ACTE IV - Scène VIII


Chrysalde
Hé bien ! souperons-nous avant la promenade ?

Arnolphe
Non. Je jeune ce soir.

Chrysalde
D'OÙ vient cette boutade ?

Arnolphe
De grâce, excusez-moi,
J'ai quelque autre embarras.

Chrysalde
Votre hymen résolu ne se fera-t-il pas ?

Arnolphe
C'est trop s'inquiéter des affaires des autres.

Chrysalde
Oh ! oh ! si brusquement ! quels chagrins sont les vôtres. 1
Serait-il point, compère, à votre passion
Arrivé quelque peu de tribulation ?
Je le jurerais presque, à voir votre visage.

Arnolphe
Quoi qu'il m'arrive, au moins aurai-je l'avantage
De ne pas ressembler à de certaines gens
Qui souffrent doucement l'approche des galants.

Chrysalde
C'est un étrange fait, qu'avec tant de lumières
Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières,
Qu'en cela vous mettiez le souverain bonheur,
Et ne conceviez point au monde d'autre honneur !
Être avare, brutal, fourbe, méchant et lâche
N'est rien, à votre avis, auprès de cette tache ;
Et, de quelque façon qu'on puisse avoir vécu,
On est homme d'honneur quand on n'est point cocu.
À le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous croire
Que de ce cas fortuit dépende notre gloire,
Et qu'une âme bien née ait à se reprocher
L'injustice d'un mal qu'on, ne peut empêcher ?
Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme
Qu'on soit digne, à son choix, de louange ou de blâme,
Et qu'on s'aille former un monstre plein d'effroi
De l'affront que nous fait son manquement de foi ?
Mettez-vous dans l'esprit qu'on peut du cocuage
Se faire en galant homme une plus douce image ;
Que, des coups du hasard aucun n'étant garant,
Cet accident de soi doit être indifférent,
Et qu'enfin tout le mal, quoique le monde glose,
N'est que dans la façon de recevoir la chose.
Et, pour se bien conduire en ces difficultés,
Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités,
N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires
Qui tirent vanité de ces sortes d'affaires,
De leurs femmes toujours vont citant les galants,
En font partout l'éloge et prônent leurs talents,
Témoignent avec eux d'étroites sympathies,
Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,
Et font qu'avec raison les gens sont étonnés
De voir leur hardiesse à montrer là leur nez.
Ce procédé sans doute est tout à fait blâmable.
Mais l'autre extrémité n'est pas moins condamnable ;
Si je n'approuve pas ces amis des galants,
Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulents
Dont l'imprudent chagrin, qui tempête et qui gronde,
Attire au bruit qu'il fait les yeux de tout le monde,
Et qui, par cet éclat, semblent ne pas vouloir
Qu'aucun puisse ignorer ce qu'ils peuvent avoir.
Entre ces deux partis il en est un honnête,
Où, dans l'occasion, l'homme prudent s'arrête
Et, quand on le sait prendre, on n'a pointa rougir
Du pis dont une femme avec nous puisse agir.
Quoi qu'on en puisse dire enfin, le cocuage
Sous des traits moins affreux aisément s'envisage ;
Et, comme je vous dis, toute l'habileté
Ne va qu'à le savoir tourner du bon côté.

Arnolphe
Après ce beau discours, toute la confrérie
Doit un remerciement à votre seigneurie ;
Et quiconque voudra vous entendre parler
Montrera de la joie à s'y voir enrôler.

Chrysalde
Je ne dis pas cela, car c'est ce que je blâme;
Mais, comme c'est le sort qui nous donne une femme,
Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés,
Où, s'il ne vous vient pas ce que vous demandez,
Il faut jouer d'adresse, et d'une âme réduite
Corriger le hasard par la bonne conduite.

Arnolphe
C'est-à-dire dormir et manger toujours bien,
Et se persuader que tout cela n'est rien.

Chrysalde
Vous pensez vous moquer. Mais, à ne vous rien feindre,
Dans le monde je vois cent choses plus à craindre,
Et dont je me ferais un bien plus grand malheur
Que de cet accident qui vous fait tant de peur.
Pensez-vous qu'à choisir de deux choses prescrites
Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites
Que de me voir mari de ces femmes de bien
Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien,
Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses,
Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses,
Qui, pour un petit tort qu'elles ne nous font pas,
Prennent droit de traiter les gens du haut en bas,
Et veulent, sur le pied de nous être fidèles,
Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles ?
Encore un coup, compère, apprenez qu'en effet
Le cocuage n'est que ce que l'on le fait ;
Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes,
Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses.

Arnolphe
Si vous êtes d'humeur à vous en contenter,
Quant à moi ce n'est pas la mienne d'en tâter ;
Et plutôt que subir une telle aventure…

Chrysalde
Bon Dieu ! ne jurez point, de peur d'être parjure.
Si le sort l'a réglé, vos soins sont superflus,
Et l'on ne prendra pas votre avis là-dessus.

Arnolphe
Moi, je serais cocu ?

Chrysalde
Vous voilà bien malade !
Mille gens le sont bien, sans vous faire bravade,
Qui de mine, de cœur, de biens et de maison,
Ne feraient avec vous nulle comparaison.

Arnolphe
Et moi, je n'en voudrais avec eux faire aucune.
Mais cette raillerie, en un mot, m'importune ;
Brisons là, s'il vous plaît.

Chrysalde
Vous êtes en courroux ! Nous en saurons la cause.
Adieu. Souvenez-vous,
Quoi que sur ce sujet votre honneur vous inspire,
Que c'est être à demi ce que l'on vient de dire
Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas.

Arnolphe
Moi, je le jure encore ; et je vais de ce pas
Contre cet accident trouver un bon remède. (Il court heurter à sa porte.)

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