Clémence, puis Maurice.
CLÉMENCE (seule)
Il est parti… enfin !… J'ai pensé qu'il valait mieux venir à ce rendez-vous… En ne venant pas, j'aurais eu l'air de craindre ce jeune homme… et cela pouvait lui donner des espérances… Tandis que je le raisonnerai… je lui démontrerai la folie de sa passion… je le gronderai même s'il le faut… (Se reprenant.)
Pauvre enfant !… non… je ne le gronderai pas… je le conseillerai… doucement… je lui parlerai… comme une sœur… une amie… (Regardant sa montre.)
Personne encore… j'ai eu tort de venir la première… Ah ! le voici !
MAURICE
Ah ! madame, permettez-moi de vous remercier d'abord de votre exactitude.
CLÉMENCE (minaudant)
Monsieur Maurice… j'aurais peut-être dû ne pas venir…
MAURICE (avec feu)
Oh ! madame, quand vous tenez mon bonheur, mon existence entre vos mains !
CLÉMENCE
Maurice… calmez-vous… si vous voulez que je vous écoute.
MAURICE
Pardon… mais quand on est plein d'un sujet…
CLÉMENCE (à part)
Quel feu !
MAURICE
Et d'abord, madame, promettez-moi de ne confier à personne ce que je vais vous dire…
CLÉMENCE (à part)
Quelle ingénuité ! (Haut, avec coquetterie.)
C'est donc un secret… un mystère ?
MAURICE
Oui… c'est un mystère… Mais asseyons-nous.
(Il lui prend la main et veut la conduire au canapé.)
CLÉMENCE (vivement, et retirant sa main)
Du tout, monsieur !… On peut très bien causer debout… (À part.)
Moi qui le croyais timide !
MAURICE
Comme vous voudrez… En deux mots, madame, voici l'affaire…
CLÉMENCE (étonnée)
L'affaire ?…
MAURICE
Vous habitez Paris… et, comme tout le monde, vous avez été frappée du grand nombre de démolitions qu'on y fait…
CLÉMENCE
Les démolitions ?
MAURICE
On se couche bien tranquille dans son immeuble… et le lendemain, on est exproprié, démoli…
CLÉMENCE (à part)
Quel singulier détour !
MAURICE
Il y a des gens que l'expropriation satisfait… Il en est d'autres qu'elle mécontente… qui se trouvent lésés dans leurs intérêts les plus chers…
CLÉMENCE (cherchant à comprendre)
Oui… mais…
MAURICE
Eh bien, madame, c'est à cette dernière classe… à ces mécontents… que je n'hésite pas à appeler les victimes du progrès… que j'ai consacré depuis deux mois mes travaux et mes veilles…
CLÉMENCE (qui a écouté avec stupéfaction)
Ah çà ! monsieur, où voulez-vous en venir ?
MAURICE
À vous faire comprendre le besoin réel auquel répond ma société d'assurances mutuelles contre les expropriations…
CLÉMENCE
Ah… il s'agit d'une affaire… industrielle ?
MAURICE
Oui, madame… Une idée gigantesque ! J'associe tous les propriétaires… suivez-moi bien !… au moyen d'une prime fixe à remboursement garanti différé parfaitement, d'ailleurs par un calcul différentiel et proportionnel établi par des tables dont vous allez comprendre le mécanisme…
CLÉMENCE
Oh ! pardon… les chiffres… Je vous avoue que je m'attendais à une confidence… d'une tout autre nature.
MAURICE
Quoi donc ?
CLÉMENCE
Oh !… que sais-je ! un chagrin de votre âge… une inclination contrariée pour votre cousine… ou pour toute autre femme…
MAURICE
Oh ! les femmes !… les amourettes !… Je n'ai pas le temps… j'en suis revenu.
CLÉMENCE
À dix-neuf ans !…
MAURICE
Complètement !
CLÉMENCE (à part)
Et il me dit cela en face ! (Haut.)
Alors, monsieur, à quoi votre société d'assurances peut-elle m'intéresser ?
MAURICE (avec feu)
Ah ! madame, c'est ici que vous pouvez être l'ange de ma vie, la fée bienfaisante de mon avenir.
CLÉMENCE
Moi ? comment ?
MAURICE
Je vous ai entendu dire tantôt que M. Monot-Lagarde, le banquier, était votre cousin.
CLÉMENCE
Oui…
MAURICE
Eh bien, je viens vous prier… vous supplier de me faire obtenir une entrevue.
CLÉMENCE
Ah ! je comprends !…
MAURICE
Aujourd'hui, par exemple… à quatre heures… après la Bourse.
CLÉMENCE (avec ironie)
Comment donc ! mais, pour vous être agréable… Un jeune homme si rangé… qui a des idées si sages… si raisonnables… et si calmes tout à la fois… J'y vais tout de suite !…
MAURICE
Ah ! madame !
CLÉMENCE
Je vais prendre une voiture…
MAURICE (lui embrassant la main)
Vous êtes charmante !
CLÉMENCE (retirant sa main et sèchement)
C'est bien !…
MAURICE
Je monterai chez vous tout à l'heure pour savoir si je puis me présenter chez monsieur votre cousin.
CLÉMENCE
Chez moi… c'est inutile… Je m'arrêterai ici en rentrant.
MAURICE
C'est que, pour rien au monde, je ne voudrais que ma mère apprît…
CLÉMENCE
Si M. Monot-Lagarde peut vous recevoir, vous trouverez mon gant… sur cette chaise.
MAURICE
C'est convenu… Je vais mettre en ordre mes notes, mes chiffres, pour les soumettre à monsieur votre cousin… Ah ! madame ! je vous devrai plus que le bonheur… je vous devrai la fortune !
(Il entre à droite.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...