Les Rustres
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SIXIÈME SCÈNE

Carlo Goldoni

SIXIÈME SCÈNE


(Une autre pièce. MARGARITA et MARINA)

MARINA
Allons, faites venir Lucietta et instruisons-la un tantinet de ce mariage. Donnonslui cette joie, pauvre petite, et voyons de quelle manière elle la recevra.

MARGARITA
Croyez-moi, Madame Marina, elle ne la mérite pas.

MARINA
Pourquoi donc?

MARGARITA
Parce que c'est une friponne ! J'essaie par tous les moyens de lui être agréable, et ma foi de ma foi, elle n'a, à mon égard, que dédain, rebuffades et ingratitude.

MARINA
Ma mie, il faut pardonner à la jeunesse.

MARGARITA
La prenez-vous pour une enfant?

MARINA
Quel âge a-t-elle donc?

MARGARITA
Elle a bien dix-huit ans révolus.

MARINA
Pas possible !

MARGARITA
Si fait ! aussi vrai que je suis ici !

MARINA
Mon neveu vient d'en avoir vingt.

MARGARITA
Quant à l'âge, ils sont tout à fait accordés.

MARINA
Ajoutons que c'est un excellent garçon.

MARGARITA
S'il faut être juste, Lucietta, non plus, n'est pas une mauvaise fille, encore qu'elle soir bien lunatique. Parfois, elle m'étouffe de caresses, d'autres fois elle me fait enrager à tout propos.

MARINA
C'est l'âge, ma mie. Il me souvient comme si c'était hier que je me conduisais de la sorte avec Madame ma mère.

MARGARITA
Ne voyez-vous pas la différence? Une mère peut tout supporter, mais Lucietta ne m'est rien !

MARINA
C'est la fille de votre mari.

MARGARITA
C'est lui qui m'ôte toute envie de prendre souci d'elle ! quand je l'écoute, il crie ! si je ne l'écoute pas, il grogne… Tout de bon ! je ne sais plus comment me gouverner.

MARINA
Faites je vous prie votre possible pour conclure l'affaire.

MARGARITA
Plût aux dieux que cela se fît demain !

MARINA
Ne sommes-nous pas arrivés au contrat?

MARGARITA
Peut-on compter sur ce genre d'hommes? Ils changent d'idée d'un instant à l'autre.

MARINA
Pourtant, je parierais que ce mariage se fera aujourd'hui.

MARGARITA
Aujourd'hui? La raison s'il vous plaît?

MARINA
Je sais que Monsieur Lunardo a prié à dîner mon beau-frère Maurizio. Il n'a point coutume d'inviter les gens, et vous verrez que j'ai raison.

MARGARITA
Cela peut être, mais il me semble impossible qu'il n'en parle pas à la petite.

MARINA
Ne savez-vous pas de quelle humeur sont ces gens-là? Ils sont capables de le lui dire l'affaire une fois conclue : topez-là, s'il vous plaît, et bonsoir la compagnie !

MARGARITA
Et si Lucietta refusait?

MARINA
C'est pour cette raison, disais-je, qu'il vaut mieux l'avertir.

MARGARITA
Faut-il l'aller chercher?

MARINA
Si cela vous semblait bon, je serais de cet avis.

MARGARITA
Ma bonne, je me remets à vous.

MARINA
Oh ! chère Madame Margarita, pour la prudence, vous n'avez pas votre pareille.

MARGARITA
J'y vais et reviens aussitôt.
(Elle sort.)

MARINA
Pauvre petite ! L'exposer à recevoir une douche de la sorte ! C'est une marâtre que cette femme-là, et elle n'a pas un grain de plomb dans la cervelle.


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