(NAVARETTE TENANCIER.)
TENANCIER
Excusez-moi, madame, de vous- importuner jusqu'ici ; j'avais-hâte de causer avec vous; on m'a dit,chez vous que je vous trouverais chez: le baron, et, malgré ma répugnance à me rencontrer avec lui…
NAVARETTE
Il est sorti, monsieur;
TENANCIER
C'est ce que j'ai su en bas et ce qui m'a tout à fait décidé à monter. Ma fille m'a raconté la scène d'hier, l'odieux guet-apens dans lequel on l'avait attirée, votre admirable conduite, madame…
NAVARETTE
Ce que j'ai fait, monsieur, toute- honnête femme l'eût fait à ma place, et j'ai la prétention d'être une honnête^ femme… N'est-ce pas notre seule réconciliation possible avec l'honneur, pauvres déclassées que nous sommes ?'
TENANCIER
Ma fille vous tient en haute estime, madame et je vois qu'elle a raison… Mais parmi les vertus viriles, il. en est une, permettez-moi de vous le dire, dont la pratique vous sera peut-être difficile… la discrétion; et vous comprenez quel tort ferait à ma fille la scène d'hier, racontée même à son avantage.
NAVARETTE
Oui ! j'entends d'ici les malignes condoléances auxquelles la marquise serait en butte. Quand par hasard une femme échappe à la calomnie après une aventure pareille, elle n'échappe pas à un peu de ridicule; car, si le monde n'a qu'une vengeance contre le vice, il en a plusieurs contre la vertu. Mais nous valons mieux que lui, nous autres… lorsque nous valons quelque chose; nous avons pour l'honnêteté vraie un respect qui ressemble à de la dévotion. Pour moi, quand je rencontre une mère de famille digne de ce nom, je suis toujours tentée de me signer, et c'est le sentiment que m'inspire madame la marquise Galéotli. Êtes-vous rassuré ?
TENANCIER
Complètement, et plus étonné encore.
NAVARETTE
De quoi? de trouver un peu de coeur chez une femme dans ma position ?
TENANCIER
Non, certes ! mais je suis un bon bourgeois plein de préjugés, et je ne m'attendais pas, je l'avoue, à une telle élévation de sentiments, à une intelligence si fine des choses de notre monde.
NAVARETTE (allant s'asseoir près de la table.)
C'est peut-être une comédie que je vous joue !… Vous n'en jureriez pas, convenez-en.
TENANCIER
Oh! madame! pouvez-vous croire?…
NAVARETTE (avec une amertume mélancolique.)
Hélas ! je n'aurais pas le droit de m'en plaindre ! Ne nous interdit-on pas, je ne dis pas même un retour, mais une aspiration au bien? Et quand vous avez vous-même entendu raconter quelque bonne action d'une de nous, ne vous êtes-vous pas demandé : "Qu'est-ce que ça lui peut donc rapporter ?"
TENANCIER
Mon Dieu, madame, je conviens qu'avant de vous connaître…
NAVARETTE
Ce que ça nous rapporte? Rien et tout… un peu de notre propre pardon!… Croyez à ma sincérité ou n'y croyez pas, peu m'importe! Ce n'est pas votre estime que je cherche, c'est la mienne.
TENANCIER
J'y crois, madame; j'y crois si bien, que je n'ose plus vous dire le but de ma démarche… sinon pour vous eu offrir mes très humbles excuses. Mais l'aveu de l'injure que je vous faisais en sera le châtiment. Je venais brutalement, stupidement, acheter votre silence…
NAVARETTE (se levant vivement.)
Est-ce la marquise qui vous envoyait ?
TENANCIER
Ah ! grand Dieu, non! elle a de vous une opinion… que je partage désormais.
NAVARETTE (souriant.)
Eh bien, payez-moi ma discrétion, je le veux bien… en me donnant une poignée de main comme à un brave garçon que je suis… Vous trouvez que c'est plus cher ?
TENANCIER (lui, serrant la main.)
Comme à un brave garçon… (La lui baisant.)
et comme à une brave femme !
NAVARETTE (à part.)
Il est à moi.
QUENTIN (annonçant.)
M. Lagarde !
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