La Contagion
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ACTE DEUXIEME - SCÈNE V

Emile Augier

ACTE DEUXIEME - SCÈNE V


(ANNETTE NAVARETTE, en toilette de ville élégante et sévère.)

ANNETTE (allant s'asseoir sur le canapé de gauche.)
Que vous êtes bonne, mademoiselle, d'avoir bien voulu vous rendre à mon désir !

NAVARETTE
Il est trop flatteur pour moi, madame la marquise.

ANNETTE (avec un entrain factice.)
Asseyez-vous donc. Voulez-vous ôter votre chapeau, voulez-vous une cigarette ?

NAVARETTE
Merci, madame, je ne fume pas.

ANNETTE (allumant une cigarette.)
C'est du tabac turc… vous permettez ? Que vous êtes donc charmante dans ce rôle de Médée !… Quelle désinvolture et en même temps quelle distinction !

NAVARETTE
Vous y serez beaucoup plus charmante que moi, madame, si tant est que cette épithète puisse m'être appliquée. C'est, je crois, chez la duchesse de Somo-Sierra qu'on joue la pièce?

ANNETTE
Oui, dans huit jours, et ce ne sera pas trop mal joué, si je parviens à être passable. C'est le vicomte de Bucy qui joue le dragon.

NAVARETTE
Il doit y être très amusant.

ANNETTE
Quel bon toqué, n'est-ce pas?

NAVARETTE
Il est très original et même un peu braque.

ANNETTE
Témoin l'abandon qu'il fait de sa jeune et charmante femme pour cette Valentine de Reuilly, qui n'est pas même jolie. Comprenez-vous cela?

NAVARETTE
Oui, madame… mais je me garderai bien de vous l'expliquer. Ne dit-on pas, d'ailleurs, que la vicomtesse se console avec M. Gaston de Valdebras?

ANNETTE
C'est un horrible cancan inventé par mademoiselle Angélina.

NAVARETTE
Oh ! Angélina n'est pas une personne inventive.

ANNETTE
La preuve que Valdebras ne l'a pas quittée pour la vicomtesse, c'est qu'il épouse ces jours-ci mademoiselle de Sainte-Radegonde.

NAVARETTE
La fille de l'ancien pair de France ?

ANNETTE
Précisément.

NAVARETTE
Mais alors ce mariage n'est pas trop catholique : M. de Sainte-Radegonde a fort compromis jadis madame de Valdebras.

ANNETTE
Vous le saviez? Mais il y a longtemps !

NAVARETTE
N'importe, il y a là quelque chose de choquant. M. Gaston va devoir respect et affection à un homme qui a déshonoré son père.

ANNETTE
Mais il n'en sait rien.

NAVARETTE
Sa mère, qui le sait, ne devrait pas permettre ce mariage.

ANNETTE (souriant.)
Elle est moins rigoriste que vous.

NAVARETTE
Elle devrait l'être davantage, vous en conviendrez. Mais nous voilà bien loin de Médée; nous faisons l'école buissonnière.

ANNETTE (se levant.)
Et nous ne sommes pas là pour nous amuser. Revenons par le plus court; voici la brochure : je vais, si vous le voulez bien, vous réciter le rôle.

UN DOMESTIQUE. (annonçant du fond.)
M. le baron d'Estrigaud.


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