(LES MÊMES, LUCIEN.)
LUCIEN
Tiens, Raoul ! bonjour, (A Annette.)
Comment, flâneuse ! Navarette est partie depuis une demi-heure et ta toilette n'est pas plus avancée ?
ANNETTE
Ne t'en prends qu'à ton ami. Mais je vais réparer le temps perdu. Au revoir, baron. (Bas, à d'Estrigaud.)
Entreprenez-le donc au sujet d'Aline.
(Elle sort par la gauche.)
D'ESTRIGAUD (à part; il s'assied sur le canapé de gauche.)
Elle viendra. (Haut.)
Eh bien, Saint-Preux, quoi de nouveau?
LUCIEN
Pourquoi Saint-Preux?
D'ESTRIGAUD
N'était-ce pas un jeune homme romanesque et épistolaire ?
LUCIEN
Eh bien?
D'ESTRIGAUD
Mon rêve a toujours été de te voir épouser une orpheline vertueuse et pauvre.
LUCIEN
A qui en as-tu ?
D'ESTRIGAUD
Les joies du foyer, mon ami ! le berceau près du lit! la mère, la jeune mère, qui nourrit son huitième enfant…
LUCIEN
Ah çà ! quelle mouche t'a piqué ?
D'ESTRIGAUD
Tu prendras un état, tu deviendras un homme sérieux et utile; tu aspireras aux honneurs municipaux, et tu ne mourras que décoré.
LUCIEN
Va-t'en au diable !
D'ESTRIGAUD
Pas de décorations ?… non ? Au fait, ta femme doit être démocrate comme son vertueux frère.
LUCIEN
Ah ! ah ! — Assez, mon bon. La mouche qui t'a piqué, c'est la mouche du coche. Je ne cours aucun des dangers auxquels tu m'arraches. Si jamais je me marie, ce sera pour faire une fin, et je ne me laisserai administrer… qu'à bonnes enseignes.
D'ESTRIGAUD
Alors pourquoi fais-tu la cour à la petite Aline?
LUCIEN
Un ragot de ma soeur !
D'ESTRIGAUD
Pas seulement de ta soeur. Le bruit court que tu te ranges.
LUCIEN
Je fermerai la bouche à la calomnie. Quant à mademoiselle Aline, je n'y pense pas plus qu'au grand Turc, et tu sais si ce potentat me préoccupe.
D'ESTRIGAUD
A la bonne heure. Mais permets-moi, pour clore, de te rappeler ce principe immortel : le sage ne doit écrire qu'à son bottier, et encore doit-il tâcher de rattraper sa lettre.
LUCIEN
Que veux-tu dire?
D'ESTRIGAUD
Rien. Je ne te demande pas tes confidences. Fais ton profit de mon précepte, voilà tout.
LUCIEN
Tu me crois plus jeune que je ne suis.
D'ESTRIGAUD
Tant mieux! J'ai rempli le premier devoir de l'amitié, qui est d'être désagréable à son ami; je laisse le reste aux dieux.
LUCIEN
Trouves-tu sérieusement que c'est le devoir de l'amitié ?
D'ESTRIGAUD
Très sérieusement, puisque je le remplis.
LUCIEN
C'est juste. Tu me tires d'une indécision où j'étais : j'ai quelque chose sur le coeur que je n'osais pas te dire…
D'ESTRIGAUD
Va! je suis prêt à tout.
LUCIEN
Eh bien, Navarette… te trompe.
D'ESTRIGAUD
Est-il possible?
LUCIEN
Avec ce petit drôle de Cantenac.
D'ESTRIGAUD
En es-tu bien sûr ?
LUCIEN
Si tu veux des preuves…
D'ESTRIGAUD
Merci, mon cher enfant. Ou je le sais, ou je l'ignore. Si je l'ignore, tu troubles inutilement ma douce quiétude; mais, si je le sais… regarde-toi dans la glace.
LUCIEN
Bah?
D'ESTRIGAUD
Apprends qu'un gentilhomme doit se laisser tromper par sa maîtresse aussi bien que par son intendant. Navarette fait partie de mon train, comme mes chevaux.
LUCIEN
Je comprends jusqu'à un certain point qu'on n'entrave pas la carrière de ces demoiselles ; mais Cantenac ne rapporte rien à celle-ci : il est l'amant de coeur.
D'ESTRIGAUD
Pardine ! je voudrais bien voir que ce maroufle se permît de payer mes gens !
LUCIEN
D'Estrigaud! tu es plus grand que nature!… Je ne serai jamais qu'un enfant à côté de toi.
D'ESTRIGAUD
J'ai de la peine à t'ouvrir les idées, mais je n'en désespère pas. Silence ! voici l'homme de Plutarque.
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