Les repas, ici, me sont un supplice. Nous avons le choix entre deux restaurants, qui tous les deux dépendent du casino ; car les hôtels ne servent point de repas, et cette ville d’eaux, qui n’a de ville que le nom, se compose du casino, de l’établissement thermal, et de quatre grands hôtels. Ces réfectoires où l’on se rend comme des pensionnaires, ou des prisonniers, où l’on grille à midi sous le rude soleil montagnard, suffisent à me couper l’appétit. J’ai songé à me faire servir dans ma chambre, mais on m’apportera la desserte tiède, et puis, ce ne serait pas gentil pour Marthe, à qui les repas sont des prétextes à potiner et à fouiner… Je parle déjà comme elle !
Calliope s’assied à la même table que nous, et Maugis aussi, que je supporte mal. Marthe s’occupe de lui, paraît s’intéresser à ses articles de critique, quémande, autoritaire, un article sur Un drame du cœur, le dernier roman de mon beau-frère, pour fouetter la vente et encourager les villes d’eaux…
Léon dévore les viandes coriaces avec un appétit d’homme anémié et ne lâche pas Calliope, qui persiste à le renvoyer à ses soixante lignes, méprisante comme une fille de roi pour un scribe à gages. Drôle de petite femme ! Je l’avoue ; c’est moi qui la recherche maintenant. Elle se raconte avec une volubilité embarrassée, pêchant dans une langue étrangère le mot qui lui fait défaut dans la nôtre, et j’écoute comme un conte de fées le récit cahoté de sa vie.
C’est surtout pendant la douche de Marthe, à l’heure déserte, que je m’oublie à l’entendre. Je m’assieds en face d’elle dans un grand fauteuil d’osier, derrière la laiterie, et j’admire, pendant qu’elle parle, sa beauté parée et en désordre.
— Quand j’étais petite, dit Calliope, j’étais très belle.
— Pourquoi : « j’étais » ?
— Because je suis moins. La vieille qui lavait le linge me crachait toujours dans la figure.
— Oh ! la dégoûtante ! Vos parents ne l’ont pas mise à la porte ?
Le beau regard bleu de Calliope me couvre de dédain :
— À la porte ? Chez nous, il faut les vieilles cracher sur les jolies petites, en disant « Phtu ! phtu ! » : c’est pour conserver belles et garder contre mauvais œil. Je suis conservée kallista aussi, pourquoi ma mère, le jour du baptême, a fait mettre repas sur table, la nuit.
— Ah ?
— Oui. On pose sur la table beaucoup de choses pour manger, et on se couche. Alors, les mires vient.
— Qui ?
— Les mires. On les voit pas, mais elles arrivent pour manger. Et on range chaque chair, chiesa, comment vous dites ? chaise, bien contre mur, parce que si une des mires cognait son coude en passant pour sit à table, elle donnerait… mauvais sort sur petit enfant.
— Que c’est joli, ces vieux usages ! Les mires, comme vous dites, ce sont des fées ?
— Fées ? je sais pas. C’est des mires… Ha ! j’ai mal à ma tête.
— Voulez-vous un peu d’antipyrine ? j’en ai dans ma chambre.
Calliope passe sur son front poli une main aux doigts teints de rose :
— Non, merci. C’est ma faute. J’ai pas fait les croix.
— Quelles croix ?
— Comme ça, sur l’oreiller.
Elle dessine sur son genou une série de petites croix rapides, avec le tranchant de la main.
— Vous faites les pétits croix, et vite, vite, vous couchez la tête sur l’endroit, et les mauvais visiteurs ne vient pas dans le sommeil, ni head-ache, ni rien.
— Vous êtes sûre ?
Calliope hausse les épaules et se lève :
— Si, je suis sûre. Mais vous, c’est un peuple sans réligion.
— Où courez-vous, Calliope ?
— C’est devtera… lundi. Il faut faire mes ongles. Voilà encore que vous ne savez pas ! Lundi, faire les ongles : santé. Mardi, faire les ongles : fortune.
— Et vous préférez la santé à la fortune ? Comme je vous comprends !
Déjà en marche, elle se retourne, tenant à brassées ses dentelles éparses.
— Je préfère pas… lundi je fais une main, et mardi l’autre.
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