(La chambre de LUNARDO.)
LUNARDO CANCIANO et SIMON
LUNARDO
C'est de mon honneur qu'il s'agit; c'est, venons-en donc au fait, de la réputation de ma maison qu'il s'agit ! Un homme de ma qualité ! Que va-t-on dire de moi? Que va-t-on dire de Lunardo?
SIMON
Tout doux, mon compère, vous n'y êtes pour rien. C'est la faute à ces maudites femmes. Il faut les châtier maintenant et tout le monde vous louera.
CANCIANO
Oui-da, il faut faire un exemple ! Rabattre le caquet à ces pimbêches qui dressent si haut la crête, et montrer aux maris la façon de les mater.
SIMON
Et que les gens nous traitent de rustre, tant qu'ils voudront !
CANCIANO
Et qu'ils disent tout leur saoul que nous sommes des sauvages !
LUNARDO
C'est ma femme, aussi, la cause de toute l'affaire !
SIMON
Punissez-la !
LUNARDO
Et ma friponne de fille lui emboîte le pas !
CANCIANO
Humiliez-la !
LUNARDO(à CANCIANO.)
Et votre femme s'empresse de suivre leurs traces…
CANCIANO
Je saurai la châtier.
LUNARDO(à SIMON.)
Mais la vôtre est tout à fait d'accord.
SIMON
La mienne aussi me le paiera.
LUNARDO
Voyons, mes chers amis, ouvrons-nous l'un à l'autre. Venons-en donc au fait, que faut-il faire de ces femmes-là? Pour ma fille, cela est aisé, j'y ai déjà songé et j'ai pris ma résolution. Ce mariage est rompu, et qu'on ne me parle plus jamais de noces ! Je la fais enfermer entre quatre murs et l'affaire est réglée. Mais nos femmes, quelle punition leur réserverons-nous? Votre opinion, là-dessus, je vous prie !
CANCIANO
A vrai dire, je vous avouerai que je suis un tantinet emberlificoté !
SIMON
Ah ! pouvoir les fourrer elles-mêmes dans un couvent, entre quatre bons murs, et s'en tirer ainsi !
LUNARDO
Tout beau ! Ferons-nous les frais de cette punition-là? Les nourrir, les vêtir avec quelque décence, même loin du monde, mais nous ne verrons jamais la fin des dépenses. Sans ajouter qu'elles auraient plus de divertissements et de liberté qu'en notre compagnie ! (A SIMON)
. N'est-ce pas là bien parler?
SIMON
A merveille ! Surtout, si nous songeons à nous deux qui ne leur laissons pas la bride sur le cou, comme le fait compère Canciano.
CANCIANO
Que vous dirai-je? Vous avez raison. Alors faut-il les garder chez soi, cadenassées dans une chambre, les conduire un petit peu à la promenade avec soi, et les enfermer derechef… Plus de société; plus de conversations…
SIMON
Enfermer des femmes? Sans parler à qui que ce soit? Voilà une épreuve qui les ferait crever en trois jours !
CANCIANO
Tant mieux !
LUNARDO
Oh ! oh ! Y a-t-il un homme qui se soucie d'être bourreau de femmes? Sans ajouter que les parents l'apprendront, qu'ils nous mèneront un train d'enfer, qu'ils révolutionneront le monde entier, vous obligeront à les tirer de là et, par-dessus le marché, qu'ils vous traiteront de chien, de croquant et de bête féroce !
SIMON
Alors, quand vous aurez, de gré ou de force, baissé pavillon, vous aurez beau tâcher de les reprendre en mains, vous ne serez même plus maître d'ouvrir la bouche à votre guise.
LUNARDO
Le meilleur ne serait-il pas, venons-en donc au fait, de nous munir d'une bonne trique?
SIMON
Si fait, en homme de bien, et que les gens bavardent à leur aise !
CANCIANO
Et si elles se révoltaient?
SIMON
On leur en ferait tâter…
CANCIANO
Je m'entends…
LUNARDO
Tudieu ! Nous serions dans de beaux draps.
SIMON
Enfin, vous ne l'ignorez pas, les maris qui battent leur femme n'en ont pas toujours raison pour cela. Mordienne ! ces harpies font exprès de les enrager et à moins de les assommer, il n'y a aucun remède.
LUNARDO
Les assommer, n'est-ce pas trop?
CANCIANO
Un peu car, enfin, tournez, retournez, mais des femmes, pouvez-vous vous en passer?
SIMON
Quelle aubaine ce serait d'avoir une femme douce, tranquille, soumise ! Quelle joie et quelle consolation !
LUNARDO
J'ai connu cela autrefois. Ma première femme, la pauvre, était douce comme un agneau. Mais celle-ci est une vipère.
CANCIANO
Et la mienne qui n'en veut faire qu'à sa tête !
SIMON
Et moi, j'ai beau crier, hurler, c'est le cadet de ses soucis !
LUNARDO
Oui, tout cela est fâcheux, encore que cela soit supportable. Mais, venons-en donc au fait, le tracas où je me trouve n'est-il pas des plus graves? Il faut pourtant que j'en sorte, mais de quelle façon, je vous prie?
SIMON
Renvoyez-la à ses parents.
LUNARDO
Pardi ! Mais cela me rendra fou plus vite !
CANCIANO
Eloignez-la. Envoyez-la à la campagne !
LUNARDO
Pis encore ! Elle devient étique avant quatre jours.
SIMON
Faites-la sermonner : trouvez quelqu'un qui lui enseigne ses devoirs.
LUNARDO
Peuh ! elle n'écoute personne.
CANCIANO
Cachez-lui ses robes, cachez-lui ses bijoux ! Rabaissez-lui le caquet, tenez-lui la dragée haute !
LUNARDO
Je l'ai fait, cela va de mal en pis.
SIMON
J'entends bien. Ecoutez-moi, compère !
LUNARDO
Je vous écoute.
SIMON
Eh bien ! Supportez-la telle qu'elle est !
CANCIANO
J'ai idée, moi aussi, qu'il n'y a pas d'autre remède !
LUNARDO
Certes et il y a longtemps que je suis arrivé à cela ! De l'humeur dont elle est, il n'y a plus de remède, je le vois, et je me suis promis cent fois de la souffrir patiemment. Mais ce qu'elle vient de me faire, non, par ma foi ! je ne le souffrirai point. Me perdre une fille de la sorte? Faire venir un amoureux céans? Il est vrai que je le lui destinais comme mari, mais venons-en donc au fait, que savait-elle de mes intentions? Ai-je donné quelques marques que je désirais la marier? Ne pouvais-je pas me raviser, par hasard? Et si nous ne nous étions pas mis d'accord? Le mariage ne pouvait-il pas traîner des mois et des années? Et la voilà qui introduit le garçon chez moi? En masque ! En cachette ! Qui intrigue pour qu'ils se voient ! Pour qu'ils s'entretiennent? Une fille à moi ! Une colombe dans toute son innocence ! J'éclate et je la veux châtier ! Je la vais humilier ! dussé-je, venons-en donc au fait, causer ma propre perte !
SIMON
Tout cela, à cause de Madame Félice.
LUNARDO(à CANCIANO.)
Oui-da ! A cause de votre folle!
CANCIANO
Vous avez bien raison. Mais elle me le paiera !
La pièce "L'Éventail" (Il Ventaglio), écrite par Carlo Goldoni en 1765, est une comédie en trois actes qui se déroule dans un village italien. Elle repose sur une intrigue légère...
La pièce "Arlequin, valet de deux maîtres" (Il servitore di due padroni), écrite par Carlo Goldoni en 1745, est une comédie en trois actes qui illustre parfaitement l'habileté de Goldoni...