Deux lettres m’arrivent ! Il y a là de quoi m’inquiéter deux fois. Dieu merci, l’une, énorme, est de Claudine, et l’autre d’Alain. Et puis, je me sens, ce matin, plus forte et plus alerte, calmée par l’heure fraîche — car le coucou de la cuisine a chanté huit fois ses deux notes de crapaud — par l’odorant thé bouillant qui fume dans ma tasse bleue, par l’appétit délirant de Toby, qui saute et pleure pointu, durant que je m’attarde. Je respire un air mobile et léger, un air de fête et de départ ; c’est ma manière à moi, oui, Claudine, de goûter la paix des champs, que de rêver au son des grelots sur la route… Je serais une jeune femme de dix-huit cent… trente et quelques. Une créole, n’est-ce pas ? Elles furent à la mode dans ce temps-là. Un mariage malheureux, l’enlèvement, le costume incommode et fragile, les brodequins lacés que blessent les cailloux, la chaise lourde, les postiers fumants… quoi encore ? l’essieu qui se brise, les surprises, la rencontre providentielle… Tout le joli, le ridicule, le sentimental de nos grand’mères…
Dans l’enveloppe au timbre français, quelques lignes seulement de Claudine, qui m’envoie d’innombrables feuillets d’une écriture inconnue… J’eusse préféré le contraire.
« Ma chère petite Annie, je ne sais où vous trouver. Que ceci vous parvienne et vous dise seulement que Marthe, à Paris, explique votre fugue en peu de mots : « Ma belle-sœur soigne en province une grossesse difficile. » C’est la grâce que je vous souhaite ! Tout en serait peut-être plus simple ?… Sachez encore que Léon et sa femme me semblent en parfaite santé et en parfait accord. Pour effacer de votre imagination inquiète toute impression dramatique, voici une lettre, un volume, que m’envoie Maugis, de Béziers. Lisez ces goujateries alambiquées, Annie, et souriez, fût-ce de mépris et d’indifférence.
« Adieu, je voulais vous rassurer, vous avertir. Cela seulement… et savoir quelque chose de vous, car je n’y puis tenir : je crains tout pour vous… hors moi-même. J’avais dit : « Ne m’écrivez pas, si le remède échoue. » Il s’agit bien de remède ! Je veux tout savoir de vous, de vous à qui j’ai, si proprement, renoncé. Un mot, une image, une dépêche, un signe… Faites-en ma récompense, Annie. Guérie, ou malade, ou « perdue » comme on dit, ou bien même… ce que dit Marthe… Bouac ! non, pas cela ! Demeurez l’amphore, étroite et grêle, que deux bras refermés peuvent aisément étreindre.
« Votre
CLAUDINE. »
C’est tout ! Oui, c’est tout. La tendre inquiétude de Claudine même ne me satisfait pas. Quand on n’a rien à soi, comme moi, on espère tout d’autrui… Je répugne à toucher l’énorme lettre de Maugis, toutes ces pages que durent poisser ses mains d’ivrogne…
. . . . . . . . . . . . . .
Salut, la môme Claudine, collez de ma part un bécot au Renaud d’attaque avec lequel, souventes fois, vous forniquez. Vous n’êtes pas assez poires, l’un ni l’autre, pour supposer un seul instant que je m’excuse de n’avoir pu, dans la bousculade d’un départ opportun, vous barber d’une correcte visite p. p. c. Et vous avez bougrement raison de ne pas le supposer ; bon pour les gigolos de la « gomme » ces soucis d’ « étiquette » — c’est un mot —, mais moi, je me fiche des convenances envers quiconque, comme votre beau-fils Marcel d’une moukère amoureuse, et, particulièrement, je consens à être changé en pissotière si l’idée me vient jamais de faire des magnes avec vous et votre mec costeau que je considère tellement comme des poteaux que je voudrais pouvoir vous offrir sur l’allée des idem, au Bois boulonnais, un petit hôtel avec salon à l’anglaise, water-closet Louis XV, lit pour trois personnes, etc., etc.
Mon honorée de ce jour tend seulement à vous notifier que je compte sur vous, formellement, pour me tuyauter, au petit fer, sur les événements échus à Bayreuth, ville et théâtre, depuis que je quittai ce séjour enfumé : j’ai promis pour la fin du mois à une feuille, dont le caissier possède mon estime, le Journal d’un pèlerin à Wagnéropolis — titre assuré contre l’incendie — cependant que d’autres canards, dont je ne méprise point les pépettes, réclament mes avis éclairés sur les représentations de Béziers. Or, faute d’un service de tramways reliant les Folies-Cosima et les Arènes, il m’est difficile de faire la navette, dans la même journée, entre la boîte à musique bavaroise et le cirque languedocien, ainsi que j’ai coutume, chaque dimanche, à Paris, entre le Châtelet où Colonne révèle la Damnation de Faust et le Nouveau-Théâtre où les concertos de Beethoven sont sifflés comme insuffisamment musicaux par un quarteron de va-de-la-gueule haut perchés.
Doncques, il urge que vous me fournissiez, les aminches, de quoi satisfaire les fervents du Ring ; vous me direz si c’est toujours le même cochon qui, sous le pseudonyme de Siegmund, râle le Ein Schwert verhiess mir…, répondant au So grüss ich die Burg… du noble borgne ; vous m’apprendrez si ce jeanfoutre de Siegfried Wagner se décide à faire partir les trombones qui doivent mugir la malédiction d’Alberich quand le marlou à Brünnhilde sort de son bateau pour en monter un à Gunther. Dans le même temps, j’assouvirai avec mes notes personnelles la curiosité de ceusses qui s’intéressent au département vinicole d’où je vous écris — des « Héraultomanes » quoi ! La flemme de Renaud m’est connue, mais il se déchargera sur vous, de tout soin, ô Claudine, qui savez tenir une plume comme si vous n’aviez pas eu d’autre occupation depuis votre naissance. À ces causes, vous allez m’expédier, chaste créature, un bon topo tout fait, truffé de potins et farci de rosseries ; moi, pas dur, je me contenterai de le recopier — non, je ne le recopierai même pas — de le signer et d’en palper le montant. En retour, coureuse, je m’engage à ne plus vous taquiner avec vos vieilles histoires… Rézi des temps mérovingiens… et je vous promets une gratitude émue, contenue dans un sac de ces fondants plutôt dégueulasses pour lesquels vous avouez un goût crapuleux. Ça colle ? Bon, je vous savais bien des poteaux auxquels nul bon sentiment n’est étranger… nihil alienum poteau… T’es rance !
Je vous revaudrai ça, d’ailleurs. Et tenez, tout de suite, je veux vous envoyer à travers la bobine des détails sur mon séjour ici, détails fichtrement précieux pour Renaud le jour où, Bibi ayant restitué son âme au folâtre Démiurge, l’homme aimé, entre autres, de Claudine, consacrera une étude à la fois biographique, copieuse et définitive, à « notre regretté Maugis » musicographe défunt.
Je suis donc venu de Bayreuth à Béziers, en brûlant Paris, comme un simple communard (à cause de quoi j’espère qu’on m’octroiera quelque jour une de ces trésoreries générales où se prélassent les anciens pétroleurs de 71). Béziers, c’est la deuxième personne (à moi, les génitifs en cascade) du pluriel de l’imparfait de l’indicatif. du verbe le plus sympathique de notre belle langue française ; c’est aussi une sous-préfecture qui abuse de ce qu’elle est perchée sur une colline pour prendre des airs prétentieux de vieille ville forte. Au vrai, c’est un repaire de marchands de vins, et les foudres qu’on y rencontre ne sont point de guerre ; c’est aussi, comme l’imprime un journaleux du cru, ou, du moins, ça se croit une « cité amoureuse des arts » depuis qu’un indigène, longuement dénommé Castelbon de Beauxhôtes, s’avisa d’en faire, pour ainsi parler, un centre de décentralisation artistique, à seule fin d’utiliser les Arènes, les fameuses Arènes, mornes comme l’œil d’un coursier qui se conforme à sa triste pensée, silencieuses comme un conrart, du centre gauche, depuis qu’un entrepreneur téméraire, s’étant avisé d’y donner des courses de taureaux, s’était vu mettre en faillite en moins de temps qu’il ne faut à un politicien pour violer sa parole d’honneur.
Or, cette vieille paillarde de Providence, qui est toujours là pour un coup, avait lié d’amitié le Castelbon de ce que j’ai dit avec notre Saint-Saëns national : du commerce de ces deux grands hommes, bien faits pour se pénétrer l’un l’autre, le projet naquit de créer un Bayreuth français, qui serait Béziers, avec 1° dans le rôle de Wagner, Saint-Saëns, et 2° dans celui de Louis de Bavière, Castelbon, le Mécène à faire.
Ce projet, les bougres le mirent à exécution et m’obligent ainsi, pâle victime du devoir professionnel, à bouffer des centaines de kilomètres de voie ferrée pour ouïr leurs confections ; je leur pardonnai, l’an passé, parce qu’ils laissèrent Hérold-Lorrain-Fauré produire un Prométhée qui avait de l’allure ; mais ils nous insinuent, cette fois, dans le fondement, une Parysatis telle que je me propose d’acquérir une chienne exprès pour leur en garder un chien. Ah ! chaleur !
Je dis bien : « chaleur ». Quand je débarquai, la veille de la première, dans la ville natale de cet autre emmielleur, Viennet, le thermomètre marquait 35 degrés au-dessus de zéro — une paille ! Je dis bien encore : « une paille » ; j’en demandai une dans un café, sur la molesquine gluante duquel je m’affalai, une paille avec une menthe (liquide que j’élus, je le jure, pour ses vertus rafraîchissantes et non pour ses propriétés aphrodisiaques).
Excellente, la menthe du Café de… Allons, bon, j’ai tant souffert de la chaleur que je ne suis pas fichu de me rappeler son nom (Fille de la chaleur, Amnésie, Amnésie !) Du reste, vouloir retrouver un café dans cette ville, c’est vouloir retrouver une faute de français dans un roman du cocu de Marthe, chaque maison est un estaminet et, 3 kilomètres avant d’arriver à Béziers, une schlinguotrouillotante senteur de vermouth et d’absinthe vous saule à la gorge, dénonçant l’approche d’Aperitivopolis.
Tout d’abord, je dus repousser les assauts de deux sous-offs en retraite, deux grognards astucieux, qui se ressemblaient comme deux gouttes militaires, et prétendaient m’ « intéresser » à leurs parties de billard. Penses-tu ! Je les envoyai dinguer avec la maestria d’un qui connaît les trucs de filous traduits par Mardrus en prose frangée d’or dans Ali-Baba et les Caramboleurs et, vu que je me sentais idiot comme un couplet bêlé par Rachel Launay je résolus — similia similibus curantur — de parcourir les gazettes locales que m’offrait une jeune barmaid aux yeux de vice ; en les feuilles de joie prêtées par cette fille à soda, je pigeai, sur la représentation du lendemain, des informations pleines de promesses juteuses, celle-ci, d’abord, que « les dames des chœurs étaient en possession de leurs parties » — ce que ne sauraient dire leurs collègues de la chapelle Sixtine — ; que Parysatis coûtait, à monter, 250 balles et qu’on y employait 150 000 figurants (ou le contraire) ; que l’orchestration pour les musiques d’harmonie était de M. Eustace lui-même, chef de génie, je veux dire du génie, et qu’enfin, à côté de Laparcerie au torse ondulant, il nous serait donné d’ouïr ces artistes illustres dans les deux mondes qui se nomment Decœur, Brille, Duparc, Fonteney, — tout ça à la fois ! Vous pensez si je jubilais : traverser la France de haut en bas pour retrouver la troupe de l’Odéon, ça valait vraiment le voyage.
Et comme les bonheurs vont par troupe, voici que dans le temps même où j’essayais de digérer ces révélations pimentées, m’apparurent quelques échantillons du Tout-Paris, peu nombreux, mais quels ! le dessus du panier… à salade.
Privée de son habituel chamelier-servant (Annie soit qui mal y pense), la chlorotique Chessenet avait élu un beau brun, l’ex-souteneur-cuisinier de la comtesse Tépion, et près de ce maquereau à la maître d’hôtel, elle semblait fade et glabre plus que jamais : inodore, incolore et sans sapeur.
Miss Tryphé, très occupée par son grand travail de statistique : le Trust des chats, songeait à quitter Béziers au plus tôt pour retrouver son cher hôtel des Bouffe-Parisiennes.
À côté d’elle piontifiait tante Laure, vieille « chaussette bleue » morphinomane, la providence des petits télégraphistes qu’elle protège, pneu ou prou.
Enfin, essentiel, culminait Jean de Katorzeur, vous savez, ce Serbe à gueule de palefrenier anglais, jadis rédacteur, en langue belge, d’une feuille de chantage bien parisienne, chochotte qui se dit impérialiste pour justifier ses mœurs à la Cambacérès. Depuis que je le menaçai de lui boucher son gagne-pain avec le bout de ma bottine, il m’accable de prévenances — sans doute pour assurer ses derrières, et je l’écoute volontiers, car il y a souvent d’utiles indications à glaner dans les médisances baveuses de ce débineur, toujours prêt à manger le morceau, tous les morceaux : nous déjeunâmes ensemble.
Il était, ce jour-là dans sa meilleure forme et nous achevions à peine les hors-d’œuvre, qu’il m’avait déjà communiqué, lui qui ne m’avait précédé à Béziers que de quarante-huit heures, la liste officieuse et complète de tous les massacreurs d’amazones de l’endroit qui ne perdent pas leur temps avec les femmes ; connaissant le jeanfesse, je ne doutai point qu’il se fût mis en bonne posture pour être renseigné et, tout en lui prêtant une esgourde attentive, je songeais qu’il y aurait une belle étude à écrire, intéressante et neuve, sur la Viticulture et l’homosexualitédans leurs rapports avec la production musicale. Jean de Katorzeur voulut-il me convaincre qu’en dépit de sa réputation bien établie, il ne buvait pas de ce vin là ? ou bien touche-t-il une bédide gommission ? je ne sais, mais, après le mégot digestif, il me proposa de m’emmener chez « la comtesse ».
Je craignis d’abord que « la comtesse » ne fût le sobriquet féminin de quelque entubé local, et déjà je me voyais présenté par mon guide à quelque inconnu vêtu de noir lui ressemblant comme une tante ; mais non la comtesse est tout simplement une vieillarde qui gère, dans le quartier réservé aux filles d’amour, une maison assez bien achalandée, ma foi. Les Biterrois, ces grands seigneurs (dans Biterrois, il y a rois) font bien les choses : ils ont donné aux rues discrètes dudit quartier les désignations les moins prosaïques. C’est ainsi que le nom d’Alfred de Vigny indique la maison du berger, celui de Musset le refuge d’une nuit d’excès, Victor Hugo le couvent de Fantine ; Mistral même guide ces messieurs que, dans ces parages hospitaliers, un bon vent amène.
Épatante, la vieille gonzesse ! Si jamais Renaud passe par Béziers, je m’engage fort à ne pas oublier de visiter cette curiosité que Bædeker omit. Vous l’y autoriserez, indulgente Claudine, — à charge de revanche —, d’autant plus que rien n’oblige, après avoir conversé avec la comtesse, à prendre langue avec ses pensionnaires ; dans ce chaud climat, on recommande la flanelle.
Quelque soixante ans, des cheveux blancs roulés en bourrelets aux tempes, une chaîne d’or au cou, des lunettes chevauchant son nez bourbonnien, Mme la comtesse, assise près de la cheminée dans un grand fauteuil de velours rouge, m’accueillit avec une distinction toute aristocratique, de douairière les fagots ; d’un geste noble, après que Jean de Katorzeur m’eut nommé, elle m’indiqua un siège et (ce que c’est que la gloire !), elle témoigna que mon nom ne lui était pas inconnu.
— Ah ! Maugis ? articula-t-elle lentement, Maugis est un écrivain célèbre ; et il veut entendre l’œuvre de notre grand, de notre cher Saint-Saëns. Nous sommes si artistes à Béziers, si artistes !
— Tu,… vous parlez, Madame, fis-je avec déférence.
— Moi, monsieur Maugis, j’adore la musique de Saint-Saëns… je ne mets rien au-dessus.
Je redoutai que la comtesse me barbât exagérément ; la critique musicale, j’en vends ; celle des autres me donne des vents ; pour le signifier nettement à cette digne femme, je syllabai, calme :
— Oh ! moi, vous savez, pourvu que mon ventre n’ait pas de plis, je me fous de tout le reste !
Elle ne parut point choquée et sourit un peu, toujours grande dame :
— J’admire le pittoresque du langage de Maugis, et je devine qu’il souhaite présentement la société de quelque jeune femme aimable et jolie…
— Justement.
— Je vais vous envoyer cela… Vous restez, M. de Katorzeur ?
Le Serbe m’interrogea du regard :
— Mon cher, lui dis-je, je ne vous retiens pas : vous ne me seriez d’aucune utilité.
La comtesse se leva, salua, et sortit en frétillant mollement du croupion, suivie de Katorzeur ; l’instant d’après, deux hétaïres vinrent m’offrir leurs services : Juliette était blonde, Carmen brune. J’hésitai : serais-je Roméo ou don José ? Je fus l’un et l’autre — c’est comme j’ai l’honneur de vous le dire !
Le lendemain, ah ! le lendemain, ce fut moins gai. Réveillé trop tard, je dus m’habiller à la six-quat’-deux (Calliope dit « à la soixante-neuf », c’est plus pittoresque), puis il fallut, faute de sapin, monter dans une tapissière hostile aux fessiers, avaler la poussière d’une route en ventre d’âne, et ce furent, sous un cochon de soleil qui « s’était mis de la partie » — la rosse ! — les Arènes où 12595 méridionaux transpiraient, tels un secret mal gardé.
Dessalé comme je suis, je sus tout de même trouver un coin d’ombre derrière le postère, copieux, d’une vigneronnesse, et je me rinçai le cristallin en contemplant le décor de Jambon et Bailly. Un chouette décor, sans flan : le propre palais qu’habita Artaxerxès Mnemon « en 401 avant Jésus-Christ », précise le programme : c’est ça qui ne nous rajeunit pas. Des frises d’émail bleu turquoise, des lions ailés, et des colonnes, et des portiques, et des jardins en terrasse, de petits gredins, de hauts gradins, de vieux gradés (pages, escaliers, capitaines), oh ! des escayers surtout, en veux-tu en voilà : le pauvre pipelet qui s’envoyait le balayage de ça, tous les matins, ne devait pas trouver le temps de se les chauffer au soleil. Lacune mesquine qui surprend dans une si luxueuse installation : pas d’ascenseur.
Les trois coups — je ne sais pas pourquoi je pense à la comtesse — des appels de trompette ; Paul Viardot, chef d’orchestre grassouillet, lève une baguette impérieuse, Parysatis sévit.
Ah ! nom de Dieu ! qu’est-ce que j’ai bien pu faire au ciel pour endurer ce supplice ? Je sais bien, je ne possède point toutes les vertus d’un Louis de Gonzague : je suis un peu porté sur ma bouche et sur celle des femmes : j’ai mérité pour le moins vingt ans de purgatoire et dix ans d’interdiction de séjour, mais pas ça ! Seigneur, pas ça !
Oyez : Parysatis, c’est la mère d’Artaxerxès, qui exerce le métier de roi de Perses (tout le monde ne peut pas être président de la République) ; elle a un autre lardon, Cyrus, qu’elle porte dans ses petits boyaux et qui, naturellement, conspire contre son monarque de frère. Ça ne lui réussit pas, au frangin, il est battu et tué à Cunaxa, en même temps que ce bassin de Xénophon. Dans les bagages du défunt, on dégote une esclave grecque nommée Cora Laparcerie, dont le rôle est tenu par une actrice célèbre nommée Aspasie. Indéniablement gironde, cette Cora avec son air de Tanagra un peu « forci », de Tanagra… double, donne dans l’œil au môme Darius, fils d’Artaxerxès, qui s’emballe à fond sur elle quoiqu’elle ait pagnotté avec feu son oncle : il veut coucher sous la tente, ce loupiot vicieux ! Quant à elle, elle ne demande qu’à marcher. Mais voilà qu’Artaxerxès entend lui aussi, se l’appuyer : Aspasie rouspète ; alors, Artaxerxès tue Darius — ça va de soi ; vous croyez peut-être qu’il va pouvoir enfin coucher avec Aspasie ? des nèfles ! elle s’occit, la roublarde !
Et Parysatis, dans tout ça, qu’est-ce qu’elle fabrique ?
Parysatis, hé bien ! elle donne son nom à la pièce — joli cadeau à faire à une tragédie — ; en outre, quand le décès d’Aspasie porte à trois le nombre des macchabées, elle fait un foin de tous les diables et devient tellement insupportable qu’Artaxerxès, l’expulse, comme une congrégation ; en partant, la vieille râleuse lâche un mot historique : « Voilà la royauté qui passe ». Un point, c’est tout. Confectionner de la bonne musique sur un sujet pareil, ça me paraît aussi impossible qu’à une chèvre de se curer les dents avec sa corne gauche.
Je ne veux pas évaluer sous combien de centaines de pieds de matières excrémentielles j’aimerais mieux être enfoui que d’ouïr une seconde fois ce drame fuligineux dont la perpétration emplit Mme Jane Dieulafoy d’un vésanique orgueil. Ah ! elle n’est pas difficile, l’exploratrice, et elle peut se vanter de joindre un fichu brin de plume à sa pioche d’archéologue ! Sans charrier, Ponson du Terrail m’apparaît un styliste exceptionnel auprès de cette authoress qui découvre, avec le même ravissement que si elle exhumait un autre palais antique, les larmes « qui coulent amères », les visages « chargés de soucis », la jeunesse et la gloire « qui sèchent comme l’herbe » : Parysatis, interrompant une scène de pelotage entre Darius et Laparcerie « effarouche tout un vol de baisers » ; la même, résolue à jouer de ruse avec Artaxerxès, décrète : « À la peau du serpent, il faut coudre celle du renard. » Mince de stoppage ! Et quant à cette autre peau d’Aspasie, incertaine, à l’entendre, si elle a « touché le fond de la douleur » elle est du moins sûre, compensation point moche, d’avoir « atteint la cime de la félicité ». Oh ! la, la ! Oùs qu’est mon alpenstock ?
Et cette prose, putride comme celle d’Hanry Ner, est piquée de vers tels que le plus vétuste roquefort lui-même s’en détournerait, pris de nausées. Pigez ce chœur de gonzesses expectantes, qu’on croirait torché par Son Insolence Perilhou-le-Baveux :
Depuis trois mois déjà notre vaillante armée
(À la victoire accoutumée),
Fière de prendre son essor,
A quitté Suse aux portes d’or…
Nous attendons toujours près des hautes murailles
Nos valeureux guerriers qu’enivrent les batailles.
Le même lyrisme purotin s’exalte dans les strophes où des chasseurs célèbrent Darius parce que cet éphèbe, qui n’aime pas rester inactif, a profité de l’entrée du corps de ballet pour aller tuer un léopard. Pan ! une flèche dans l’œil !…
Le monstre bondit, rugissant :
C’était du feu, c’était du sang
Qui jaillissaient de ses prunelles.
Mais alors deux flèches nouvelles
Volèrent, et le léopard
Tomba percé de part en part.
Nom d’un pétard ! nom d’un pétard !
Ce fut, d’ailleurs, la seule joie de la pièce, ce léopard ; une carpette de 5 fr. 95 au dos d’un canasson étique représentait la dépouille de ce fauve de façon cocassement piteuse, et j’éprouvai un instant, à contempler cette descente de lit pour meublés à vingt sous la passe, la même allégresse que j’avais connue, l’an passé, quand le salé, qui représentait le vautour prométhéen s’était écrié, suintant d’angoisse : « Mamin, pipi ! »
Cette figuration, nombreuse, décharde et ridicule : ces cavaliers, ces mages, ces satrapes, ces immortels (j’en ai compté plus de quarante), ces captifs, ces piqueurs, avec leurs coiffures en forme de tourtes — symbolisme ingénu —, avec leurs robes d’indienne et leurs sarraus blancs qui laissaient passer des pantalons effrangés et des godillots pas cirés, tout ça, c’était sale, et ça tenait de la place ; aggravé de bassets qui jouaient faux et d’instrumentistes qui aboyaient, ça faisait un boucan pas ordinaire.
Entre nous, Aspasie Laparcerichepin, fût-elle sans voiles, m’exciterait plus que le général André, fût-il en grande tenue ; elle sait accrocher ses bras purs, le plus câlinement du monde, au cou d’Odette de Fehl, encore qu’un jobard du Monde musical ait constaté chez elle un manque de sincérité dans la passion, ajoutant, poire bénie : « La passion ne peut être sincère quand on travestit le sexe de l’amant… » (Hein, Claudine, quelle hé-Rézi !) En tous cas, je la gobe quand elle soulève les rideaux de sa litière parmi les glissandos des harpes (qui, sans pédales, ô Lyon, m’eussent plu davantage), cependant qu’une flûte enroule des spirales d’extase (mode hypophrygien).
L’entrée de Parysatis n’est pas de la moucherie de pauvre, surtout quand le rythme solennel des cymbales vient la scander lentement (mode hypodorien).
Quant au machin dit « Le Rossignol et la Rose », je me relèverai la nuit pour en rire. Comme musique, c’est des gargouillades plutôt coco, mais quel ruissellement de poésie ! Allumez… le rossignol sopranise : « Ah !… ah !… ah !… » Alors le chœur y répond : « Ha !… Ha !… Ha !… » N’est-ce pas, on en mangerait sur du pain ! (mode hypolydien).
Mon meilleur souvenir musical c’est une énorme choriste, rouge comme une nuit de noce, moustachue comme van Waefelghem, massive et carrée comme une tour de la cathédrale Saint-Nazaire (mode hippopotame).
Telles sont les réflexions dignes, justes, équitables et salutaires que m’inspire Parysatis, collection de réminis (saint) saëns… En voilà un musico qui se connaît soi-même !… Sans être aussi crevant que les compositions au chloral du sommifère Georges Hüe, son machin persan ne m’emballe pas. C’est bien fait, c’est froid, c’est lisse ; on dirait le derrière de la Rose-Chou.
La petite fête se termina par le spectacle de trois messieurs, apparus sur la scène aux acclamations d’un peuple en délire, et qui, effrontément, s’embrassèrent : ces trois fantaisistes, c’étaient M. Castelbon de Beauxhôtes, Saint-Saëns et… Mme Dieulafoy. Ben, mon cochon !
Après le dîner, j’ai rencontré Pierre Lalo qui, camaro de Durand, l’éditeur à Saint-Saëns, inclinait vers l’indulgence : « En somme, vaselinait-il, ça vaut mieux que d’aller au… » — J’ai répondu fermement : « Je ne trouve pas ! » — et je suis retourné chez la comtesse, dans l’immeuble riant qu’elle sut aménager avec le confort moderne (Eau et garces à tous les étages).
C’est à cette débauche supplémentaire que vous devez une lettre pour laquelle je vais cracher au moins vingt et un sous de port : mes reins, un peu affaiblis, eussent malaisément supporté la trépidation de l’express et j’ai retardé mon départ de vingt-quatre heures ; alors, gagné par cette furie de meurtre qui détermina le fâcheux Artaxerxès à tuer son frère, puis son fils, j’ai voulu tuer le temps : de là cette relation — longuette.
Je baise, Claudine, vos mains que je devine expertes. Dites à Renaud qu’il vous continue ses sages conseils, sans lesquels vous bafouilleriez incontestablement dans le choix de vos amies. Balancez-vous entre le désir des brunes sveltesses d’Annie, ou le souvenir de Rézi, viennoise potelée ? À votre place je n’hésiterais pas… C’est la grasse que je vous souhaite !
HENRY MAUGIS.
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