(LUNARDO et les précédentes.)
(LUNARDO entre et s'approche tout doucement sans rien dire.)
MARGARITA(en se levant.)
Le voici !
LUCIETTA(à part Il entre à pas de loup. Elle se lève.)
Monsieur mon père, votre servante.
MARGARITA(à LUNARDO.)
Votre Seigneurie. Eh bien, ne saluons-nous pas?
LUNARDO
Continuez… continuez. Pour me dire bonjour, faut-il cesser de travailler?
LUCIETTA
J'ai travaillé jusqu'à ce moment et je termine mon bas sur l'heure.
MARGARITA
Vous allez voir, ma foi de ma foi ! que nous sommes à la journée !
LUNARDO
Vous, venons-en donc au fait, vous me répondez toujours sur un ton !
LUCIETTA
Allons, Monsieur mon père, ne grondez pas les derniers jours de carnaval ! Que nous n'allions nulle part, souffrons-le puisqu'il le faut; du moins, vivons en repos !
MARGARITA
Oh ! il lui est impossible de passer une journée sans gronder.
LUNARDO
Écoutez-moi ces balivernes ! Que suis-je donc : un tartare? une bête fauve? De quoi vous plaignez-vous? Moi aussi, quand ils sont honnêtes, j'aime les divertissements.
LUCIETTA
Alors, pourquoi ne pas nous mener un tantinet en masque?
LUNARDO
En masque? En masque?
MARGARITA(à part )
Le voilà qui peste déjà !
LUNARDO
Et vous avez le front de me prier de vous mener en masque? M'avez-vous jamais vu, venons-en donc au fait, avec un visage sur le museau ! Que signifie cette histoire de masque?
La raison d'aller en masque, s'il vous plaît? Ne m'en faites pas dire davantage : les filles n'ont pas à aller en masque, voilà tout !
MARGARITA
Et les femmes?
LUNARDO
Les femmes non plus, Madame, les femmes non plus.
MARGARITA
Et pourquoi donc, ma foi de ma foi ! les autres y vont-elles?
LUNARDO(se moque de son interjection.)
Ma foi de ma foi ! ma foi de ma foi ! C'est de ma famille que je me soucie et peu me chaut de celle d'autrui.
MARGARITA(l'imite.)
Parce que, venons-en donc au fait, parce que vous n'êtes qu'un ours.
LUNARDO
Madame Margarita, un peu de jugeote, s'il vous plaît !
MARGARITA
Monsieur Lunardo, ne venez pas me pousser à bout !
LUCIETTA
Allons ! la peste soit de vous ! Il en est toujours ainsi. Peu m'importe d'aller en masque, et je veux bien rester à la maison, pourvu que nous vivions en repos.
LUNARDO
Entends-tu?… Venons… entends-tu? C'est elle qui, sans cesse…
(MARGARITA rit.)
LUNARDO(à MARGARITA.)
Vous riez, Madame?
MARGARITA
Cela vous déplaît-il que je rie?
LUNARDO
Il suffit ! Venez ça toutes deux. Il m'arrive de me buter et je suis fastidieux, j'en, conviens. Mais aujourd'hui, écoutez ! Je me sens tout aise et tout dispos, et puisque nous sommes en carnaval, je veux passer avec vous une bonne journée.
LUCIETTA
Plût au Ciel !
MARGARITA
Eh bien ! Écoutons !
LUNARDO
Voilà ! Je vais vous faire dîner en compagnie.
LUCIETTA
Où cela, où cela, Monsieur mon père?
LUNARDO
Céans.
LUCIETTA(mélancolique.)
Céans?
LUNARDO
Oui, Mademoiselle, céans. Où voudrais-tu que nous allions? Au restaurant?
LUCIETTA
Non Monsieur… (A part.)
mais oui au restaurant.
LUNARDO
Moi, je ne vais jamais chez personne; je ne vais jamais, venons-en donc au fait, vivre aux crochets d'autrui.
MARGARITA
Or ça ! en voilà assez ! Parlez franc, ma foi de ma foi ! avez-vous prié quelqu'un?
LUNARDO
Oui, madame. J'ai prié quelques personnes que j'attends. Une compagnie des plus agréables et nous allons nous divertir tout notre content.
MARGARITA
Qui sont ces gens que vous avez priés?
LUNARDO
De fort honnêtes gens. Il y en a deux qui sont mariés et qui amèneront leurs épouses. Nous allons bien nous amuser.
LUCIETTA(gaiement.)
Pour sûr ! et cela va fort bien ! (A LUNARDO.)
Mon cher papa, de qui s'agit-il donc?
LUNARDO
Madame la curieuse !
MARGARITA
Mais, mon cher mari, ne faut-il pas que nous sachions qui va venir dîner ici?
LUNARDO
Voulez-vous que je vous le dise? Or donc, c'est M. Canciano de la Truffe, M. Maurizio du Jonc et M. Simon des Béquilles.
MARGARITA
Ah ! certes ! aucun des trois ne gâte l'ensemble et vous les aurez choisis exprès, j'imagine?
LUNARDO
Que serait-ce à dire? Ne sont-ce pas là des gens comme il faut?
MARGARITA
Pour sûr ! Trois sauvages de votre espèce !
LUNARDO
Eh ! Madame ! de nos jours, venons-en donc au fait, on traite facilement de sauvage un homme qui a son bon sens. Savez-vous la raison? Parce que vous autres femmes vous êtes entichées de monde et de société, il vous faut du fracas, des banquets, des atours, des baladins, toutes sortes de sornettes de ce genre ; votre maison vous fait l'effet d'une prison ; pour que vos robes soient jolies, il faut qu'elles coûtent très cher; quand vous n'allez pas en visite, vous tombez dans la mélancolie. Vous n'avez pas un brin de jugeote et vous prêtez sans cesse l'oreille à ceux qui vous nattent. Ce que l'on raconte de tant de maisons, de tant de familles à jamais ruinées vous importune. Vos maris vous emboîtent-ils le pas? ils sont sur toutes les bouches, ils défrayent la chronique; mais celui qui veut vivre chez soi, dans la dignité, dans la gravité, en veillant sur sa réputation, toutes choses que vous considérez, venez-en donc au fait, assommantes, c'est un rustre, c'est un sauvage… Est-ce là bien parler? Et cela n'est-il pas vrai?
MARGARITA
Je ne disputerai pas et ce sera comme vous l'entendez ! Mme Félice et Mme Marina viendront-elles donc dîner aussi?
LUNARDO
Oui, Madame. Moi aussi, voyez ! j'aime la compagnie. Mais tous avec leur légitime épouse. Ainsi, pas d'incongruités… pas de… venons-en donc au fait ! (A LUCIETTA.)
Qu'est-ce que vous écoutez? Ce n'est pas à vous que je parle, à présent.
LUCIETTA(à LUNARDO.)
Y aurait-il des choses que je ne puis entendre !
LUNARDO(bas à MARGARITA.)
Il me tarde de me débarrasser d'elle !
MARGARITA(bas à LUNARDO.)
Où en est notre affaire?
LUNARDO(bas à MARGARITA.)
Je vous raconterai. (A LUCIETTA.)
Allez-vous-en d'ici !
LUCIETTA
Que fais-je de mal?
LUNARDO
Allez-vous-en!
LUCIETTA
Mordienne ! Il est mauvais comme la gale!
LUNARDO
Allez-vous-en, sinon vous allez recevoir un soufflet en plein museau.
LUCIETTA
Vous l'entendez, Madame ma mère?
MARGARITA(avec autorité.)
Allons ! Quand on vous dit de vous retirer, obéissez !
LUCIETTA
Oh ! si c'était ma mère pour de bon ! Patientons ! mais si je tombais sur un balayeur, ma parole, je le prendrais. (Elle sort.)
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