureux est impuissant,
une noble bienveillance considère l'effort et non le talent.
Quand je suis revenu, de grands savants ont voulu
me saluer par des compliments prémédités :
alors, je les ai vus frisonner et pâlir,
s'interrompre au milieu des phrases,
laisser bâillonner par la crainte leur bouche exercée,
et, pour conclusion, s'arrêter court
sans m'avoir fait leur compliment. Croyez-moi, ma charmante,
ce compliment, je l'ai recueilli de leur silence même.
Et la modestie du zèle épouvanté
m'en dit tout autant que la langue bavarde
d'une éloquence impudente et effrontée.
Donc l'affection et la simplicité muettes
sont celles qui, avec le moins de mots, parlent le plus à mon cœur.
(Entre Philostrate.)

PHILOSTRATE
S'il plaît à votre altesse, le prologue est tout prêt.

THÉSÉE
Qu'il approche !
(Fanfare de trompettes.)
(Entre le Prologue.)

LE PROLOGUE
Si nous déplaisons, c'est avec intention…
De vous persuader… que nous venons, non pour déplaire,
Mais bien avec intention… de montrer notre simple savoir-faire,
Voilà le vrai commencement de notre fin.
Considérez donc que nous ne venons qu'avec appréhension
Et sans nulle idée de vous satisfaire…
Nous ferons tous nos efforts… Pour vous charmer
Nous ne sommes pas ici… Pour vous donner des regrets
Les acteurs sont tout prêts ; et par leur jeu
Vous apprendrez ce que vous devez apprendre.

THÉSÉE
Ce gaillard-là ne s'arrête pas à la ponctuation.

LYSANDRE
Il a monté son prologue comme un poulain sauvage, sans savoir l'arrêter. Bonne leçon, monseigneur ! Il ne suffit pas de parler, il faut bien parler.

HIPPOLYTE
Oui, vraiment, il a joué de son prologue comme un enfant du flageolet. Des sons, mais pas de mesure.

THÉSÉE
Son speech a été comme une chaîne embrouillée : rien n'y manquait, mais tout était en désordre. Qu'avons-nous ensuite ?
(Entrent Pyrame et Thisbé, le Mur, le Clair de Lune et le Lion, comme dans une pantomime.)

LE PROLOGUE
Gentils auditeurs, peut-être êtes-vous étonnés de ce spectacle ;
Restez-le donc jusqu'à ce que la vérité vienne tout expliquer.
Cet homme est Pyrame, si vous voulez le savoir.
Cette belle dame est Thisbé : c'est évident.
Cet homme, avec son plâtre et sa chaux, représente
Un mur, cet ignoble mur qui séparait nos amants :
C'est à travers ses fentes que ces pauvres âmes sont réduites
À chuchoter. Que nul ne s'en étonne.
Cet homme, avec sa lanterne, son chien et son fagot d'épines,
Représente le Clair de Lune : car, si vous voulez le savoir,
Devant le clair de lune, nos amants ne se font pas scrupule
De se rencontrer à la tombe de Ninus pour s'y… pour s'y faire la cour.
Cette affreuse bête qui a nom lion,
Une nuit que la confiante Thisbé arrivait la première,
La fit fuir de peur, ou plutôt d'épouvante.
Comme elle se sauvait, Thisbé laissa tomber sa mante
Que cet infâme lion souilla de sa dent sanglante.
Bientôt arrive Pyrame, charmant jouvenceau, très grand ;
Il trouve le cadavre de la mante de sa belle.
Sur quoi, de sa lame, de sa sanglante et coupable lame,
Il embroche bravement son sein d'où le sang bouillonne.
Alors, Thisbé, qui s'était attardée à l'ombre d'un mûrier,
Prend la dague, et se tue. Pour tout le reste,
Le Lion, le Clair de Lune, le Mur et les deux amants
Vous le raconteront tout au long quand ils seront en scène.
(Sortent le Prologue, Thisbé, le Lion et le Clair de Lune.)

THÉSÉE
Je me demande si le lion doit parler.

DÉMÉTRIUS
Rien d'étonnant à cela, monseigneur ; un lion peut bien parler, quand il y a tant d'ânes qui parlent.

LE MUR
Dans cet intermède, il arrive
Que moi, dont le nom est Groin, je représente un mur,
Mais un mur, je vous prie de le croire,
Percé de lézardes ou de fentes,
À travers lesquelles les amants, Pyrame et Thisbé,
Se sont parlé bas souvent très-intimement.
Cette chaux, ce plâtras et ce moellon vous montrent
Que je suis bien un mur. C'est la vérité.
Et c'est à travers ce trou-ci qu'à droite et à gauche
Nos amants timides doivent se parler bas.

THÉSÉE
Peut-on désirer que de la chaux barbue parle mieux que ça ?

DÉMÉTRIUS
C'est la cloison la plus spirituelle que j'aie jamais ouïe discourir, monseigneur.

THÉSÉE
Voilà Pyrame qui s'approche du Mur. Silence !
(Entre Pyrame.)

PYRAME
Ô nuit horrible ! ô nuit aux couleurs si noires !
Ô nuit qui es partout où le jour n'est pas !
Ô nuit : ô nuit ! hélas ! hélas ! hélas !
Je crains que ma Thisbé n'ait oublié sa promesse !
Et toi, ô Mur, ô doux, ô aimable Mur,
Qui te dresses entre le terrain de son père et le mien,
Mur, ô Mur, ô doux et aimable Mur,
Montre-moi ta fente que je hasarde un œil à travers.
Le mur étend la main.
Merci, Mur courtois ! Que Jupiter te protége !
Mais que vois-je ? je ne vois pas Thisbé.
Ô méchant Mur, à travers lequel je ne vois pas mon bonheur,
Maudites soient tes pierres de m'avoir ainsi déçu !

THÉSÉE
Maintenant, ce me semble, c'est au Mur, puisqu'il est doué de raison, à riposter par des malédictions.

PYRAME (s'avançant vers Thésée)
Non, vraiment, monsieur ; ce n'est pas au tour du Mur. Après ces mots : m'avoir ainsi déçu, vient la réplique de Thisbé ; c'est elle qui doit paraître, et je dois l'épier à travers le Mur. Vous allez voir, ça va se passer exactement comme je vous ai dit… La voilà qui arrive.
(Entre Thisbé.)

THISBÉ
Ô Mur, que de fois tu m'as entendu gémir
De ce que tu me séparais de mon beau Pyrame !
Que de fois mes lèvres cerises ont baisé tes pierres,
Tes pierres cimentées de chaux et de poils !

PYRAME
J'aperçois une voix ; allons maintenant à la crevasse,
Pour voir si je n'entendrai pas la face de ma Thisbé !
Thisbé !

THISBÉ
Mon amour ! c'est toi, je crois, mon amour ?

PYRAME
Crois ce que tu voudras ; je suis sa grâce ton amoureux :
Toujours fidèle comme Liandre.

THISBÉ
Et moi comme Hélène, jusqu'à ce que le destin me tue !

PYRAME
Shaphale ne fut pas si fidèle à Procrus !

THISBÉ
Autant Shaphale le fut à Procrus, autant je te le suis.

PYRAME (collant ses lèvres aux doigts du mur)
Oh ! baise-moi à travers le trou de ce vil Mur !

THISBÉ (collant ses lèvres de l'autre côté)
C'est le trou du Mur que je baise, et non vos lèvres.

PYRAME
Veux-tu me rejoindre immédiatement à la tombe de Nigaud ?

THISBÉ
Morte ou vive, j'y vais sans délai.

LE MUR (baissant le bras)
Ainsi, j'ai rempli mon rôle, moi, le Mur :
Et, cela fait, le Mur s'en va.
(Sortent le Mur, Pyrame et Thisbé.)

THÉSÉE
Maintenant, le mur qui séparait les deux amants est à bas.

DÉMÉTRIUS
Pas de remède à ça, monseigneur, quand les murs ont des oreilles.

HIPPOLYTE
Voilà le plus stupide galimatias que j'aie jamais entendu.

THÉSÉE
La meilleure œuvre de ce genre est faite d'illusions ; et la pire n'est pas pire quand l'imagination y supplée.

HIPPOLYTE
Alors ce n'est plus l'imagination de l'auteur, c'est la vôtre.

THÉSÉE
Si nous ne pensons pas plus de mal de ces gens-là qu'ils n'en pensent eux-mêmes, ils pourront passer pour excellents. Mais voici deux nobles bêtes, une lune et un lion.
(Entrent le Lion et le Clair de Lune.)

LE LION
Mesdames, vous dont le gentil cœur s'effraie
De la souris la plus monstrueusement petite qui trotte sur le parquet,
Vous pourriez bien ici frissonner et trembler
En entendant un lion féroce rugir avec la rage la plus farouche.
Sachez donc que je suis Étriqué le Menuisier,
Un lion terrible, non, pas plus qu'une lionne ;
Car, si je venais comme lion chercher querelle
En ce lieu, ce serait au péril de ma vie.

THÉSÉE
Une bien gentille bête et une bonne âme !

DÉMÉTRIUS
La meilleure âme de bête que j'aie jamais vue, monseigneur.

LYSANDRE
Ce lion est un vrai renard pour la valeur.

THÉSÉE
Oui, et une oie pour la prudence.

DÉMÉTRIUS
Non pas, monseigneur ; car sa valeur ne peut emporter sa prudence, et un renard peut emporter une oie.

THÉSÉE
Sa prudence, j'en suis sûr, ne peut pas emporter sa valeur ; car l'oie n'emporte pas le renard. C'est bien. Laissez-le à sa prudence et écoutons la lune.

LA LUNE
Cette lanterne vous représente la lune et ses cornes…

DÉMÉTRIUS (l'interrompant)
Il aurait dû porter les cornes sur sa tête.

THÉSÉE
Ce n'est pas un croissant, c'est une pleine lune où les cornes sont invisibles.

LA LUNE (reprenant)
Cette lanterne vous représente la lune et ses cornes,
Et moi-même je suis censé être l'homme qu'on voit dans la lune.

THÉSÉE
Voilà la plus grande de toutes les bévues. L'homme aurait dû se mettre dans la lanterne. Sans cela, comment peut-il être l'homme qu'on voit dans la lune ?

DÉMÉTRIUS
Il n'ose pas s'y mettre à cause du lumignon ; tenez, voyez-vous, le voilà déjà qui prend feu.

HIPPOLYTE
Cette lune-là m'ennuie. Je demande un changement de lune.

THÉSÉE
À en juger par son peu de lumière, elle est sur son déclin. Pourtant, par courtoisie, et en toute équité, laissons-lui prendre son temps.

LYSANDRE
Continue, Lune !

LA LUNE
Tout ce que j'ai à vous dire, c'est pour vous déclarer que cette lanterne est la lune ; que moi, je suis l'homme dans la lune ; que ce fagot d'épines est mon fagot d'épines ; et que ce chien est mon chien.

DÉMÉTRIUS
Eh bien, tout ça devrait être dans la lanterne, puisque tout ça est dans la lune. Mais silence, voici venir Thisbé.
(Entre Thisbé.)

THISBÉ
Voici la tombe du vieux Nigaud ; où est mon amour ?

LE LION (rugissant)
Ho !
(Thisbé se sauve en laissant tomber son manteau.)

DÉMÉTRIUS
Bien rugi, lion !

THÉSÉE
Bien couru, Thisbé !

HIPPOLYTE
Bien luit, Lune… Vraiment, la lune luit de fort bonne grâce.
(Le Lion déchire le manteau de Thisbé.)

THÉSÉE
Bien griffé, lion !
(Le Lion sort.)

DÉMÉTRIUS
Et, sur ce, voici Pyrame qui vient.

LYSANDRE
Et la lune qui s'éclipse.
(Entre Pyrame.)

PYRAME
Douce lune, merci de tes rayons solaires.
Merci, lune, de briller maintenant avec tant d'éclat,
Car, à la clarté dorée de tes torrents lumineux,
J'espère savourer la vue de la très-fidèle Thisbé.
Mais, arrêtons !
Ô douleur !
Mais, regardons ! Pauvre chevalier,
Quel malheur affreux !
Yeux, voyez-vous ?
Est-il possible ?
Ô poule mignonne ! ô chère !
Eh quoi ! ton manteau, le meilleur !
Teint de sang ?
Approchez, furies cruelles !
Ô Parques, venez ! venez !
Tranchez le gros fil de mes jours !
Frappez, écrasez, achevez, massacrez-moi !

THÉSÉE
Cette émotion causée par la mort d'une amie chère pourrait presque donner l'air triste à un homme.

HIPPOLYTE
Maudit soit mon cœur, si je ne le plains pas !

PYRAME
Ô nature ! pourquoi créas-tu des lions ?
Puisqu'un lion infâme a défloré ici ma bien-aimée,
Laquelle est, non, non ! laquelle était la plus belle dame
Qui ait vécu, aimé d'amour et d'amitié, et porté visage
Venez, larmes, consumez-moi !
Dehors épée, et blesse
Le téton de Pyrame :
Oui, ce téton gauche,
Où le cœur gambade.
Ainsi je meurs, ainsi, ainsi, ainsi !
Maintenant me voilà mort,
Maintenant me voilà parti.
Mon âme est dans le ciel,
Langue, perds ta lumière !
Lune, prends la fuite !
Et maintenant vous voyez un décédé !
Pyrame tombe en mourant.
Le Clair de Lune sort.

DÉMÉTRIUS
Je vois le décès, mais je ne vois pas le dé. En tout cas, c'est un as qui retourne, car il est tout seul.

LYSANDRE
Alors, c'est un as à sein ; car il se l'est percé.

THÉSÉE
Un chirurgien qui le guérirait n'en ferait pas un as saillant.

HIPPOLYTE
Comment se fait-il que la lune soit partie avant que Thisbé soit venue et ait retrouvé son amant ?

THÉSÉE
Elle le retrouvera à la clarté des étoiles. La voici ; et sa douleur va terminer la pièce.
(Entre Thisbé.)

HIPPOLYTE
À mon avis, elle ne doit pas avoir une longue douleur pour un pareil Pyrame. J'espère qu'elle sera brève.

DÉMÉTRIUS
Qui vaut le mieux de Pyrame ou de Thisbé ? Un fétu ferait pencher la balance.

LYSANDRE
Elle l'a déjà aperçu avec ces beaux yeux-là.

DÉMÉTRIUS
Et voici qu'elle va gémir ; écoutez !

THISBÉ
Endormi, mon amour ?
Quoi, mort, mon tourtereau ?
Ô Pyrame, lève-toi !
Parle, parle. Tout à fait muet ?
Mort ! mort ! Une tombe
Devra recouvrir tes yeux charmants.
Ces lèvres de lis,
Ce nez cerise,
Ces joues jaunes comme la primevère,
Tout cela n'est plus, n'est plus !
Amants, gémissez !
Ses yeux étaient verts comme des poireaux !
Ô vous, les trois sœurs,
Venez, venez à moi,
Avec vos mains pâles comme le lait.
Trempez-les dans le sang,
Puisque vous avez tondu
De vos ciseaux son fil de soie.
Plus un mot, ma langue !
Viens, fidèle épée ;
Viens, lame, plonge-toi dans mon sein ;
Et adieu, amis.
Ainsi Thisbé finit.
Adieu, adieu, adieu !
(Elle se frappe et meurt.)

THÉSÉE
Le Clair de Lune et le Lion sont restés pour enterrer les morts.

DÉMÉTRIUS
Oui, et le Mur aussi.

BOTTOM (se relevant)
Non, je vous assure ; le Mur qui séparait leur père est à bas. Voulez-vous voir l'épilogue, ou aimez-vous mieux entendre une danse bergamasque, dansée par deux comédiens de notre troupe ?

THÉSÉE
Pas d'épilogue, je vous prie ; car votre pièce n'a pas besoin d'apologie. Vous n'avez rien à excuser ; car, quand tous les acteurs sont morts, il n'y a personne à blâmer. Morbleu, si celui qui a écrit cette pièce avait joué Pyrame et s'était pendu à la jarretière de Thisbé, cela aurait fait une belle tragédie ; telle qu'elle est, c'en est une fort belle, et jouée très-remarquablement. Mais, voyons votre bergamasque, et laissez là votre épilogue.
Ici une danse de clowns.
La langue de fer de minuit a compté douze.
Amants, au lit ! voici presque l'heure des fées.
Je crains bien que, la matinée prochaine, notre sommeil ne se prolonge
autant que, cette nuit, se sont prolongées nos veilles.
Cette grosse farce nous a bien trompés
sur la marche lente de la nuit. Doux amis, au lit !
Célébrons pendant quinze jours cette solennité
au milieu des fêtes nocturnes et de plaisirs toujours nouveaux.
(Tous sortent.)

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