(LES MÊMES, D'ESTRIGAUD, en veste do soie.)
D'ESTRIGAUD
Que faites-vous là, William ?
WILLIAM
Je venais prendre les ordres de M. le baron pour la voiture.
D'ESTRIGAUD
Quand j'aurai lu mes lettres. (William sort. — D'Estrigaud se met à table, et mange tout en décachetant ses lettres.)
Ce II est pas mon chocolat ordinaire, Quentin.
QUENTIN
Pardon, monsieur le baron.
D'ESTRIGAUD
Je vous dis que non. Ce coquin de Coutelard aura changé de fournisseur pour gagner dix sous. Je veux bien qu'il me vole, mais je ne veux pas qu'il liarde. Vous le lui direz. Emportez cette drogue-là.
QUENTIN
Monsieur le baron veut-il une aile de volaille ?
D'ESTRIGAUD
Euh !… non. Je n'ai pas faim. J'ai soupe au cercle. (Quentin sort en emportant le plateau et la petite table, qu'il range dans un coin. —D'Estrigaud, resté seul, ouvre une lettre. )
De mon agent de change. Tiens, je ne pensais plus à mes ordres d'hier au soir… Ils valent pourtant la peine qu'on y songe. — Eh bien, c'est aujourd'hui la baisse annoncée, demain la liquidation; dans huit jours, j'aurai réalisé mon bénéfice. Ma foi!… ce sera fort à propos. U y avait longtemps que ce petit drôle de Cantenac n'avait donné de renseignements à Navarette. Il manque à tous ses devoirs. Se croirait-il aimé pour lui-même, l'imbécile? Si jamais je me raccommode avec son patron, comme je le consignerai à la porte ! (ouvrant une autre lettre.)
Comtesse de Saint-Gilles… surnommée la bête du bon Dieu. (Lisant.)
"Cher baron, la marquise Galéotti m'a inspiré une folle envie de voir votre fameuse collection, et nous devons lui rendre visite aujourd'hui même." (n se lève.)
Que le diable emporte les bourgeoises et la bourgeoisie ! La belle Annette peut bien rester chez elle si elle ne veut venir que sous bonne escorte ! Je croyais pourtant l'avoir piquée au jeu… Mais sa prudence native a été la plus forte. (Lisant.)
"Nous avons tout simplement pris rendez-vous chez vous." Oh ! oh ! rendez-vous chez moi au lieu devenir ensemble? Voilà qui me paraît moins simple qu'à vous, bonne Saint-Gilles… (Lisant.)
"… Rendez-vous chez vous, la marquise ayant à faire, dans votre quartier, quelques visites qui l'empêchent de me venir chercher." Cette explication vous a suffi, ange de candeur? — Que peut donc manigancer la petite marquise sous l'égide de votre naïveté ? (Lisant.)
"Nous avions comploté de vous surprendre." Vous vous croyez du complot? (Lisant.)
"Mais j'ai peur que nous ne nous cassions le nez." Le vôtre serait à jamais regrettable, madame. (Lisant.)
"… Et je crois prudent de vous avertir que nous serons chez vous à trois heures précises." Très prudent, on ne peut pas plus prudent, et je vous remercie. Ou je ne sais plus déchiffrer une femme, ou le plan de la marquise est d'arriver seule cinq minutes avant la comtesse, en me disant : "Vous voyez, baron, qu'on n'a pas peur de vous." Ah ! rusée, vous voulez faire vos preuves de lionnerie sans rien risquer ! avoir la crânerie des grandes dames sans vous départir de votre prud'homie originelle ! Heureusement pour moi, vous n'avez pas osé mettre votre escorte dans votre confidence, et je vous tiens. (il se dirige vers la table de droite et écrit.)
"Chère Comtesse, je suis au désespoir; j'attends précisément à trois heures des personnes qui vous gêneraient beaucoup, et que vous ne me donnez pas le loisir de contremander. Ce sera donc partie remise, si vous le voulez bien. Je préviens la marquise par le même messager. Votre bien respectueusement dévoué, D'ESTRIGAUD." (il sonne; entre Quentin.)
Vous allez faire porter tout de suite cette lettre par William. A trois heures moins cinq minutes, il viendra une dame; vous l'introduirez et vous ne laisserez plus entrer personne sous aucun prétexte. Est-ce compris?
QUENTIN
Oui, monsieur le baron.
D'ESTRIGAUD
Quentin !
QUENTIN
Monsieur le baron ?
D'ESTRIGAUD
William me rapportera le cours de la Bourse.
QUENTIN
Oui, monsieur le baron, (il ouvre la porte aperçoit Lucien et annonce.)
M. de Chellebois.
(Il sort.)
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