Qui voudra voir comme un Dieu me surmonte




Qui voudra voir comme un Dieu me surmonte,
Comme il m’assaut, comme il se fait veinqueur,
Comme il renflame, & renglace mon cœur,
Comme il reçoit un honneur de ma honte:

Qui voudra voir une jeunesse pronte
A suivre en vain l’objet de son malheur,
Me viene voir: il verra ma douleur,
Et la rigueur de l’Archer qui me donte.

Il conoitra, combien la raison peut
Contre son arc, quand une fois il veut,
Que nôtre cœur son esclave demeure:

Et si verra, que je sui’ trop heureus
D’avoir au flanc l’eguillon amoureus
Plein du venin, dont il faut que je meure.



Nature ornant la dame qui devoit




Nature ornant la dame qui devoit
De sa douceur forcer les plus rebelles,
Lui fit present des beautés les plus belles
Que des mille ans en épargne elle avoit.

Tout ce qu’Amour avarement couvoit
De beau, de chaste, & d’honneur sous ses aeles,
Emmïélla les graces immortelles
De son bel œil, qui les dieus émouvoit.

Du ciel a peine elle étoit descendue,
Quand je la vi, quand mon ame éperdue
En devint folle, & d’un si poignant trait

Le fier destin l’engrava dans mon ame,
Que vif ne mort jamais d’une autre dame
Empraint au coeur je n’aurai le portrait.



Dans le serain de sa jumelle flame




Dans le serain de sa jumelle flame
Je vis Amour, qui son arc débandoit,
Et sus mon coeur le brandon épandoit,
Qui des plus frois les moüelles enflame.

Puis ça puis la pres les yeus de ma dame
Entre cent fleurs un ret d’or me tendoit,
Qui tout crespu blondement descendoit
A flos ondés pour enlasser mon ame.

Qu’eussaï-je, fait? l’Archer étoit si dous,
Si dous son feu, si dous l’or de ses nous,
Qu’en leurs filés, encore je m’oublie:

Mais cet oubli ne me tourmente point,
Tant doucement le dous Archer me point,
Le feu me brûle, et l’or crespe me lie.



Je ne suis point, ma Guerriere Cassandre




Je ne suis point, ma Guerriere Cassandre
Ne Myrmidon, ne Dolope soudart
Ne cet Archer dont l'homicide dart
Occit ton frere, & mit ta ville en cendre.

En ma faveur pour esclave te rendre
Un camp armé d'Aulide ne depart
Et tu ne vois au pié de ton rempart
Pour t'enlever mille barques descendre.

Mais bien je suis ce Corébe insensé,
Qui pour t'amour ai le cœur offensé,
Non de la main du Gregeois Penelée :

Mais de cent trais qu'un Archerot veinqueur;
Par une voie en mes yeus recelée,
Sans i penser me ficha dans le cœur.



Pareil j'égale au soleil que j'adore




Pareil j'égale au soleil que j'adore
L'autre soleil. Cestui là de ses yeus
Enlustre, enflame, enlumine les cieus,
Et cestui ci toute la terre honore.

L'art, la Nature, et les Astres encore,
Les Elemens, les Graces, et les Dieus
Ont prodigué le parfait de leur mieus,

Dans son beau jour qui le nôtre decore.

Heureus cent fois, heureus, si le destin
N'eût emmuré d'un Fort diamantin,
Si chaste cœur dessous si belle face:

Et plus heureus, si je n'eusse arraché
Mon coeur de moi, pour l'avoir attaché
De clous de feu sus le froid de sa glace.



Ces liens d'or, cette bouche vermeille




Ces liens d'or, cette bouche vermeille,
Pleine de lis, de roses, & d'oeuillets,
Et ces couraus chastement vermeillets,
Et cette joüe à l'Aurore pareille :

Ces mains, ce col, ce front, & cette oreille,
Et de ce sein les boutons verdelets,
Et de ces yeus les astres jumelets,
Qui font trembler les ames de merveille :

Firent nicher Amour dedans mon sein,
Qui gros de germe avoit le ventre plein
D'oeufs non formés & de glaires nouvelles.

Et lui couvant (qui de mon coeur joüit
Neuf mois entiers) en un jour m'ecloüit
Mille Amoureaus chargés de traits & d'ales.



Bien qu'à grand tort il te plaist d'allumer




Bien qu'à grand tort il te plaist d'allumer
Dedans mon coeur, siege à ta seigneurie,
Non d'un amour, ainçoi d'une Furie
Le feu cruel pour mes ôs consumer,

L'aspre tourment ne m'est point si amer,
Qu'il ne me plaise et si n'ai pas envie
De me douloir : car je n'aime ma vie
Si non d'autant qu'il te plaist de l'aimer.

Mais si les cieus m'ont fait naistre, Madame
Pour estre tien, ne genne plus mon ame,
Mais pren en gré ma ferme loiauté.

Vaut il pas mieus en tirer du service,
Que par l'horreur d'un cruel sacrifice,
L'occire aux piés de ta fiere beauté ?



Lors que mon œil pour t’œillader s’amuse




Lors que mon œil pour t’œillader s’amuse,
Le tien habile à ses traits decocher,
Estrangement m’empierre en un rocher,
Comme au regard d’une horrible Meduse.

Moy donc rocher, si dextrement je n’use
L’outil des Seurs pour ta gloire ebaucher,
Qu’un seul Tuscan est digne de toucher,
Non le changé, mais le changeur accuse.

Las, qu’ai-je dit ? Dans un roc emmuré,
En te blâmant je ne suis asseuré,
Tant j’ai grand peur des flames de ton ire,

Et que mon chef par le feu de tes yeus
Soit diffamé, comme les monts d’Epire,
Sont diffamés par les flammes des cieus.



Le plus toffu d'un solitaire bois




Le plus toffu d'un solitaire bois,
Le plus aigu d'une roche sauvage,
Le plus desert d'un séparé rivage,
Et la fraieur des antres les plus cois:

Soulagent tant les soupirs de ma vois,
Qu'au seul écart de leur secret ombrage,
Je sens garir une amoureuse rage,
Qui me rafole au plus verd de mes mois.

La, renversé dessus leur face dure,
Hors de mon sein je tire une peinture,
De tous mes maus le seul allegement.

Dont les beautés par Denisot encloses,
Me font sentir mille metamorfoses
Tout en un coup, d'un regard seulement.



Je pai mon cœur d'une telle ambroisie




Je pai mon cœur d'une telle ambroisie,
Que je ne suis a bon droit envieus
De cette là qui le Pere des dieus
Chés l'Ocean, friande, rassasie.

Celle qui tient ma liberté saisie,
Voire mon cœur dans le jour de ses yeus,
Nourrit ma faim d'un fruit si precieus,
Qu'autre apareil ne paist ma fantaisie.

De l'avaler je ne me puis lasser,
Tant le plaisir d'un variant penser
Mon apetit nuit & jour fait renaistre.

Et si le fiel n'amoderoit un peu
Le dous du miel duquel je suis repeu,
Entre les dieus, dieu je ne voudrois estre.



Amour, Amour, donne moi pais ou tréve




Amour, Amour, donne moi pais ou tréve,
Ou bien retire, & d'un garot plus fort
Tranche ma vie, & m'avance la mort,
Me bienheurant d'une langueur plus bréve.

Soit que le jour, ou se couche, ou se léve,
Je sen toujours un penser qui me mord,
Et contumax au cours de son effort,
De pis en pis mes angoisses rengréve.

Que doibs je faire ? Amour me fait errer
Si hautement, que je n'ose esperer
De mon salut que la desesperance.

Puis qu'Amour donc ne me veut secourir,
Pour me defendre, il me plaist de mourir,
Et par la mort trouver ma delivrance.



J'espere et crain, je me tais et suplie




J'espere & crain, je me tais & suplie,
Or' je suis glace, & ores un feu chaut,
J'admire tout, & de rien ne me chaut,
Je me delace, & puis je me relie.

Rien ne me plaist sinon ce qui m'ennuie :
Je suis vaillant, & le cœur me defaut,
J'ai l'espoir bas, j'ai le courage haut,
Je doute Amour, & si je le deffie.

Plus je me pique, & plus je suis retif,
J'aime estre libre, & veus estre captif,
Cent fois je meur, cent fois je pren naissance.

Un Promethée en passions je suis,
Et pour aimer perdant toute puissance,
Ne pouvant rien je fai ce que je puis.



Pour estre en vain tes beaux soleils aimant




Pour estre en vain tes beaux soleils aimant,
Non pour ravir leur divine etincelle,
Contre le roc de ta rigueur cruelle
Amour m’atache a mille clous d’aimant.

En lieu d’un Aigle, un soin horriblement
Claquant du bec, & siflant de son aele,
Ronge goulu ma poitrine immortelle,
Par un desir qui naist journellement.

Mais de cent maus, & de cent que j’endure,
Fiché, cloüé, dessus ta rigueur dure:
Le plus cruel me seroit le plus dous,

Si j’esperois apres un long espace,
Venir vers moi l’Hercule de ta grace,
Pour delacer le moindre de mes nous.



Je vi tes yeus desous telle planette




Je vi tes yeus desous telle planette,
Qu’autre plaisir ne me peut contenter,
Sinon le jour, sinon la nuit, chanter,
Allege moi douce plaisant’ brunette.

O liberté combien je te regrette!
Combien le jour que je vis t’absenter,
Pour me laisser sans espoir tourmenter
En ceste genne, ou si mal on me traite!

L’an est passé, le vintuniesme jour
Du mois d’Avril, que je vins au sejour
De la prison, ou les Amours me pleurent:

Et si ne voi (tant les liens sont fors)
Un seul moïen pour me tirer dehors,
Si par la mort toutes mes mors ne meurent.



Hé qu’a bon droit les Charites d’Homere




Hé qu’a bon droit les Charites d’Homere
Un fait soudain comparent au penser,
Qui parmi l’aer sauroit bien devancer
Le Chevalier qui tua la Chimere.

Si tôt que lui une nef passagere
De mer en mer ne pourroit s’élancer,
Ni par les chams ne le sauroit lasser,
Du faus & vrai la pronte messagere.

Le vent Borée ignorant le repos,
Conceut le mien, qui vite & qui dispos,
Et dans le ciel, & par la mer encore,

Et sur les chams, fait aelé belliqueur,
Comme un Zethes, s’envole apres mon coeur,
Qu’une Harpie humainement devore.



Je veus darder par l'univers ma peine




Je veus darder par l'univers ma peine,
Plus tôt qu'un trait ne vole au descocher:
Je veus de mïel mes oreilles boucher,
Pour n'ouir plus la vois de ma sereine.
Je veus muer mes deus yeus en fontaine,
Mon cœur en feu, mateste en un rocher,
Mes piés en tronc, pour jamais n'aprocher
De sa beauté si fierement humaine.
Je veus changer mes pensers en oiseaus,
Mes dous soupirs en zéphyres nouveaus,
Qui par le monde evanteront ma pleinte.
Et veus encor' de ma palle couleur,
Aus bors du Loir enfanter une fleur,
Qui de mon nom & de mon mal soit peinte.



Par un destin dedans mon cœur demeure




Par un destin dedans mon cœur demeure,
L’œil, & la main, & le crin délié,
Qui m’ont si fort, brulé, serré, lié
Qu’ars, prins, lassé, par eus faut que je meure :

Le feu, la serre, & le ret à toute heure,

Ardant, pressant, noüant mon amitié,
Occise aux piés de ma fière moitié
Font par sa mort ma vie estre meilleure.

Œil, main, & crin, qui flamés, & gennés,
Et r’enlassés mon cœur, que vous tenés
Au labyrint de vostre crespe voïe.

Hé que ne suis je Ovide bien disant !
Œil tu serois un bel Astre luisant,
Main un beau lis, crin un beau ret de soie.



Un chaste feu que les coeurs illumine




Un chaste feu que les coeurs illumine,
Un or frisé de meint crespe anelet,
Un front de rose, un teint damoiselet,
Un ris qui l'ame aus astres achemine :

Une vertu de telles traces digne,
Un col de neige, une gorge de lait,
Un coeur jà meur dans un sein verdelet,
En dame humaine une beauté divine :

Un oeil puissant de faire jours les nuits,
Une main forte à piller les ennuis,
Qui tient ma vie en ses dois enfermée :

Avec un chant offensé doucement,
Ores d'un ris, or d'un gemissement :
De tels sorciers ma raison fut charmée.



Avant le tans tes temples fleuriront




Avant le tans tes temples fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant ton soir se clorra ta journée,
Trahis d'espoir tes pensers periront.
Sans me flechir tes écris flétriront,
En ton desastre ira ma destinée,
Ta mort sera pour m'amour terminée,
De tes soupirs tes neveus se riront.
Tu seras fait d'un vulgaire la fable,
Tu batiras sur l'incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieus:
Ainsi disoit la Nymphe qui m'afolle,
Lors que le ciel pour séeller sa parolle
D'un dextre ésclair fut presage à mes yeus.



Je voudroi bien richement jaunissant




Je voudroi bien richement jaunissant
En pluïe d’or goute à goute descendre
Dans le beau sein de ma belle Cassandre,
Lors qu’en ses yeus le somme va glissant.

Je voudroi bien en toreau blandissant
Me transformer pour finement la prendre,
Quand elle va par l’herbe la plus tendre
Seule a l’escart mile fleurs ravissant.

Je voudroi bien affin d’aiser ma peine
Estre un Narcisse, & elle une fontaine
Pour m’i plonger une nuit à sejour :

Et voudroi bien que cette nuit encore
Durât tousjours sans que jamais l’Aurore
D’un front nouveau nous r’allumât le jour.



Qu’Amour mon cœur, qu’Amour mon âme sonde




Qu’Amour mon cœur, qu’Amour mon ame sonde,
Luy qui conoit ma seule intention,
Il trouvera que toute passion
Veuve d’espoir, par mes veines abonde.

Mon Dieu que j’aime ! est il possible au monde
De voir un cœur si plein d’affection,
Pour le parfait d’une perfection,
Qui m’est dans l’ame en plaie si profonde ?

Le cheval noir qui ma Roine conduit
Par le sentier où ma Chair la seduit,
A tant erré d’une vaine traverse,

Que j’ai grand peur, (si le blanc ne contraint
Sa course vague, & ses pas ne refraint
Dessous le jou), que ma Roine ne verse.



Cent & cent fois penser un penser mesme




Cent & cent fois penser un penser mesme,
A deus beaus yeus montrer à nu son coeur,
Se dessoiver d'une amere liqueur,
S'aviander d'une amertume estréme :

Avoir la face amoureusement bléme,
Plus soupirer, moins flechir la rigueur,
Mourir d'ennui, receler sa langueur,
Du vueil d'autrui des lois faire à soi-mesme :

Un court despit, une aimantine foi,
Aimer trop mieus son ennemi que soi,
Peindre en ses yeus mile vaines figures :

Vouloir parler & n'oser respirer,
Esperer tout & se desesperer,
Sont de ma mort les plus certains augures.



Ce beau coral, ce marbre qui soupire




Ce beau coral, ce marbre qui soupire,
Et cet ébéne ornement d’un sourci,
Et cet albâtre en voute racourci,
Et ces zaphirs, ce jaspe, & ce porphyre.

Ces diamants, ces rubis, qu’un zéphyr
Tient animés d’un soupir adouci,
Et ces oeillets, & ces roses aussi,
Et ce fin or, ou l’or mesme se mire.

Me sont au coeur en si profond esmoi,
Qu’un autre objet ne se presente à moi,

Sinon le beau de leur beau que j’adore:

Et le plaisir qui ne se peut passer
De les songer, penser, & repenser,
Songer, penser, & repenser encore.



Tes yeus divins me promettent le don




Tes yeus divins me promettent le don
Qui d’un espoir me r'enflame & renglace,
Las, mais j’ai peur qu’ils tiennent de la race
De ton aieul le Roi Laomedon.

Au flamboier de leur double brandon
De peu à peu l’esperance m’embrasse,
Ja prevoiant par le ris de leur grace
Que mon service aura quelque guerdon.

Tant seulement ta bouche m’espovante,
Bouche vraiment qui prophéte me chante

Tout le rebours de tes yeus amoureus.

Ainsi je vis, ainsi je meurs en doute,
L’un me rapelle, & l’autre me reboute,
D’un seul objet heureus et malheureus.



Ces deus yeus bruns, deus flambeaus de ma vie




Ces deus yeus bruns, deus flambeaus de ma vie,
Dessus les miens foudroians leur clarté,
Ont esclavé ma jeune liberté,
Pour la damner en prison asservie.

De vos dous feus ma raison fut ravie,
Si qu'ébloüi de vôtre grand beauté,
Opiniastre à garder loiauté
Autres yeus voir depuis je n'eus envie.

D'autre éperon mon Tyran ne me point,
Autres pensers en moi ne couvent point,

Ni autre idole en mon cœur je n'adore.

Ma main ne sait cultiver autre nom,
Et mon papier n'est esmaillé, sinon
De vos beautés que ma plume colore.



Plus tôt le bal de tant d’astres divers




Plus tôt le bal de tant d’astres divers
Sera lassé, plus tôt la terre & l’onde,
Et du grand Tout l’ame en tout vagabonde
Animera les abymes ouvers :

Plus tôt les cieus de mer seront couvers,
Plus tôt sans forme ira confus le monde :
Que je soi serf d’une maistresse blonde,
Ou que j’adore une femme aus yeux vers.

Car cet œil brun qui vint premier eteindre
Le jour des miens, les seut si bien ateindre,
Qu’autre œil jamais n’en sera le vainqueur.

Et quant la mort m’aura la vie otée,
Encor là bas, je veus aimer l’Idée
De ces beaus yeus que j’ai fichés au cœur.



Bien mile fois & mile j'ai tenté




Bien mile fois & mile j'ai tenté
De fredonner sus les nerfs de ma lyre,
Et sus le blanc de cent papiers écrire
Le nom, qu'Amour dans le cœur m'a planté.

Mais tout soudain je suis epovanté,
Car sa grandeur qui l'esprit me martire
Sans la chanter arriere me retire
De cent fureurs pantoiment tourmenté.

Je suis semblable à la Prestresse folle,
Qui bégue perd la vois & la parolle
Dessous le dieu qu'elle fuit pour neant.

Ainsi piqué de l'amour qui me touche
Si fort au cœur, la vois fraude ma bouche,
Et voulant dire, en vain je suis béant.



Injuste Amour, fusil de toute rage




Injuste Amour, fusil de toute rage,
Que peut un cœur soumis a ton pouvoir,
Quand il te plaist par les sens émouvoir
Nôtre raison qui preside au courage ?

Je ne voi pré, fleur, antre ni rivage,
Champ, roc, ni bois, ni flots dedans le Loir,
Que peinte en eus, il ne me semble voir
Cette beauté qui me tient en servage.

Ores en forme, ou d'un foudre enflamé,
Ou d'une nef, ou d'un Tigre affamé,
Amour la nuit devant mes yeus la guide:

Mais quand mon bras en songe les poursuit,
Le feu, la nef, et le Tigre s'enfuit,
Et pour le vrai je ne pren que le vuide.



Si mile oeillets, si mile lis j’embrasse




Si mile oeillets, si mile lis j’embrasse,
Entortillant mes bras tout alentour,
Plus fort qu’un cep, qui d’un amoureus tour
La branche aimée, impatient enlasse:

Si le souci ne jaunit plus ma face,
Si le plaisir fonde en moi son sejour,
Si j’aime mieus les ombres que le jour,
Songe divin cela vient de ta grace.

Avecque toi je volerois aus cieus,
Mais ce portrait qui nage dans mes yeus,
Fraude toujours ma joïe entrerompue.

Et tu me fuis au milieu de mon bien,
Comme l’éclair qui se finit en rien,
Ou comme au vent s’evanoüit la nue.



Ange divin, qui mes plaïes embâme




Ange divin, qui mes plaïes embâme' ,
Le truchement & le heraut des Dieus,
De quelle porte es tu coulé des cieus,
Pour soulager les peines de mon ame?

Toi, quand la nuit comme un fourneau m'enflamme,
Aiant pitié de mon mal soucieus:
Or, dans mes bras, ore dedans mes yeus,
Tu fais nouër l'idole de ma Dame.

Las, ou fuis tu? Aten encor un peu,
Que vainement je me soie repeu
De ce beau sein, dont l'apetit me ronge:

Et de ces flancs qui me font trépasser,
Sinon d'effet, seuffre au moins que par songe
Toute une nuit je les puisse embrasser.



Aelés Démons qui tenés de la terre




Aelés Démons qui tenés de la terre,
Et du haut ciel justement le millieu:
Postes divins, divins postes de Dieu,
Qui ses segrés nous aportés grand erre.

Dites Courriers (ainsi ne vous enserre
Quelque sorcier dans un cerne de feu)
Rasant nos chams, dites, avons point veu

Cette beauté qui tant me fait de guerre?

Si l'un de vous la contemple ça bas,
Libre par l'aer il ne refuira pas,
Tant doucement sa douce force abuse.

Ou, comme moi, esclave le fera,
Ou bien en pierre el' le transformera
D'un seul regard ainsi qu'une Meduse.



Quand au premier la Dame que j’adore




Quand au premier la Dame que j’adore,
De ces beautés vint embellir les cieus,
Le fils de Rhée apella tous les Dieus,
Pour faire encor d’elle une autre Pandore.

Lors Apollin richement la decore,
Or, de ses rais lui façonnant les yeus,
Or, lui donnant son chant melodieus,
Or, son oracle et ses beaus vers encore.

Mars lui donna sa fiere cruauté,
Venus son ris, Dione sa beauté,
Pithon sa vois, Ceres son abondance.

L’Aube ses dois & ses crins deliés,
Amour son arc, Thetis donna ses piés,
Clion sa gloire, et Pallas sa prudence.



D'un abusé je ne seroi la fable




D'un abusé je ne seroi la fable,
Fable future au peuple survivant,
Si ma raison alloit bien ensuivant
L'arrest fatal de ta vois veritable.

Chaste prophete, & vraiment pitoiable,
Pour m'avertir tu me predis souvent
Que je mourrai, Cassandre, en te servant :
Mais le malheur ne te rend point croiable :

Car ton destin, qui cele mon trespas,
Et qui me force à ne te croire pas,
D'un faus espoir tes oracles me cache.

Et si voi bien, veu l'estat où je suis,
Que tu dis vrai : toutefois je ne puis
D'autour du col me dénoüer l'attache.



Las je me plain de mile & mile & mile




Las je me plain de mile & mile & mile
Soupirs, qu'en vain des flancs je vois tirant,
Heureusement mon plaisir martirant
Au fond d'une eau qui de mes pleurs distile.

Puis je me plain d'un portrait inutile
Ombre du vrai que je suis adorant,
Et de ces yeus qui me vont devorant
Le cœur brulé d'une flame gentile.

Mais parsus tout je me plain d'un penser,
Qui trop souvent dans mon cœur fait passer
Le souvenir d'une beauté cruelle.

Et d'un regret qui me pallit si blanc,
Que je n'ai plus en mes veines de sang
Aux nerfs de force, en mes os de mouëlle.



Puisse avenir, qu’une fois je me vange




Puisse avenir, qu’une fois je me vange
De ce penser, qui devore mon coeur,
Et qui toujours, comme un lion veinqueur,
Sous soi l’etrangle, & sans pitié le mange.

Avec le tans, le tans mesme se change:
Mais ce cruel qui suçe ma vigueur,
Opiniatre au cours de sa rigueur,
En autre lieu qu’en mon coeur ne se range.

Bien est il vrai, qu’il contraint un petit,

Durant le jour son segret apetit,
Et dans mes flancs ses griffes il n’alonge:

Mais quand la nuit tient le jour enfermé,
Il sort en queste, & lion affamé,
De mile dens toute nuit il me ronge.



Pour la douleur, qu'Amour veut que je sente




Pour la douleur, qu'Amour veut que je sente,
Ainsi que moi, Phebus, tu lamentois,
Quant amoureus, loing du ciel tu chantois
Pres d'Ilion sus les rives de Xanthe.

Pinçant en vain ta lyre blandissante,
Et fleurs, & flots, mal sain, tu enchantois,
Non la beauté qu'en l'ame tu sentois
Dans le plus dous d'une plaie égrissante.

Là de ton teint, se pallissoient les fleurs,
Et l'eau croissant' du degout de tes pleurs,

Parloit tes cris, dont elle roulloit pleine.

Pour mesme nom, les fleuréttes du Loir,
Pres de Vandôme, & daignent me douloir,
Et l'eau se plaindre aux soupirs de ma peine.



Les petits cors, culbutans de travers




Les petits cors, culbutans de travers,
Parmi leur cheute en bïais vagabonde,
Hurtés ensemble, ont composé le monde,
S’entr’acrochans d’acrochemens divers.

L’ennui, le soin, & les pensers ouvers,
Croisans le vain de mon amour profonde,
Ont façonné d’une atache feconde,
Dedans mon coeur l’amoureus univers.

Mais s’il avient, que ces tresses orines,
Ces dois rosins, & ces mains ivoirines,
Froissent ma vie, en quoi retournera

Ce petit tout? En eau, aer, terre, ou flame?
Non, mais en vois qui toujours de ma dame
Par le grand Tout les honneurs sonnera.



Dous fut le trait, qu'Amour hors de sa trousse




Dous fut le trait, qu'Amour hors de sa trousse,
Pour me tuer, me tira doucement,
Quant je fu pris au dous commencement
D'une douceur si doucettement douce.

Dous est son ris, & sa vois qui me pousse

L'ame du cors, pour errer lentement
Devant son chant marié gentement
Avec mes vers animés de son pouce.

Telle douceur de sa vois coule à bas,
Que sans l'ouir vraiment on ne sait pas
Comme en ses rets Amour nous encordelle.

Sans l'ouir, di-je, Amour mesme enchanter,
Doucement rire, & doucement chanter,
Et moi mourir doucement aupres d'elle.



Pleut il a Dieu, n’avoir jamais tâté




Pleut il a Dieu, n’avoir jamais tâté
Si follement le tetin de m'amie !
Sans lui vraiment l’autre plus grande envie,
Helas ! ne m’eut, ne m’eut jamais tanté,

Comme un poisson, pour s’estre trop hâté,

Par un apât, suit la fin de sa vie,
Ainsi je vois, ou la mort me convie,
D’un beau tetin doucement apâté.

Qui eut pensé, que le cruel destin
Eut enfermé sous un si beau tetin
Un si grand feu, pour m'en faire la proïe ?

Avisés donc, que seroit le coucher
Entre ses bras, puis qu’un simple toucher
De mile mors, innocent, me foudroïe.



Contre mon gré l'atrait de tes beaus yeus




Contre mon gré l'atrait de tes beaus yeus
Donte mon cœur, mais quand je te veus dire
Quell'est ma mort, tu ne t'en fais que rire,
Et de mon mal tu as le cœur joïeus.

Puis qu'en t'aimant je ne puis avoir mieus,
Soufre du moins que pour toi je soupire,
Assés & trop, ton bel œil me martire
Sans te moquer de mon mal soucieus.

Moquer mon mal, rire de ma douleur,
Par un dedain redoubler mon malheur,
Haïr qui t'aime, & vivre de ses pleintes,

Rompre ta foi, manquer de ton devoir,
Cela, cruelle, & n'est-ce pas avoir
Tes mains de sang & d'homicide teintes ?



Ha, Seigneur dieu, que de graces écloses




Ha, Seigneur dieu, que de graces écloses
Dans le jardin de ce sein verdelet
Enflent le rond de deus gazons de lait,
Où des Amours les fléches sont encloses !

Je me transforme en cent metamorfoses,
Quant je te voi, petit mont jumelet,
Ains, du printans un rosier nouvelet,
Qui le matin bienveigne de ses roses.

S'Europe avoit l'estomac aussi beau,
De t'estre fait, Jupiter, un toreau,
Je te pardonne. Hé, que ne sui'-je puce !

La baisotant, tous les jours je mordroi
Ses beaus tetins, mais la nuit je voudroi
Que rechanger en homme je me pusse.



Quand au matin ma Déesse s’abille




Quand au matin ma Déesse s’abille,
D’un riche or crespe, ombrageant ses talons,
Et que les rets de ses beaus cheveus blons
En cent façons énnonde & entortille:

Je l’acompare a l’escumiere fille
Qui or pignant les siens jaunement lons,
Or les ridant en mille crespillons
Nageoit abord dedans une coquille.

De femme humaine encore ne sont pas,
Son ris, son front, ses gestes, ni ses pas,
Ni de ses yeus l’une & l’autre chandelle.

Rocs, eaus, ni bois, ne celent point en eus
Nymphe, qui ait si follâtres cheveus,
Ni l’oeil si beau, ni la bouche si belle.



Avec les lis, les oeillés mesliés




Avec les lis, les oeillés mesliés
N’égalent point le pourpre de sa face:
Ni l’or filé ses cheveus ne surpasse,
Ore tressés & ore deliés.

De ses couraus en voute repliés
Nait le dous ris qui mes soucis efface:
Et ça & là par tout ou elle passe,
Un pré de fleurs s’émaille sous ses piés.

D’ambre & de musq sa bouche est toute pleine.
Que dirai plus? J’ai veu dedans la plaine,
Lors que plus fort le ciel vouloit tancer,

Cent fois son œil, qui des Dieus s’est fait maistre,
De Juppiter rasserener la destre,
Ja ja courbé pour sa foudre élancer.



Ores l'effroi & ores l'esperance




Ores l'effroi & ores l'esperance,
Deça dela se campent en mon cœur,
Or l'une vainq, ores l'autre est vainqueur,
Pareils en force & en perseverance.

Ores douteus, ores plain d'asseurance,
Entre l'espoir & le froid de la peur,
Heureusement de moi mesme trompeur,
Au cœur captif je promets delivrance.

Verrai-je point avant mourir le tans,
Que je tondrai la fleur de son printans,
Sous qui ma vie à l'ombrage demeure ?

Verrai-je point qu'en ses bras enlassé,
De trop combatre honnestement lassé,
Honnestement entre ses bras je meure ?



Je voudrois estre Ixion et Tantale




Je voudrois estre Ixion et Tantale,
Dessus la roüe, et dans les eaus là bas :
Et quelque fois presser entre mes bras
Cette beauté qui les anges egale.

S'ainsin étoit, toute peine fatale
Me serait douce, et ne me chaudroit pas
Non d'un vautour fussai-je le repas
Non qui le roc remonte et redevale.

Lui tatonner seulement le tetin
Echangeroit l'obscur de mon destin
Au sort meilleur des princes de l'Asie :

Un demidieu me feroit son baiser,
Et flanc entre ses bras m'aiser,
Un de ceus là qui mengent l'Ambroisie.



Amour me tue, & si je ne veus dire




Amour me tue, & si je ne veus dire
Le plaisant mal que ce m’est de mourir :
Tant j’ai grand peur, qu’on veuille secourir
Le mal, par qui doucement je soupire

Il est bien vrai, que ma langueur desire,
Qu’avec le tans je me puisse guerir :
Mais je ne veux ma dame requerir
Pour ma santé : tant me plaist mon martire.

Tai toi langueur, je sen venir le jour,
Que ma maistresse, apres si long sejour,
Voiant le soin, qui ronge ma pensée,

Toute une nuit, folatrement m’aiant
Entre ses bras, prodigue, ira paiant
Les interés de ma peine avancée.



Je veus mourir pour tes beautés, Maistresse




Je veus mourir pour tes beautés, Maistresse,
Pour ce bel oeil, qui me prit à son hain,
Pour ce dous ris, pour ce baiser tout plein
D’ambre, & de musq, baiser d’une Deesse.

Je veus mourir pour cette blonde tresse,
Pour l’embonpoint de ce trop chaste sein,
Pour la rigueur de cette douce main,
Qui tout d’un coup me guerit & me blesse.

Je veus mourir pour le brun de ce teint,
Pour ce maintien, qui, divin, me contreint
De trop aimer: mais par sus toute chose,

Je veus mourir es amoureus combas,
Souflant l’amour, qu’au coeur je porte enclose,
Toute une nuit, au millieu de tes bras.



Dame, depuis que la première flêche




Dame, depuis que la premiere fleche
De ton bel œil m'avança la douleur,
Et que sa blanche et sa noire couleur
Forçant ma force, au cœur me firent breche:

Je sen toujours une amoureuse méche,
Qui se ralume au millieu de mon cœur,
Dont le beau rai (ainsi comme une fleur
S'écoule au chaut) dessus le pié me sèche.

Ni nuit, ne jour, je ne fai que songer,
Limer mon cœur, le mordre et le ronger,
Priant Amour, qu'il me tranche la vie.

Mais lui, qui rit du torment qui me point,
Plus je l'apelle, et plus je le convie,
Plus fait le sourd, et ne me repond point.



Ni de son chef le trésor crépelu,




Ni de son chef le tresor crépelu,
Ni de sa joüe une & l’autre fossette,
Ni l’embonpoint de sa gorge grassette,
Ni son menton rondement fosselu,

Ni son bel oeil que les miens ont voulu
Choisir pour prince a mon ame sugette,
Ni son beau sein, dont l’Archerot me gette
Le plus agu de son trait émoulu,

Ni de son ris les miliers de Charites,
Ni ses beautés en mile coeurs ecrites
N’ont esclavé ma libre affection.

Seul son esprit, ou tout le ciel abonde,
Et les torrens de sa douce faconde
Me font mourir pour sa perfection.



Mon dieu, mon dieu, que ma maistresse est belle !




Mon dieu, mon dieu, que ma maistresse est belle !
Soit que j’admire ou ses yeus, mes seigneurs,
Ou de son front les dous graves honneurs,
Ou l’Orient de sa levre jumelle.

Mon dieu, mon dieu, que ma dame est cruelle !
Soit qu’un raport rengrege mes douleurs,
Soit qu’un depit parannise mes pleurs,
Soit qu’un refus mes plaïes renouvelle.

Ainsi le miel de sa douce beauté
Nourrit mon cœur : ainsi sa cruauté
D’aluine amere enamere ma vie.

Ainsi repeu d’un si divers repas,
Ores je vi, ores je ne vi pas,
Egal au sort des freres d’Œbalie.



Cent fois le jour, a part moi je repense




Cent fois le jour, a part moi je repense
Que c'est qu'Amour, quelle humeur l'entretient,
Quel est son arc, et quelle place il tient
Dedans nos cœurs, et quelle est son essence.

Je conoi bien des astres, la puissance,
Je sai, comment la mer fuit et revient,
Comme en son Tout le Monde se contient:
De lui sans plus me fuit la conoissance.

Si sai-je bien, que c'est un puissant Dieu
Et que, mobile, ores il prend son lieu
Dedans mon cœur, et ores dans mes veines:

Et que depuis qu'en sa douce prison
Dessous mes sens fit serve ma raison,
Toujours malsain, je n'ai langui qu'en peines.



Mile, vraiment, & mile voudroient bien




Mile, vraiment, & mile voudroient bien,
Et mile encor, ma guerriere Cassandre,
Qu’en te laissant, je me voulusse rendre
Franc de ton ret, pour vivre en leur lien.

Las! mais mon coeur, ainçois qui n’est plus mien,
Comme un vrai serf, ne sauroit plus entendre
A qui l’apelle, & mieus voudroit atendre
Dis mille mors, qu’il fut autre que tien.

Tant que la rose en l’épine naitra,
Tant que sous l’eau’ la balene paitra,
Tant que les cerfs aimeront les ramées,

Et tant qu’Amour se nourrira de pleurs,
Toujours au coeur ton nom, & tes valeurs,
Et tes beautés me seront imprimées.



Avant qu’Amour, du Chaos ocieus




Avant qu’Amour, du Chaos ocieus
Ouvrist le sein, qui couvoit la lumiere,
Avec la terre, avec l’onde premiere,
Sans art, sans forme, estoient brouillés les cieus.

Ainsi mon Tout erroit seditieux
Dans le giron de ma lourde matiere,
Sans art, sans forme, & sans figure entiere:
Alors qu’Amour le perça de ses yeus.

Il arrondit de mes affections
Les petis cors en leurs perfections,
Il anima mes pensers de sa flame.

Il me donna la vie, & le pouvoir,
Et de son branle il fit d’ordre mouvoir
Les pas suivis du globe de mon ame.



Par je ne sai quelle estrange inimitié




Par je ne sai quelle estrange inimitié,
J'ai veu tomber mon espérance à terre,
Non de rocher, mais tendre comme verre,
& mes désirs rompre par la moitié.

Dame, où le ciel logea mon amitié,
Pour un flateur qui si lâchement erre,
& pourquoi tant me brasses-tu de guerre,
Privant mon coeur de ta douce pitié ?

Or, s'il te plait, fai moi languir en peine,
Tant que la mort me desnerve & me desveine,
Je serai tien, & plus tôt le Chaos,

Se troublera de sa noise ancienne,
Que par rigueur, autre amour que la tienne,
Sous autre jou me captive le dos.



O dous parler, dont l'apât doucereus




O dous parler, dont l'apât doucereus
Nourrit encor la faim de ma memoire,
O front, d'Amour le Trofée & la gloire,
O ris sucrés, O baisers samoureus :

O cheveus d'or, O coutans plantureus
De lis, d'oeillets, de Porfyre, & d'ivoire,
O feux iumeaus dont le ciel me fit boire
A silons trais le venin amoureus.

O vermeillons, O perlettes encloses,
O diamans, O lis pour pés de roses,
O chant qui peus les plus durs emouvoir,

Et dont l'accent dans les ames demeure :
Et dea beautés reviendra iamais l'heure
Qu'entre mes bras ie vous puisser ravoir ?



Verrai-je point le dous jour, qui m’aporte




Verrai-je point le dous jour, qui m’aporte
Ou tréve, ou pais, ou la vie, ou la mort,
Pour édenter le souci qui me mord
Le cœur a nu, d’une lime si forte ?

Verrai-je point que ma Naiade sorte
Du fond de l’eau, pour m’enseigner le port ?
Nourai-je point, ainsi qu’Ulysse à bord,
Aiant au flanc son linge pour escorte ?

Verrai-je point, que ces astres jumeaus,
En ma faveur, encore par les eaus
Montrent leur flame a ma caréne lasse ?

Verrai-je point tant de vens s’acorder,
Et calmement mon navire aborder,
Comme il souloit, au havre de sa grace ?



Quel dieu malin, quel astre me fit estre




Quel dieu malin, quel astre me fit estre
Et de misere & de tourment fit plein ?
Quel destin fit, que touiours ie me plain
De la rigueur d'un trop rigoreus maistre ?
Quelle des seurs à l'heure de mon estre
Noircit le fil de mon fort inhumain ?
Et quel Démon d'une fenestre main
Berça mon cors quand le ciel me fit naistre.
Heureus ceus là dont la terre a les os,
Heureus ceus là, que la nuit du Chaos
Presse au giron de la masse brutale :
Sans sentiment leur repos est heureus,
Que fuis ie, las ! moi chetif amoureus,
Pour trop sentir, qu'un Sisyphe ou Tantale ?



Divin Bellai, dont les nombreuses lois




Divin Bellai, dont les nombreuses lois
Par une ardeur du peuple séparée,
Ont revetu l'enfant de Cytherée
D'arc, de flambeau, de trais, & de carquois,

Si le dous feu dont, chaste, tu ardois,
Enflame encor' ta poitrine sacrée,
Si ton oreille encore se recrée
D'ouir les plains des amoureuses vois,

Or ton Ronsard qui sanglote, & lamente,
Pâle, agité des flos de la tourmente,
Croisant en vain ses mains devers les Dieus,

En fraile nes, & sans voile, & sans rame,
Et loin du bord, ou pour astre sa Dame
Le conduisoit du Fare de ses yeus.



Quand le Soleil a chef renversé plonge




Quand le Soleil a chef renversé plonge
Son char doré dans le sein du vieillard,
Et que la nuit un bandeau sommeillard
Des deus côtes de l’Horizon alonge:

Amour adonc qui sape, mine, & ronge
De ma raison le chancelant rempart,
Pour l’assaillir à l’heure à l’heure part,
Armant son camp des ombres & du songe.

Lors ma raison, & lors ce dieu cruel,
Seuls per à per d’un choc continuel
Vont redoublant mile écarmouches fortes:

Si bien qu’Amour n’en seroit le vainqueur,
Sans mes pensers, qui lui ouvrent les portes,
Par la traison que me brasse mon coeur.



Comme un Chevreuil, quand le printans destruit




Comme un Chevreuil, quand le printans destruit
L’oiseus crystal de la morne gelée,
Pour mieus brouter la fueille emmielée,
Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit:

Et seul, & seur, loin de chiens & de bruit,
Or sur un mont, or dans une valée,
Or pres d’une onde à l’escart recelée,
Libre, folâtre ou son pié le conduit.

De rets ne d’arc sa liberté n’a crainte,
Sinon alors que sa vie est attainte,
D’un trait meurtrier empourpré de son sang:

Ainsi j’alloi sans espoir de dommage,
Le jour qu’un oeil sur l’Avril de mon âge
Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.



Ni voir flamber au point du jour les roses




Ni voir flamber au point du jour les roses,
Ni lis planté sus le bord d'un ruisseau,
Ni chant de luth, ni ramage d'oiseau,
Ni dedans l'or les gemmes bien encloses,

Ni des Zéphirs les gorgettes decloses,
Ni sur la mer le ronfler d'un vaisseau,
Ni bal de Nymfe au gazouillis de l'eau,
Ni de mon coeur mille metamorfoses,

Ni camp armé de lances herissé,
Ni antre verd de mousse tapissé,
Ni les Sylvains qui les Dryades pressent,

Et jà desja les dontent à leur gré,
Tant de plaisirs ne me donnent qu'un Pré,
Ou sans espoir mes esperances paissent.



Dedans les Prés je vis une Naiade




Dedans les Prés je vis une Naiade,
Qui comme fleur s’assisoit par les fleurs,
Et mignotoit un chappeau de couleurs,

Echevelée en simple verdugade.

De ce jour là ma raison fut malade,
Mon cueur pensif, mes yeus chargés de pleurs,
Moi triste & lent: tel amas de douleurs
En ma franchise imprima son oeillade.

La je senti dedans mes yeus voller
Un dous venin, qui se vint escouler
Au fond de l’ame: & depuis cet outrage,

Comme un beau lis, au mois de Juin blessé
D’un rai trop chaut, languit à chef baissé,
Je me consume au plus verd de mon âge



Quand ces beaus yeus jugeront que je meure




Quand ces beaus yeus jugeront que je meure,
Avant mes jours me foudroiant là bas,
Et que la Parque aura porté mes pas
A l'autre flanc de la rive meilleure :

Antres & prés, & vous foréts, à l'heure,
Je vous suppli, ne me dédaignés pas,
Ains donnés moi, sous l'ombre de vos bras,
Quelque repos de paisible demeure.

Puisse avenir qu'un poëte amoureus,
Aiant horreur de mon sort malheureus,
Dans un cyprés note cet epigramme :

CI DESSOUS GIT UN AMANT VANDOMOIS,
QUE LA DOULEUR TUA DEDANS CE BOIS :
POUR AIMER TROP LES BEAUS YEUS DE SA DAME.



Qui voudra voir dedans une jeunesse




Qui voudra voir dedans une jeunesse,
La beauté jointe avec la chasteté,
L'humble douceur, la grave magesté,
Toutes vertus , & toute gentilesse :
Qui voudra voir les yeux d'une deesse,
Et de nos ans la seule nouveauté,
De cette Dame oeillade la beauté,
Que le vulgaire appelle ma maitresse.
Il apprendra comme Amour rit & mord,
Comme il guarit, comme il donne la mort,
Puis il dira voiant chose si belle :
Heureus vraiment, heureus qui peut avoir
Heureusement cet heur que de la voir,
Et plus heureus qui meurt pour l'amour d'elle.



Tant de couleurs le grand arc ne varie




Tant de couleurs le grand arc ne varie
Contre le front du Soleil radieus,
Lors que Junon, par un tans pluvieus,
Renverse l'eau dont sa mere est nourrie.

Ne Jupiter armant sa main marrie
En tant d'éclairs ne fait rougir les cieus,
Lors qu'il punit d'un foudre audacieus
Les mons d'Epire, ou l'orgueil de Carie.

Ni le Soleil ne raione si beau,
Quand au matin il nous montre un flambeau
Pur, net & clair, comme je vi ma Dame

Diversement son visage acoutrer,
Flamber ses yeus, & clair se montrer,
Le premier jour qu'elle ravit mon ame.



Quant j'aperçoi ton beau chef jaunissant




Quant j'aperçoi ton beau chef jaunissant,
Qui l'or filé des Charites efface,
Et ton bel œil qui les astres surpasse,
Et ton beau sein chastement rougissant:

A front baissé je pleure gemissant,
De quoy je suis (faute digne de grace)
Sous l'humble vois de ma rime si basse,
De tes beautés les honneurs träissant.

Je conoi bien que je devroi me taire,
Ou mieus parler: mais l'amoureus ulcere
Qui m'ard le coeur, me force de chanter.

Donque (mon Tout) si dinement je n'use
L'ancre & la vois a tes graces vanter,
Non l'ouvrier non, mais son destin accuse.



Ciel, air et vents, plains et monts découverts




Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous bocages verts,

Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes,
Vallons bossus et plages blondoyantes,
Et vous rochers, les hôtes de mes vers,

Puis qu'au partir, rongé de soin et d'ire,
A ce bel oeil Adieu je n'ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi,

Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.



Voiant les yeus de toi, Maitresse elüe




Voiant les yeus de toi, Maitresse elüe
A qui j'ai dit, seule à mon cœur tu plais,
D'un si dous fruit mon ame je repais,
Que plus en mange, & plus en est goulüe.

Amour qui seul les bons espris englüe,
Et qui ne daigne ailleurs perdre ses trais,
M'alege tant du moindre de tes rais,
Qu'il m'a du cœur toute peine tolüe.

Non, ce n'est point une peine qu'aimer :
C'est un beau mal, & son feu dous-amer
Plus doucement, qu'amerement nous brule.

O moi deus fois, voire trois bienheureus,
S'Amour m'occit, & si avec Tibulle
J'erre la bas sous le bois amoureus.



L'œil qui rendroit le plus barbare apris




L'œil qui rendroit le plus barbare apris,
Qui tout orgueil en humblesse destrampe,
Par la vertu de ne sai quelle trampe
Qui saintement affine les esprits :

M'a tellement de ses beautés espris,
Qu'autre beauté dessus mon cœur ne rampe,
Et m'est avis sans voir un jour la lampe
De ces beaus yeus, que la mort me tient pris.

Cela vraiment, que l'aer est aus oiseaus,
Les bois aus cerfs, & aus poissons les eaus,
Son bel œil m'est : ô lumière enrichie

D'un feu divin qui m'ard si vivement,
Pour me donner & force & mouvement,
N'estes vous pas ma seule Entelechie ?



De quelle plante, ou de quelle racine




De quelle plante, ou de quelle racine,
De quel unguent, ou de quelle liqueur,
Oindroi-je bien la plaie de mon cœur
Qui d’os en os incurable chemine?

Ni vers charmés, pierre, ni medecine,
Drogue, ni just, ne romproient ma langueur,
Tant je sen moindre & moindre ma vigueur,
Jà me trainer dans la Barque voisine.

Las, toi qui sais des herbes le pouvoir,
Et qui la plaie au cœur m’as fait avoir,
Guari le mal que ta beauté me livre:

De tes beaus yeus allege mon souci,
Et par pitié retien encor ici
Ce pauvre amant, qu’Amour soule de vivre.



Petit nombril, que mon penser adore




Petit nombril, que mon penser adore,
Non pas mon oeil, qui n’eut onques ce bien,
Nombril de qui l’honneur merite bien
Qu’une grand’ vile on lui bastisse encore.

Signe divin, qui divinement ore
Retiens encor l’Androgyne lien,
Combien & toi, mon mignon, & combien
Tes flancs jumeaus folastrement j’honore!

Ni ce beau chef, ni ces yeus, ni ce front,
Ni ce dous ris, ni cette main qui fond
Mon coeur en source, & de pleurs me fait riche:

Ne me sauroient de leur beau contenter,
Sans esperer quelque fois de tâter
Ton paradis, ou mon plaisir se niche.



Que n'ai-je, Dame, & la plume & la grace




Que n'ai-je, Dame, & la plume & la grace
Divine autant que j'ai la volunté!
Par mes écris tu serois surmonté
Vieil enchanteur des vieus rochers de Thrace.
Plus haut encor que Pindare, ou qu'Horace,
J'appenderois à ta divinité,
Un livre enflé de telle gravité,
Que Du bellai lui quiteroit la place.
Si vive encor Laure par l'univers
Ne fuit volant dessus les Thusques vers,
Que nostre siecle heureusement estime,
Comme ton nom, honneur des vers François,
Haut elevé par le vent de ma vois
S'en voleroit sus l'ale de ma rime.



Du tout changé ma Circe enchanteresse




Du tout changé ma Circe enchanteresse,
Dedans ses fers m'enferre, emprisonné,
Non par le goût d'un vin empoisonné,
Ni par le just d'une herbe pecheresse.

Du fin Grégeois l'espée vangeresse,
Et le Moly par Mercure ordonné,
En peu de tans du breuvage donné
Forcerent bien la force charmeresse.

Si qu'a la fin le Dulyche troupeau,
Reprint l'honneur de sa premiere peau,
Et sa prudence auparavant peu caute :

Mais pour la mienne en son lieu reloger,
Ne me vaudroit la bague de Roger,
Tant ma raison s'aveugle dans ma faute.



Les Elemans & les Astres, à preuve




Les Elemans & les Astres, à preuve
Ont façonné les rais de mon Soleil,
Et de son teint le cinabre vermeil,
Qui çà ne là son parangon ne treuve.

Dès l'onde Ibere où notre jour s'abreuve,
Jusques au lit de son premier reveil,
Amour ne voit un miracle pareil,
N'en qui le Ciel tant de ses graces pleuve.

Son oeil premier m'aprit que c'est d'aimer :
Il vint premier ma jeunesse animer
A la vertu, par ses flames dardées :

Par lui mon coeur premierement s'aela,
Et loin du peuple à l'escart s'en vola
Jusqu'au giron des plus belles Idées.



Je parangonne à vos yeus ce crystal




Je parangonne à vos yeus ce crystal,
Qui va mirer le meurtrier de mon ame:
Vive par l'aer il éclate une flame,
Vos yeus un feu qui m'est saint et fatal.
Heureus miroer, tout ainsi que mon mal
Vient de trop voir la beauté qui m'enflame:
Comme je fai, de trop mirer ma Dame
Tu languiras d'un sentiment egal.
Et toutefois, envieus, je t'admire,
D'aller mirer le miroer où se mire
Tout l'univers dedans lui remiré.
Va donq, miroer, va donq, et pren bien garde
Qu'en le mirant ainsi que moi ne t'arde,
Pour avoir trop ses beaus yeus admiré.



J’ai cent fois épreuvé les remedes d’Ovide




J’ai cent fois épreuvé les remedes d’Ovide,
Et si je les épreuve encore tous les jours,
Pour voir si je pourrai de mes vieilles amours,
Qui trop m’ardent le coeur, avoir l’estomac vuide.

Mais cet amadoüeur, qui me tient à la bride,
Me voiant aprocher du lieu de mon secours,
Maugré moi tout soudain fait vanoier mon cours,
Et d’ou je vins mal sain, mal sain il me reguide.

Hà, poëte Romain, il te fut bien aisé,
Quand d’une courtisane on se voit embrasé,
Donner quelque remede, affin qu’on s’en depestre:

Mais cettui la qui voit les yeus de mon Soleil,
Qui n’a de chasteté, ni d’honneur son pareil,
Plus il est son esclave, & plus il le veut estre.



Ni les combats des amoureuses nuits




Ni les combats des amoureuses nuits,
Ni les plaisirs que les amours conçoivent,
Ni que les amans reçoivent,
Ne valent pas un seul de mes ennuis.

Heureus ennui, en toi seulet je puis
Treuver repos des maus qui me deçoivent :
Et par toi seul mes passions reçoivent
Le dous obli du torment ou je suis.

Bienheureus soit mon torment qui n'empire,
Et le dous jou, sous lequel je respire,
Et bienheureus le penser soucieus,

Qui me repait du dous souvenir d'elle :
Et plus heureus le foudre de ses yeus,
Qui cuit mon cœur dans un feu qui me gelle.



A ton frere Paris tu sembles en beauté




A ton frere Paris tu sembles en beauté
A ta soeur Polyxene en chaste conscience
A ton frere Helenin en profete science,
A ton parjure aïeul en peu de laiauté.

A ton pere Priam en meurs de roiauté,
Au vieillart Antenor en mieleuse eloquence,
A ta tante Antigone en superbe arrogance,
A ton grand frere Hector en fiere cruauté.

Neptune n'assit onc une pierre si dure
Dans tes murs, que tu es, pour qui la mort j'endure:
Ni des Grecs outragés l'exercite vainqueur

N'emplit tant Iliion de feus, de cris,& d'armes,
De soupirs,& de plaurs, que tu combles mon coeur
De brasiers,& de mors, de sanglos, & de larmes.



Si je trepasse entre tes bras, Madame




Si je trepasse entre tes bras, Madame,
Il me suffit, car je ne veus avoir
Plus grand honneur, sinon que de me voir
En te baisant, dans ton sein rendre l'ame.

Celui que Mars horriblement enflame,
Aille à la guerre, & manque de pouvoir,
& jeune d'ans, s'ebate à recevoir
En sa poitrine une Espaignole lame :

Mais moi plus froid, je ne requier, sinon
Apres cent ans, sans gloire & sans renom,
Mourir oisif, en ton giron, Cassandre.

Car je me trompe, ou c'est plus de bonheur,
Mourir ainsi, que d'avoir tout l'honneur,
Pour vivre peu, d'un guerrier Alexandre.



Pour voir ensemble & les chams & le bort




Pour voir ensemble & les chams & le bort,
Ou ma guerriere avec mon coeur demeure,
Alme Soleil, demain avant ton heure,
Monte à cheval, & galope bien fort:

Ainçois les chams, ou l’amiable effort
De ses beaus yeus ordonne, que je meure
Si doucement, qu’il n’est vie meilleure,
Que les soupirs d’une si douce mort.

A costé droit, sus le bord d'un rivage
Reluit apart l’angelique visage,
Que trop avare ardentement je veus:

Là, ne se voit roc, source, ni verdure,
Qui dans son teint, or ne me raffigure
L’une ses yeus, or l’autre ses cheveus.



Pardonne moi, Platon, si je ne cuide




Pardonne moi, Platon, si je ne cuide,
Que sous la vôute & grande arche des dieus,
Soit hors du monde, ou au profond des lieus,
Que Styx emmure, il n'i ait quelque vuide.

Si l'ær est plein en sa courbure humide,
Qui reçoit donc tant de pleurs de mes yeus,
Tant de soupirs, que je sanglote aus cieus,
Lors qu'à mon dueil Amour lâche la bride ?

Il est du vague, ou certes s'il n'en est,
D'un ær pressé le comblement ne naist :
Plus tôt le ciel, qui benin se dispose

A recevoir l'effet de mes douleurs,
De toutes pars se comble de mes pleurs,
Et de mes vers qu'en mourant je compose.



L'onde & le feu, ce sont de la machine




L'onde & le feu, ce sont de la machine
Les deus seigneurs que je sen pleinement,
Seigneurs divins, & qui divinement
Ce fais divin ont chargé sus l'échine.

Bref toute chose, ou terrestre, ou divine
Doit son principe à ces deus seulement,
Tous deus en moi vivent egallement,
En eus je vi, rien qu'eus je n'imagine.

Aussi de moi il ne sort rien que d'eus,
Et tour à tour en moi naissent tous deus :
Car quand mes yeus de trop pleurer j'apaise,

Rasserénant les flots de mes douleurs,
Lors de mon cœur s'exhale une fournaise,
Puis tout soudain recommancent mes pleurs.



Si l'écrivain de la mutine armée




Si l'écrivain de la mutine armée
Eût veu tes yeus, qui serf me tiennent pris,
Les fais de Mars il n'eût jamais empris,
Et le Duc Grec fût mort sans renommée.

Et si Pâris, qui vit la valée
La grand'beauté dont son cœur fut espris,
Et sans honneur Venus s'en fût allée.

Mais s'il avient, ou par le vueil des Cieus,
Ou par le trait qui sort de tes beaus yeus,
Qu'en publiant ma prise & ta conqueste,

Oultre la Tane on m'entende crier,
Iö, iö, quel myrte ou quel laurier
Sera bastant pour enlasser ma teste ?



Pour celebrer des astres devestus




Pour celebrer des astres devestus,
L'heur ecoulé dans celle qui me lime,
Et pour loüer son esprit, qui n'estime
Que le divin des divines vertus:

Et les regars, ainstrais d'Amour pointus,
Que son bel œil au fond du cœur m'imprime,
Il me faudroit, non l'ardeur de ma rime,
Mais la fureur du Masconnois Pontus.

Il me faudroit cette chanson divine,
Qui transforma sus la rive Angevine
L'olive palle en un teint plus naif,

Et me faudroit un Saingelais encore,
Et ceslui la qui sa Meline adore
En vers dorés le biendisant Baif.



Estre indigent, & donner tout le sien




Estre indigent, & donner tout le sien,
Se feindre un ris, avoir le coeur en pleinte,
Haïr le vrai, aimer la chose feinte,
Posséder tout, & ne jouir de rien :
Estre delivre, & trainer son lien,
Estre vaillant, & couharder de crainte,
Vouloir mourir, & vivre par contrainte,

De cent travaus ne recevoir un bien :
Avoir toujours pour un servil hommage,
La honte au front, en la main le dommage :
A ses pensers d'un courage hautain
Ourdir sans cesse une nouvelle trame,
Sont les effets qui logent dans mon ame,
L'espoir douteus6, & le tourment certain.



Oeil, qui portrait dedans les miens reposes




Oeil, qui portrait dedans les miens reposes,
Comme un Soleil, le dieu de ma clarté:
Ris, qui forçant ma douce liberté
Me transformas en cent metamorfoses.

Larme d'argent, qui mes soupirs arroses,
Quand tu languis de me veoir mal traité,
Main, qui mon coeur captives arresté
Par my ton lis, ton ivoire & tes roses.

Je suis tant vôtre, & tant l'affection
M'a peint au vif vôtre perfection,
Que ni le tans ni la mort tant soit forte

Ne fera point qu'au centre de mon sein,
Toujours gravés en l'ame je ne porte,
Un oeil, un ris, une larme, une main.



Si seulement l'image de la chose




Si seulement l'image de la chose
Fait a nos yeus la chose concevoir,
Et si mon oeil n'a puissance de voir,
Si quelqu'idole au devant ne s'oppose:

Que ne m'a fait celui qui tout compose,
Les yeus plus grans, afin de mieus pouvoir,
En leur grandeur la grandeur recevoir
Du simulacre, ou ma vie est enclose?

Certes le ciel trop ingrat de son bien,
Qui seul la fit, & qui seul vit combien
De sa beauté divine étoit l'idée,

Comme jalous du tresor de son mieus,
Silla le Monde, & m'aveugla les yeus,
Pour de lui seul, seule estre regardée.



Sous le crystal d’une argenteuse rive




Sous le crystal d’une argenteuse rive,
Au mois d’Avril, une perle je vi,
Dont la clarté m’a tellement ravi,
Qu’en mes discours autre penser n’arrive.

Sa rondeur fut d’une blancheur naïve,
Et ses raïons treluisoient a l’envi:
Son lustre encor ne m’a point assouvi,
Ni ne fera, non, non, tant que je vive.

Cent et cent fois pour la pescher à bas,
Tout recoursé, je devalle le bras,
Et ja desja content je la tenoïe;

Sans un archer , qui du bout de son arc
A front panché me plongeant sous le lac,
Frauda mes dois d’une si douce proïe.



Soit que son or se crespe lentement




Soit que son or se crespe lentement
Ou soit qu'il vague en deus glissantes ondes,
Qui çà qui là par le sein vagabondes,
Et sur le col, nagent folatrement :

Ou soit qu'un noud diapré tortement
De maints rubis & maintes perles rondes,
Serre les flots de ses deus tresses blondes,
Je me contente en mon contentement.

Quel plaisir est ce, ainçois quelle merveille,
Quand ses cheveus troussés dessus l'oreille
D'une Venus imitent la façon ?

Quand d'un bonet son chef elle Adonise,
Et qu'on ne sait (tant bien elle deguise
Son chef douteus) s'elle est fille ou garson ?



De ses cheveus la rousoiante Aurore




De ses cheveus la rousoiante Aurore
Eparsement les Indes remplissoit,
Et ja le ciel à lons traits rougissoit
De maint émail qui le matin decore.

Quand elle vit la Nymfe que j'adore
Tresser son chef, dont l'or qui jaunissoit,
Le crespe honneur du sien esblouissoit,
Voire elle mesme & tout le ciel encore.

Lors ses cheveus, vergogneuse arracha,
Si qu'en pleurant sa face elle cacha,
Tant la beauté des beautés lui ennuie :

Et ses soupirs parmi l'aer se suivans,
Trois jours entiers enfanterent des vens
Sa honte un feu, & ses yeus une pluie.



Aveques moi pleurer vous devriés bien




Aveques moi pleurer vous devriés bien
Tertres bessons, pour la facheuse absence
De cette la, qui fut par sa presence
Vôtre Soleil, ainçois qui fut le mien.

Las ! de quels maus, Amour, & de combien
Une beauté ma peine recompense !
Quand plein de honte a toute heure je pense,
Qu’en un moment j’ai perdu tout mon bien.

Or a dieu donc beauté qui me dedaigne :
Quelque rocher, quelque bois, ou montaigne
Vous pourra bien éloigner de mes yeus :

Mais non du cœur, que pront il ne vous suive,
Et que dans vous, plus que dans moi, ne vive,
Comme en la part, qu’il aime beaucoup mieus.



Tout me déplait, mais rien ne m'est si gref




Tout me déplait, mais rien ne m'est si gref,
Que ne voir point les beaus yeus de Madame,
Qui des plaisirs les plus dous de mon ame
Aveques eus ont emporté la clef.

Un torrent d'eau s'écoule de mon chef :
Et tout confus de soupirs je me pâme,
Perdant le feu, dont la drillante flame
Seule guidoit de mes pensers la nef.

Depuis le jour que je senti sa braise,
Autre beauté je n'ai veu, qui me plaise,
Ni ne verrai. Mais bien puissai-je voir

Qu'avant mourir seulement, cette Fere
D'un seul tour d’œil promette un peu d'espoir
Au coup d'Amour, dont je me desespere.



Quand je vous voi, ou quand je pense en vous




Quand je vous voi, ou quand je pense en vous,
Je ne sai quoi, dans le coeur me fretille,
Qui me pointelle, & tout d’un coup me pille
L’esprit emblé d’un ravissement dous.

Je tremble tout de nerfs & de genous:
Comme la cire au feu, je me distile,
Sous mes soupirs: & ma force inutile
Me laisse froid sans haleine & sans pous.

Je semble au mort, qu’on devale en la fosse,
Ou a celui qui d’une fievre grosse
Perd le cerveau, dont les esprits mués

Révent cela, qui plus leur est contraire,
Ainsi, mourant, je ne sauroi tant faire,
Que je ne pense en vous, qui me tués.



Morne de cors, & plus morne d'espris




Morne de cors, & plus morne d'espris,
Je me trainoi' dans une masse morte :
Et sans savoir combien la Muse aporte
D'honneur aus siens, je l'avois à mépris

Mais aussi tôt que de vous je m'épris,
Tout aussi tôt vôtre œil me fut escorte
A la vertu, voire de telle sorte,
Que d'ignorant je devin bien apris.

Donques, mon Tout, si je fai quelque chose,

Si dinnement de vos yeus je compose,
Vous me causés vous mesme ces effets.

Je pren de vous mes graces plus parfaites :
Car je suis manque, & dedans moi vous faites,
Si je fai bien, tout le bien que je fais.



Las! sans la voir, a toute heure je voi




Las! sans la voir, a toute heure je voi
Cette beauté dedans mon coeur presente:
Ni mont, ni bois, ni fleuve ne m’exente,
Que par pensée elle ne parle a moi.

Dame, qui sais ma constance & ma foi,
Voi, s’il te plait, que le tans qui s’absente,
Depuis set ans en rien ne desaugmente
Le plaisant mal, que j’endure pour toi.

De l’endurer lassé je ne suis pas:
Ni ne seroi’, tombassai-je la bas,
Pour mile fois en mile cors renaitre:

Mais de mon coeur, sans plus, je suis lassé,
Qui me déplait, & qui plus ne peut estre
Mien, comme il fut, puis que tu l’as chassé.



Dans un sablon la semence j'épan




Dans un sablon la semence j'épan :
Je sonde en vain les abymes d'un goufre :
Sans qu'on m'invite, à toute heure je m'oufre :
Et sans lojer mon age je dépan.

A son portrait pour un veu je m'apan :
Devant son feu mon cœur se change en soufre :
Et pour ses yeus cruellement je soufre
Dis mile maus, & d'un ne me repan.

Qui sauroit bien quelle trampe a ma vie,
D'èstre amoureus n'auroit jamais envie.
Je tremble, j'ars, je me pai d'un amer,

Qui plus qu'Aluine est rempli d'amertume :
Je vi d'ennui, de dueil je me consume :
En tel estat je suis pour trop aimer.



Devant les yeus, nuit & jour me revient




Devant les yeus, nuit & jour me revient
L'idole saint de l'angelique face,
Soit que j'ecrive, ou soit que j'entrelasse
Mes vers au luth, toujours il m'en souvient.

Voiés pour dieu, comme un bel oeil me tient
En sa prison, & point ne me delasse,

Et comme il prend mon cueur dedans sa nasse,
Qui de pensée, à mon dam, l'entretient.

O le grand mal, quand une affection
Peint nôtre esprit de quelque impression !
J'enten alors, que l'Amour ne dedaigne

Suttilement l'engraver de son trait :
Toujours au cœur nous revient ce portrait,
Et maugré nous, toujours nous acompaigne.



D’un gosier machelaurier




CHANSON

D’un gosier machelaurier
J’oi crier
Dans Lycofron ma Cassandre,
Qui profetise aus Troiens
Les moiens,
Qui les tapiront en cendre.

Mais ces pauvres obstinés,
Destinés
Pour ne croire à ma Sibylle,
Virent, bien que tard, apres,
Les feus Grecs
Forcenés parmi leur ville.

Aians la mort dans le sein,
De leur main
Plomboient leur poitrine nue :
Et tordant leurs cheveus gris,
De lons cris
Pleuroient qu’ils ne l’avoient creüe.

Mais leurs cris n’eurent pouvoir
D’emouvoir
Les Grecs si chargés de proie,
Qu’ils ne laisserent sinon,
Que le nom
De ce qui fut jadis Troie.

Ainsi pour ne croire pas,
Quand tu m’as
Predit ma peine future :
Et que je n’aurois en don,
Pour guerdon
De t’aimer, que la mort dure :

Un grand brasier sans repos,
Et mes os,
Et mes nerfs, et mon cœur brûle :
Et pour t’amour j’ai receu
Plus de feu
Que ne fit Troie incredule.



Apres ton cours je ne haste mes pas




Apres ton cours je ne haste mes pas,
Pour te souiller d’une amour deshonneste,
Demeure donq. Le Locrois m’amonneste:
Aus bors Girés, de ne te forcer pas.

Neptune oiant ses bläsphemes d’abas,
Acabla là son impudique teste
D’un grand rocher au fort de la tempeste.
Le ciel conduit le meschant au trespas.

Il te voulut, le meschant, violer,
Lors que la peur te faisoit acoller
Les piés vangeurs de sa Greque Minerve:

Moi je ne veus, qu’à ta grandeur offrir
Ce chaste coeur, s’il te plait de souffrir
Qu’en l’immolant de victime il te serve.



Piqué du nom qui me glace en ardeur




Piqué du nom qui me glace en ardeur,
Me souvenant de ma douce Charite,
Ici je plante une plante d'eslite,
Qui l'esmeraude efface de verdeur.

Tout ornement de roialle grandeur,
Beauté, savoir, honneur, grace, & merite,
Sont pour racine à cette Marguerite
Qui ciel & terre emparfume d'odeur.

Divine fleur, ou ma vie demeure,
La manne tombe à toute heure, à toute heure
Dessus ton front sans cesse nouvelét :

Jamais de toi la pucelle n'aproche,
La mouche à miel, ne la faucille croche,
Ni les ergots d'un folatre aignelét.



Depuis le jour que le trait ocieus




Depuis le jour que le trait ocieus
Grava ton nom au roc de ma memoire,
Et que l'ardeur qui flamboit en ta gloire
Me fit sentir la foudre de tes yeux :

Mon coeur ataint d'un éclair rigoureus
Pour eviter le feu de ta victoire,
S'alla cacher dans tes ondes d'ivoire,
Et sous l'abri de tes flancs amoureus.

Là, point ou peu soucieus de ma plaie
De çà de là par tes flots il s'esgaie,
Puis il se seiche aus rais de ton flambeau :

Et s'emmurant dedans leur forteresse,
Seul, pâle et froid, sans retourner, me laisse,
Comme un esprit qui fuit de son tombeau.



Le mal est grand, le remede est si bref




Le mal est grand, le remede est si bref
A ma douleur qui jamais ne s’alente,
Que bas ne haut, des le bout de la plante,
Je n’ai santé, jusqu’au sommet du chef.

L’oeil qui tenoit de mes pensers la clef,
En lieu de m’estre une estoile drillante
Parmi les flots de l’amour violante,
Contre un orgueil a fait rompre ma nef.

Un soin meurtrier soit que je veille ou songe,
Tigre affamé,le coeur me mange & ronge,
Suçant tousjours le plus dous de mon sang :

Et le penser qui me presse & represse,
Et qui jamais en repos ne me laisse,
Comme un mâtin, me mord toujours au flanc.



Amour, si plus ma fievre se renforce




Amour, si plus ma fievre se renforce,
Si plus ton arc tire pour me blesser,
Avant mes jours, j'ai grand'peur de laisser
Le verd fardeau de ceste jeune escorce.

Jà de mon coeur je sen moindre la force
Se transmuer pour sa mort avancer,
Devant le feu de mon ardant penser,
Non en bois verd, mais en poudre d'amorce.

Bien fut pour moi le jour malencontreus
Quand je humai le bruvage amoureus,
Qu'à si lons traits me versoit une oeillade :
O fortuné ! si pour me secourir,
Dès le jour mesme Amour m'eust fait mourir,
Sans me tenir si longuement malade !



Si doucement le souvenir me tente




Si doucement le souvenir me tente
De la mieleuse & fieleuse saison,
Ou je perdi la loi de ma raison
Qu’autre douleur ma peine ne contente.

Je ne veus point en la plaie de tante
Qu’Amour me fit pour avoir guarison,
Et ne veus point qu’on m’ouvre la prison,
Pour affranchir autre part mon attente.

Plus que venin je fui la liberté,
Tant j’ai grand peur de me voir escarté
Du dous lien qui doucement offense:

Et m’est honneur de me voir martyrer,
Sous un espoir quelquefois de tirer
Un seul baiser pour toute recompense.



Amour archer d'une tirade ront




Amour archer d'une tirade ront
Cent traits sur moi, & si ne me conforte
D'un seul regard, celle pour qui je porte
Le cœur aux yeus, les pensers sur le front.

D'un Soleil part la glace qui me fond,
Et m'esbaïs que ma froideur n'est morte
Au feu d'un œil, qui d'une flame acorte
Me fait au cœur un ulcère profond.

En tel estat je voi languir ma vie,
Qu'aus plus chetifs ma langueur porte enuie
Tant le mal croît & le cœur me défaut:

Mais la douleur qui plus comble mon ame
De desespoir, c'est qu'Amour & Madame
Savent mon mal, & si ne leur en chaut.



Je vi ma Nymfe entre cent damoiselles




Je vi ma Nymfe entre cent damoiselles
Comme un Croissant par les menus flambeaus
Et de ses yeux plus que les astres beaus
Faire oscurir la beauté des plus belles.

Dedans son sein les Graces immortelles
La Gaillardise, et les frères jumeaus
Aloient volant comme petits oiseaus
Parmi le verd des branches plus nouvelles.

Le ciel ravi, que son chant émouvoit,
Roses et lis et ghirlandes pleuvoit
Tout au rond d'elle au millieu de la place:

Si qu'en despit de l'iver froidureus
Par la vertu de ses yeux amoureus,
Un beau printans s'esclouït de la face.



Plus mile fois, que nul or terrien




Plus mile fois, que nul or terrien,
J’aime ce front ou mon Tyran se joüe,
Et le vermeil de cette belle joüe,
Qui fait honteus le pourpre Tyrien.

Toutes beautés a mes yeus ne sont rien,
Au pris du sein, qui lentement secoüe
Son gorgerin, sous qui, per à per joüe
Le branle égal d’un flot Cytherien.

Ne plus ne moins que Juppiter est aise,
Quand de son luth quelque Muse l’apaise,
Ainsi je suis de ses chansons épris,

Lors qu’a son luth ses dois elle embesoigne,
Et qu’elle dit le branle de Bourgoigne,
Qu’elle disoit, le jour que je fus pris.



Celle qui est de mes yeus adorée




Celle qui est de mes yeus adorée,
Qui me fait vivre entre mile trespas,
Chassant un cerf, suivoit hier mes pas,
Com'ceus d'Adon Cyprine la dorée :

Quand une ronce en vain enamourée,
Ainsi que moi, du vermeil de ses bras,
En les baisant, lui fit couler a bas,
Une liqueur de pourpre colorée.

La terre a donc, qui, soigneuse, receut
Ce sang divin, tout sus l'heure conceut
Pareille au sang une rouge fleurette :

Et tout ainsi que d'Helene naquit
La fleur qui d'elle un beau surnom aquit,
Du nom Cassandre elle eut nom Cassandrette.



Sur mes vint ans, pur d'offense & de vice




Sur mes vint ans, pur d'offense & de vice,
Guidé, mal-caut, d'un trop aveugle oiseau,
Ayant encor le menton damoiseau,
Sain & gaillard je vins à ton service.

Ores forcé de ta longue malice,
Je m'en retourne avec une autre peau,
En chef grison, en perte de mon beau :
& pour t'aimer, il faut que je périsse.

Helas ! Que di-je ! Où veus-je retourner !
En autre part je ne puis sejourner,
Ni vivre ailleurs, ni d'autre amour me paitre.

Demeuron donc dans le camp fortement :
& puis qu'au moins veinqueur je ne puis estre,

Que l'arme au poin je meure honnestement.



Franc de travail, une heure je n’ai peu




Franc de travail, une heure je n’ai peu
Viure, depuis que les yeus de ma Dame
Mielleusement, verserent dans mon ame,
Le dous venin, dont mon cœur fut repeu.

Ma chere neige, & mon cher & dous feu,
Voiés comment je m’englace & m'enflame :
Comme la cire aus raisons d’une flame,
Je me consume, & vous en chaut bien peu.

Bien est il vrai, que ma vie est heureuse,
De s’écouler doucement langoureuse,
Dessous vôstre oeil, qui jour & nuit me point.

Mais si fault il que vôtre bonté pense,
Que l'amitié d'amitié se compense,
Et qu'un Amour sans frere ne croit point.



D'Amour ministre, & de perseverance




D'Amour ministre, & de perseverance,
Qui jusqu'au fond l'ame peus émouvoir,
Et qui les yeus d'un aveugle savoir,
Et qui les cœurs voiles d'une ignorance:

Vaten ailleurs chercher ta demeurance,
Vaten ailleurs quelqu'autre decevoir,
Je ne veus plus chés moi te recevoir,
Malencontreuse & mechante esperance.

Quand Juppiter, ce lâche criminel,
Teignit ses mains dans le sang paternel,
Derrobant l'or de la terre où nous sommes,

Il te laissa, Harpye & salle oiseau,
Cropir au fond du Pandorin vaisseau,
Pour enfieller le plus dous miel des hommes.



Franc de raison, esclave de fureur




Franc de raison, esclave de fureur,
Ie vois chassant une Fere sauvage,
Or sur un mont, or le lon d'un rivage,
Or dans le bois de ieunesse & d'erreur.
I'ai pour ma lesse un lon trait de malheur,
I'ai pour limier un trop ardent courage,
I'ai pour mes chiens, & le foin, & la rage,
Le déplaisir, la peine, & la douleur.
Mais eus voiant que plus elle chassée
Loin loin devant moins s'enfuit eslancée,
Tournant sur moi la dent de leur effort.
Comme mastins affamés de repaitre,
A lons morceaus se paissent de leur maitre,
Et sans merci me trainent à la mort.



Le ciel ne veut, Dame, que je joüisse




Le ciel ne veut, Dame, que je joüisse
De ce dous bien que dessert mon devoir :
Aussi ne veus-je, & ne me plaît d'avoir
Sinon du mal en vous faisant service.

Puis qu'il vous plaît, que pour vous je languisse,
Je suis heureus, et ne puis recevoir
Plus grand honneur, qu'en mourant, de me voir
Faire a vos yeus de mon coeur sacrifice.

Donc si ma main, maugré moi, quelquefois
De l'amour chaste outrepasse les lois,
Dans vôtre sein cherchant ce qui m'embraise,

Punissés la du foudre de vos yeus,
Et la brulés : car j'aime beaucoup mieus
Vivre sans main, que ma main vous deplaise.



Bien que sis ans soient ja coulés derriere




Bien que sis ans soient ja coulés derriere
Depuis le jour que l’homicide trait,
Au fond du coeur, m’engrava le portrait
D’une humble-fiere, et fiere-humble guerriere,

Si suis-je heureus d’avoir veu la lumiere
En ces ans tars, pour avoir veu le trait
De son beau front, qui les graces attrait
Par une grace aus Graces coutumiere.

Le seul Avril de son jeune printans,

Endore, emperle, enfrange nostre tans,
Qui n’a seu voir la beauté de la belle,

Ni la vertu, qui foisonne en ses yeus,
Seul je l’ay veue, aussi je meur pour elle,
Et plus grand heur ne m’ont donné les cieux.



Si ce grand Dieu, le pere de la lyre




Si ce grand Dieu, le pere de la lyre,
Qui va bornant aus Indes son reveil,
Ainsi qui d'un oeil mal apris au someil
De çà de là, toutes choses remire,

Lamente encor, pour le bien où j'aspire,
Ne suis-je heureus, puis que le trait pareil,
Qui d'outre en outre entame le Soleil,
Mon coeur entame à semblable martire?
Dea, que mon mal contente mon plaisir,
D'avoir osé pour compagnon choisir
Un si grand Dieu ! Ainsi par la campagne,
Le beuf courbé dessous le jou pesant,
Traine le fais plus leger et plaisant,
Quand son travail d'un autre s'acompagne.



Ce petit chien, qui ma maitresse suit




Ce petit chien, qui ma maitresse suit,
Et qui jappant ne reconoit personne,
Et cet oiseau, qui mes plaintes resonne,
Au mois d’Avril soupirant toute nuit:

Et cette pierre, ou quand le chaut s’enfuit
Seule aparsoi pensive s’arraisonne,
Et ce Jardin, ou son pouce moissonne,
Tous les Tresors que Zephyre produit:

Et cette dance, ou la fleche cruelle,

M’outreperça, et la saison nouvelle,
Qui tous les ans rafraichit mes douleurs,

Et son oeillade, et sa parole sainte,
Et dans le coeur sa grace que j’ai peinte,
Baignent mon sein de deus ruisseaus de pleurs.



Entre tes bras, impatiant Roger




Entre tes bras, impatiant Roger,
Pipé du fard de magique cautelle,
Pour refroidir ta chaleur immortelle,
Au soir bien tard Alcine vint loger.

Opiniâtre à ton feu soulager,
Ore planant, ore noüant sus elle,
Dedans le gué d'une beauté si belle,
Toute une nuit tu apris à nager.

En peu de tans le gracieus Zephyre,
Heureusement empoupant ton navire,
Te fit surgir dans le port amoureus :

Mais quand ma nef de s'aborder est preste,
Toujours plus loin quelque horrible tempeste
La single en mer, tant je suis malheureux.



Je te hai peuple, et m'en sert de tesmoin




Je te hai peuple, et m'en sert de tesmoin,
Le Loir, Gastine, et les rives de Braie,
Et la Neuffaune, et l'humide saulaie,
Qui de Sabut borne l'extreme coin.
Quand je me pers entre deus mons bien loin,
M'arraisonnant seul à l'heure j'essaie
De soulager la douleur de ma plaie,
Qu'Amour encharne au plus vif de mon soin.
Là pas à pas, Dame, je rememore
Ton front, ta bouche et les graces encore
De tes beaux yeux trop fidelles archers:
Puis figurant ta belle idole feinte
Dedans quelque eau, je sanglote une pleinte,
Qui fait gemir le plus dur des rochers.



Non la chaleur de la terre, qui fume




Non la chaleur de la terre, qui fume
Béant de soif au creus de son profond :
Non l'Avantchien, qui tarit jusqu'au fond
Les tiedes eaus, qu'ardant de soif il hume :

Non ce flambeau qui tout ce monde alume
D'un bluëtter qui lentement se fond,
Bref ni l'esté, ni ses flames ne font
Ce chaut brazier qui m'enbraize et consume.

Vos chastes feus, esprits de vos beaus yeus,
Vos dous éclairs qui rechaufent les dieus,
Seuls de mon feu eternizent la flame :

Et soit Phoebus attelé pour marcher
Devers le Cancre, ou bien devers l'Archer,
Vôtre oeil me fait un esté dans mon ame.



Ni ce coral, qui double se compasse




Ni ce coral, qui double se compasse,
Sur meinte perle entée doublement,
Ni cette bouche ou vit fertilement
Un mont d'odeurs qui le Liban surpasse ,

Ni ce bel or qui frisé s'entrelasse
En mille nouds mignardés gaiement,
Ni ces œillets égalés uniment
Au blanc des lis encharnés dans sa face,

Ni de ce front le beau ciel éclairci,
Ni le double arc de ce double sourci,
N'ont a la mort ma vie abandonnée:

Seuls vos beaux yeus (ou certain archer,
Pour me tuer d'aguet se vint cacher)
Devant le soir finissent ma journée.



De toi, Paschal, il me plaît que j’écrive




De toi, Paschal, il me plaît que j’écrive,
Qui de bien loin le peuple abandonnant,
Vas de l’Arpin les tresors moissonnant,
Le lon des bors ou ta Garonne arrive.

Haut d’une langue eternellement vive,
Son cher Paschal Tolose aille sonnant,
Paschal Paschal Garonne resonnant,
Rien que Paschal ne responde sa rive.

Si ton Durban, l’honneur de nostre tans,
Lit quelque fois ces vers par passetans,
Di lui, Paschal (ainsi l’âpre secousse

Qui m’a fait choir, ne te puisse émouvoir)
Ce pauvre Amant estoit dinne d’avoir
Une maitresse, ou moins belle, ou plus douce.



Di l'un des deus, sans tant me deguiser




Di l'un des deus, sans tant me deguiser
Le peu d'amour que ton semblant me porte :
Je ne sauroi, veu ma peine si forte,
Tant lamenter ne tant Petrarquiser.

Si tu le veus, que sert de refuser
Ce dous present dont l'espoir me conforte ?

Si non, pourquoi, d'une esperance morte
Pais tu ma vie, affin de l'abuser ?

L'un de tes yeus dans les enfers me ruë,
L'autre à l'envi tour à tour s'évertuë
De me remettre en paradis encor :

Ainsi tes yeus pour causer mon renaitre,
Et puis ma mort, sans cesse me font estre,
Ore un Pollux, et ores un Castor.



L'An mil cinq cens contant quarante et sis




L'An mil cinq cens contant quarante et sis,
Dans ses cheveus une beauté cruelle
(Ne sai quel plus, las, ou cruelle, ou belle)
Lia mon cœur de ses graces épris.

Lors je pensoi, comme sot mal apris,
Né pour souffrir une peine immortelle,
Que les crespons de leur blonde cautelle
Deus ou trois jours sans plus me tiendroient pris.

L'an est passé, et l'autre commence ores,
Où je me voi plus que devant encores
Pris dans leurs rets : et quand par fois la mort

Veut délacer le lien de ma peine,
Amour tousjours pour l'ennoüer plus fort,
Oint ma douleur d'une esperance vaine.



A toi chaque an ordonne un sacrifice




A toy chaque an j’ordonne un sacrifice,
Fidele coin, où tremblant et poureux,
Je descouvry le travail langoureux
Que j’endoroy, Dame, en votre service.
Un coin meilleur plus seur et plus propice
A declarer un torment amoureux,
N’est point en Cypre, ou dans les plus heureux
Vergers de Gnide, Amathonte ou d’Eryce.
Eussé-je l’or d’un Prince ambitieux,
Tu toucherois, nouveau temple, les cieux,
Elabouré d'une merveille grande;
Et là, dressant à ma nymphe un autel,
Sur les piliers de son nom immortel
J'appenderois mon ame pour offrande



Honneur de may, despouille du printemps




Honneur de may, despouille du printemps,
Bouquet tissu de la main qui me donte,
Dont les beautez aux fleurettes font honte,
Faisant esclorre un avril en tout temps;
Non pas du nez, mais du cœur, je te sens,
Et de l'esprit, que ton odeur surmonte,
Et tellement de veine en veine monte
Que ta senteur embasme tous mes sens.
Sus, baise-moy en lieu de nostre amie,
Pren mes souspirs, pren mes pleurs, je te prie,
Qui serviront d'animer ta couleur.



Le pensement, qui me fait devenir




Le pensement, qui me fait devenir
Hautain et brave, est si dous que mon ame
Desja desja impuissante se pâme,
Yvre du bien qui me doit avenir.

Sans mourir donq, pourrai-je soutenir
Le dous combat, que me garde Madame,
Puis qu’un penser, si brusquement l’entame,
Du seul plaisir d’un si dous souvenir?

Helas, Venus, que l’écume feconde,
Non loin de Cypre, enfanta dessus l’onde,
Si de fortune en ce combat je meurs,

Reçoi ma vie, O deesse, et la guide
Parmi l’odeur de tes plus belles fleurs,
Dans les vergers du paradis de Gnide.



Quand en songeant ma follâtre j’acolle,




Quand en songeant ma follâtre j’acolle,
Laissant mes flancs sus les siens s’alonger,
Et que d’un branle habilement leger,
En sa moitié ma moitié je recolle:

Amour adonc si follement m’affolle,
Qu’un tel abus je ne voudroi changer,
Non au butin d’un rivage étranger,
Non au sablon qui jaunoïe en Pactole.

Mon dieu, quel heur, et quel contentement,
M’a fait sentir ce faus recollement,
Changeant ma vie en cent metamorfoses?

Combien de fois doucement irrité,
Suis-je ore mort, ore resuscité,
Entre cent lis, et cent vermeilles roses?



O de Nepenthe, et de liesse pleine




O de Nepenthe, et de liesse pleine
Chambrette heureuse, ou deus heureus flambeaus,
Les plus ardans du ciel, et les plus beaus
Me font escorte apres si longue peine.
Or je pardonne a la mer inhumaine,
Aus flots, aus vens, la traison de mes maus
Puis que par tant et par tant de travaus,
Une main douce à si dous port me meine.
Adieu tourmente, adieu naufrage, adieu.
Vous flots cruels aieus du petit Dieu,
Qui dans mon sang à sa fleche souillée:
Ores ancré dedans le sein du port,
Par veu promis, j'appan dessus le bord
Aus dieus marins ma dépouille mouillée.



Je parangonne à ta jeune beauté




Je parangonne à ta jeune beauté,
Qui toujours dure en son printans nouvelle,
Ce mois d'Avril, qui ses fleurs renouvelle,
En sa plus gaie et verte nouveauté.

Loin devant toi s'en fuit la cruauté,

Devant lui fuit la saison plus cruelle.
Il est tout beau, ta face est toute belle :
Ferme est son cours, ferme est ta loiauté.

Il peint les chams de dis mile couleurs,
Tu peins mes vers d'un long émail de fleurs :
D'un dous Zephyre il fait onder les plaines,

Et toi mon coeur d'un soupir larmoiant :
D'un beau crystal son front est rousoiant,
Tu fais sortir de mes yeus deus fontaines.



Ce ne sont qu'haims, qu'amorces, et qu'apas




Ce ne sont qu'haims, qu'amorces, et qu'apas
De son bel oeil qui m'aleche en sa nasse,
Soit qu'elle rie, ou soit qu'elle compasse
Au son du Luth le nombre de ses pas.

Une minuit tant de flambeau n'a pas,
Ni tant de sable en Euripe ne passe,
Que de beautés embellissent sa grace,
Pour qui j'endure un milier de trespas.

Mais le tourment qui moissonne ma vie,
Est si plaisant, que je n'ai point envie
De m'élongner de sa douce langueur :

Ains face Amour que mort encores j'aie
L'aigre douceur de l'amoureuse plaie,
Que vif je porte au plus beau de mon coeur.



Oeil, qui mes pleurs de tes raisons essuie




Oeil, qui mes pleurs de tes raisons essuie,
Sourci, mais ciel des autres le greigneur,
Front estoilé, trophée à mon seigneur,
Où son carquois et son arc il estuye;
Gorge de marbre où la beauté s'appuye,
Col albastrin emperlé de bonheur,
Tetin d'yvoire ou se niche l'honneur,
Sein dont l'espoir mes travaux desennuye;
Vous avez tant apasté mon desir,
Que, pour saouler ma faim et mon plaisir,
Et nuit et jour il faut que je vous voye,
Comme un oyseau qui ne peut sejourner,
Sans revoler, tourner et retourner
Aux bords connus pour y trouver sa proye.



Hausse ton vol, et, d'une aisle bien ample




Hausse ton vol, et, d'une aisle bien ample
Forçant des vents l'audace et le pouvoir,
Fay, Denisot, tes plumes émouvoir
Jusques au ciel, où les Dieux ont leur temple.
Là, d'œil d'Argus leurs déités contemple,
Contemple aussi leur grace et leur savoir;
Et, pour ma dame au parfait-concevoir,
Sur les plus beaux fantastique un exemple.
Moissonne après le teint de mille fleurs
Et les détrempe en l'argent de mes pleurs,
Que tiedement hors de mon chef je rue.
Puis, attachant ton esprit et tes yeux
Droit au patron desrobé sur les Dieux,
Pein, Denisot, la beauté qui me tue.



Ville de Blois, naissance de ma dame,




Ville de Blois, naissance de ma dame,
Sejour des Roys et de ma volonté,
Où je fus pris, où je fus surmonté,
Par un œil brun qui m'outre-perce l'ame,
Chez toy je pris ceste premiere flame,
Chez toy j'appris que peut la cruauté,
Chez toy je vey ceste fiere beauté
Dont la memoire encores me r'enflame.
Se loge Amour en tes murs à jamais,
Et son carquois, et son arc et ses traits
Pendent en toy, comme autel de sa gloire;
Puisse-il tousjours sous ses ailes couver
Ton chef royal, et, nud, tousjours laver
Le sien crespu dans l'argent de ton Loire.



Heureuse fut l'estoille fortunée




Heureuse fut l'estoille fortunée
Qui d'un bon œil ma maistresse apperceut
Heureux le bers et la main qui la sceut
Emmailloter le jour qu'elle fut née
Heureuse fut la mammelle en-mannée
De qui le laict premier elle receut
Et bien-heureux le ventre qui conceut
Si grand' beauté de si grands dons ornée !
Heureux les champs qui eurent cest honneur
De la voir naistre, et de qui le bon-heur
L'Inde et l'Egypte heureusement excelle !
Heureux le fils dont grosse elle sera,
Mais plus heureux celuy qui la fera
Et femme et mere, en lieu d'une pucelle !



L'astre ascendant sous qui je pris naissance




L'astre ascendant sous qui je pris naissance
De son regard ne maistrisoit les cieux
Quand je nasquis il estoit dans tes yeux,
Futurs tyrans de mon obéissance.
Mon tout, mon bien, mon heur, ma cognoissance,
Vint de ton œil: car, pour nous lier mieux,
Tant nous unit son feu presagieux,
Que de nous deux il ne fit qu'une essence.
En toy je suis et tu es dedans moy,
En moy tu vis et je vis dedans toy ;
Ainsi nos touts ne font qu'un petit monde.
Sans vivre en toi je tomberois là bas :
La pyralide en ce poinct ne vit pas
Perdant sa flamme, et le dauphin son onde



De ton poil d'or en tresses blondissant




De ton poil d'or en tresses blondissant
Amour ourdit de son arc la fiscelle;
Il me tira de ta vive estincelle
Le doux fier trait qui me tient languissant.
Du premier coup j'eusse été perissant,
Sans l'autre coup d'une fleche nouvelle
Qui mon ulcere en santé renouvelle,
Et par son coup le coup va guarissant.
Ainsi jadis, sur la poudre troyenne,
Du soudart grec la hache Pelienne
Du Mysien mit la douleur à fin ;
Ainsi le trait de ton bel œil me rue,
D'un mesme coup me guarit et me tue.
Hé ! quelle Parque a filé mon destin ?



Qui voudra voir comme un Dieu me surmonte Nature ornant la dame qui devoit Dans le serain de sa jumelle flame Je ne suis point, ma Guerriere Cassandre Pareil j'égale au soleil que j'adore Ces liens d'or, cette bouche vermeille Bien qu'à grand tort il te plaist d'allumer Lors que mon œil pour t’œillader s’amuse Le plus toffu d'un solitaire bois Je pai mon cœur d'une telle ambroisie Amour, Amour, donne moi pais ou tréve J'espere et crain, je me tais et suplie Pour estre en vain tes beaux soleils aimant Je vi tes yeus desous telle planette Hé qu’a bon droit les Charites d’Homere Je veus darder par l'univers ma peine Par un destin dedans mon cœur demeure Un chaste feu que les coeurs illumine Avant le tans tes temples fleuriront Je voudroi bien richement jaunissant Qu’Amour mon cœur, qu’Amour mon âme sonde Cent & cent fois penser un penser mesme Ce beau coral, ce marbre qui soupire Tes yeus divins me promettent le don Ces deus yeus bruns, deus flambeaus de ma vie Plus tôt le bal de tant d’astres divers Bien mile fois & mile j'ai tenté Injuste Amour, fusil de toute rage Si mile oeillets, si mile lis j’embrasse Ange divin, qui mes plaïes embâme Aelés Démons qui tenés de la terre Quand au premier la Dame que j’adore D'un abusé je ne seroi la fable Las je me plain de mile & mile & mile Puisse avenir, qu’une fois je me vange Pour la douleur, qu'Amour veut que je sente Les petits cors, culbutans de travers Dous fut le trait, qu'Amour hors de sa trousse Pleut il a Dieu, n’avoir jamais tâté Contre mon gré l'atrait de tes beaus yeus Ha, Seigneur dieu, que de graces écloses Quand au matin ma Déesse s’abille Avec les lis, les oeillés mesliés Ores l'effroi & ores l'esperance Je voudrois estre Ixion et Tantale Amour me tue, & si je ne veus dire Je veus mourir pour tes beautés, Maistresse Dame, depuis que la première flêche Ni de son chef le trésor crépelu, Mon dieu, mon dieu, que ma maistresse est belle ! Cent fois le jour, a part moi je repense Mile, vraiment, & mile voudroient bien Avant qu’Amour, du Chaos ocieus Par je ne sai quelle estrange inimitié O dous parler, dont l'apât doucereus Verrai-je point le dous jour, qui m’aporte Quel dieu malin, quel astre me fit estre Divin Bellai, dont les nombreuses lois Quand le Soleil a chef renversé plonge Comme un Chevreuil, quand le printans destruit Ni voir flamber au point du jour les roses Dedans les Prés je vis une Naiade Quand ces beaus yeus jugeront que je meure Qui voudra voir dedans une jeunesse Tant de couleurs le grand arc ne varie Quant j'aperçoi ton beau chef jaunissant Ciel, air et vents, plains et monts découverts Voiant les yeus de toi, Maitresse elüe L'œil qui rendroit le plus barbare apris De quelle plante, ou de quelle racine Petit nombril, que mon penser adore Que n'ai-je, Dame, & la plume & la grace Du tout changé ma Circe enchanteresse Les Elemans & les Astres, à preuve Je parangonne à vos yeus ce crystal J’ai cent fois épreuvé les remedes d’Ovide Ni les combats des amoureuses nuits A ton frere Paris tu sembles en beauté Si je trepasse entre tes bras, Madame Pour voir ensemble & les chams & le bort Pardonne moi, Platon, si je ne cuide L'onde & le feu, ce sont de la machine Si l'écrivain de la mutine armée Pour celebrer des astres devestus Estre indigent, & donner tout le sien Oeil, qui portrait dedans les miens reposes Si seulement l'image de la chose Sous le crystal d’une argenteuse rive Soit que son or se crespe lentement De ses cheveus la rousoiante Aurore Aveques moi pleurer vous devriés bien Tout me déplait, mais rien ne m'est si gref Quand je vous voi, ou quand je pense en vous Morne de cors, & plus morne d'espris Las! sans la voir, a toute heure je voi Dans un sablon la semence j'épan Devant les yeus, nuit & jour me revient D’un gosier machelaurier Apres ton cours je ne haste mes pas Piqué du nom qui me glace en ardeur Depuis le jour que le trait ocieus Le mal est grand, le remede est si bref Amour, si plus ma fievre se renforce Si doucement le souvenir me tente Amour archer d'une tirade ront Je vi ma Nymfe entre cent damoiselles Plus mile fois, que nul or terrien Celle qui est de mes yeus adorée Sur mes vint ans, pur d'offense & de vice Franc de travail, une heure je n’ai peu D'Amour ministre, & de perseverance Franc de raison, esclave de fureur Le ciel ne veut, Dame, que je joüisse Bien que sis ans soient ja coulés derriere Si ce grand Dieu, le pere de la lyre Ce petit chien, qui ma maitresse suit Entre tes bras, impatiant Roger Je te hai peuple, et m'en sert de tesmoin Non la chaleur de la terre, qui fume Ni ce coral, qui double se compasse De toi, Paschal, il me plaît que j’écrive Di l'un des deus, sans tant me deguiser L'An mil cinq cens contant quarante et sis A toi chaque an ordonne un sacrifice Honneur de may, despouille du printemps Le pensement, qui me fait devenir Quand en songeant ma follâtre j’acolle, O de Nepenthe, et de liesse pleine Je parangonne à ta jeune beauté Ce ne sont qu'haims, qu'amorces, et qu'apas Oeil, qui mes pleurs de tes raisons essuie Hausse ton vol, et, d'une aisle bien ample Ville de Blois, naissance de ma dame, Heureuse fut l'estoille fortunée L'astre ascendant sous qui je pris naissance De ton poil d'or en tresses blondissant
"Les Amours" de Pierre de Ronsard est une collection de poèmes qui rassemble les écrits de Ronsard en l'honneur de trois femmes dont il est tombé amoureux au cours de sa vie : Cassandre, Marie et Hélène. Le recueil se compose de plusieurs parties, chacune étant dédiée à l'une de ces muses, reflétant l'évolution des sentiments du poète au fil du temps.

Cassandre
Dans la première partie du recueil, Ronsard exprime ses sentiments envers Cassandre Salvati, qu'il rencontre en 1545. Inspiré par cet amour, Ronsard écrit 183 sonnets, formés de décasyllabes, qui chantent les louanges de Cassandre. Les poèmes contiennent de nombreux jeux d'esprit et comparaisons mythologiques.

Marie
En 1555, Ronsard rencontre Mari Dupin, une paysanne de quinze ans, et lui dédie des poèmes simples et clairs. Ces œuvres sont publiées dans "Continuation des Amours" et s'apparentent à des réflexions d’ordre général sur l'amour et les sentiments. Ronsard écrit également des vers en l’honneur de Marie de Clèves, la maîtresse du roi Henri III, après son décès en 1574, dont "Sur la mort de Marie" (1578).

Hélène
En 1578, à la demande de la reine Catherine de Médicis, Ronsard publie "Les Sonnets pour Hélène" pour consoler Hélène de Surgères, dont l'amant est tombé au combat. Cette partie comprend 111 sonnets et quatre autres poèmes.

Les thèmes récurrents dans l'ensemble du recueil incluent l'amour, la nature, la mythologie, le temps et la mort. Ronsard explore les différentes facettes de l'amour, y compris la passion amoureuse et les déceptions qui en découlent. Il fait l'éloge de la nature et utilise la mythologie pour enrichir son écriture. La notion du temps qui passe et de la mortalité est également un thème central, et Ronsard encourage souvent le lecteur à profiter du temps présent, en résonance avec la ligne de pensée "Carpe Diem" et les valeurs épicuriennes antiques.

Le recueil "Les Amours" représente un travail substantiel dans la carrière de Ronsard, marquant son exploration des formes poétiques classiques et innovantes, et révélant son style élégant et raffiné typique de la poésie de la Renaissance française.

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